Imprégné de rhétorique anti-occidentale et rempli de nombreuses références aux textes sacrés, le communiqué de l’EIIL après l’attaque terroriste au Bardo permet d’entrer dans la logique des terro-ristes, de comprendre leur mobile et leur objectif final.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:33:57

Quelques heures après l’attentat de Tunis, l’EIIL a revendiqué sa responsabilité par un texte, diffusé sur tous les principaux sites djihadistes, dont la valeur symbolique est importante et qu’il vaut la peine d’analyser dans le détail. Truffé de rhétorique anti-occidentale et de mépris pour le modèle islamique tunisien, le document revendique fièrement le geste réussi ce 18 mars au musée du Bardo, une action contre « les infidèles et les apostats » commise « au nom de Dieu, le Clément, le Miséri-cordieux ». Pour garantir que l’attentat est saint et juste – étant donné que dans l’optique djihadiste le succès des militants est toujours attribué à Dieu – la revendication reprend la citation d’un verset coranique emblématique, extrait de la sourate de l’Exode : « Et ils pensaient qu’en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s’attendaient point, et a lancé la terreur dans leurs cœurs » (59,2). Le verset fait référence à un épisode qui s’est produit à l’époque du Prophète de l’Islam, lorsque Muhammad a vaincu et banni la tribu juive médinoise des Banû Nadîr, coupable d’être passée à l’ennemi alors qu’elle avait établi un pacte d’alliance avec le Pro-phète. Les Banû Nadîr, après s’être réfugiés dans leurs forteresses, furent assiégés et battus après six mois. Mais lorsqu’on le lit à la lumière de l’actualité et dans le contexte de la revendication, ce verset sonne comme un avertissement, comme pour rappeler que cette fois aussi, Dieu a maintenu sa promesse, en aidant les “vrais musulmans”, c’est-à-dire les auteurs de l’attentat, à faire succomber les mécréants, soit les touristes en visite au musée, certains de se trouver en lieux surs – dans des « forteresses » protégées par la sécurité – et inconscients de ce qui allait leur arriver. L’habitude ré-pandue dans tous les milieux islamistes et djihadistes d’extrapoler du Coran des versets pour l’utilisation du moment, une manœuvre utile dans l’objectif de la propagande, pour justifier et sanc-tifier les projets du Califat, de proférer des accusations d’apostasie et de mécréance ou, comme c’est le cas ici, de commettre de viles actes terroristes. Dans leur communiqué, l’attentat « béni par Dieu, seigneur des mondes » est présenté comme l’œuvre de deux « chevaliers de l’État islamique », indiqués par leurs noms de combat, contre les « sujets des États croisés », à savoir les touristes, et les apostats, en la personne des tunisiens – dans le cas des guides touristiques accusés de proposer une image déformée de la Tunisie, un État dissolu et immoral, où s’enracinent facilement « l’impiété et l’immoralité » occidentales : « Dieu se réjouit de l’attaque bénie contre un des repaires de la mécréance et du vice dans la Tunisie musulmane. Les deux chevaliers de l’État du califat, Abû Zakariyâ al-Tûnisî e Abû Anas al-Tûnisî, sont partis armés des pieds à la tête, munis d’armes automatiques et de grenades et se sont dirigés vers le musée (Bardo), situé dans le paramètre de sécurité du Parlement tunisien. Alors Dieu a suscité la terreur dans le cœur des mécréants et les frères sont parvenus à assiéger un groupe mauvais de ressortissants des pays croisés, que les apostats ont induit en erreur en leur décrivant la terre tunisienne comme étant un terrain fertile pour leur impiété et leur immoralité ». Le communiqué poursuit, de façon glaciale, que l’objectif a été atteint, et les auteurs invoquent Dieu, afin qu’il ouvre grand les portes du paradis aux deux « héros » suicides et leur concède d’y habiter aux niveaux les plus élevés qui, selon la tradition islamique, sont destinés à ceux qui dans leur vie terrestre ont atteint le niveau de perfection le plus élevé ou sont morts au combat : « L’opération suicide bénie a tué et blessé des dizaines de croisés et d’apostats, et les forces de sécu-rité n’ont pas osé s’approcher avant que les deux héros n’aient épuisé leurs munitions. Nous de-mandons à Dieu d’accueillir les deux héros parmi les martyrs et de leur accorder le paradis le plus élevé du Jardin et de nous unir à eux ». Il est donc évident que non seulement la rhétorique djihadiste ne prévoit pas le remords, mais que de fait elle glorifie la violence en la transformant en un moyen pour atteindre la sanctification des “martyrs”. En outre, la rhétorique de l’État islamique opère une distinction entre purs et impurs. Pur est celui qui adhère fidèlement à l’“orthodoxie” imposée par le califat, impur est celui qui soutient d’autres modèles politiques et culturels. Impurs sont, par exemple, les citoyens tunisiens qui vivent dans un État gouverné par les laïcs de Nida’ Tunis et boycottent le projet du califat. Et c’est à ces « apos-tats » que s’adresse le dernier avertissement terrifiant de la revendication: « Aux apostats cachés au cœur de la Tunisie musulmane nous disons : ô gens impurs, réjouissez-vous pour ce qui vous afflige. Si Dieu le veut, ce que vous avez vu aujourd’hui est seulement la première goutte de pluie. Vous ne connaîtrez ni la sécurité ni la paix. Dans l’État islamique, ils sont nombreux les hommes comme eux, qui n’oublient pas les offenses. Dieu est le plus grand ». Mythomanes et visionnaires, les don Quichotte de l’État islamique sont restés prisonniers du mythe de l’âge d’Or dont ils font l’apologie, et du mépris pour l’Occident. Mais si les ennemis auxquels don Quichotte faisait la guerre étaient des moulins à vent, les victimes en chair et en os du délire djihadiste sont des touristes pris pour des croisés et des citoyens tunisiens dont l’apostasie consiste à accompagner des pensionnés à visiter un musée.