Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:40:10

« Je vous donne ma paix » : la citation évangélique qui dominait sur l’arc d’entrée du Front de mer de Beyrouth, là où Benoît XVI a célébré l’eucharistie en conclusion de sa visite libanaise, était aussi présente un peu partout sur les affiches et les banderoles qui tapissaient la capitale durant le séjour du Pape. Le slogan, indéniablement bien choisi, a su exprimer le sens profond du voyage libanais et l’aspiration de beaucoup au Moyen-Orient. Mais une aspiration qui doit tenir compte d’une réalité politique toujours plus difficile, marquée par la prolifération des conflits et une crise sociale et culturelle importante. L’exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente a invité l’Église catholique de la région, dans la multiplicité de ses rites, à une sérieuse réflexion en son sein tout en indiquant plusieurs étapes d’un chemin commun aux autres chrétiens, aux juifs et aux musulmans. Dans le domaine civil, le document dénonce deux maux opposés, « la laïcité avec ses formes parfois extrêmes, et le fondamentalisme violent » tandis qu’il indique la solution d’une « saine laïcité » aussi pour le Moyen Orient. Le thème de la structuration correcte des rapports entre religion et politique est certainement un thème très cher au Pape. Mais la parole laïcité est une parole brûlante, au vu de l’histoire de ce terme souvent ambigu. La réflexion du philosophe français Jacques Maritain (1882-1973) peut fournir une aide pour comprendre la substance de la proposition. De famille protestante, converti au Catholicisme après une période scientiste, il vit de l’intérieur le tourment de l’Église française qui, sous la menace du marxisme, est tentée de s’allier à des mouvements de droite. L’intervention du Vatican, qui en 1926 met en garde à propos des dangers de cette dérive, est l’occasion pour Maritain d’une réflexion ultérieure. Exilé en Amérique du Nord durant toute la Seconde Guerre mondiale, Maritain s’interroge sur la possibilité d’une conciliation entre le Christianisme et la meilleure part de la tradition libérale. L’illusion de la « neutralité » de l’État – observe Maritain – a été balayée par l’expérience du nazisme-fascisme, arrivé au pouvoir avec des méthodes formellement démocratiques, mais ennemi mortel de celles-ci. Au terme de six ans de dévastation, il est donc nécessaire de formuler une vision forte de la démocratie, qui puisse, à la limite, justifier l’exclusion de la vie politique de ceux qui ne s’y reconnaissent pas. En effet, « la démocratie de demain aura sa propre conception de l’homme et de la société, et sa propre philosophie, sa propre foi, qui la mettront à même d’éduquer le peuple pour la liberté et de se défendre elle-même contre ceux qui voudraient se servir des libertés démocratiques pour détruire la liberté et les droits humains ». Cependant, une telle conception est ouverte à plusieurs fondations spéculatives, étant l’objet d’un accord pratique plutôt que théorique. Des hommes de différentes appartenances peuvent ainsi collaborer ensemble, sans devoir renier préalablement leur vision du monde et leurs convictions. Maritain rappelle qu’il ne suffit pas d’organiser des élections pour être démocratiques. Une solide conception des conditions pratiques de la sociabilité humaine et de l’usage et du respect des libertés dans ces élections est nécessaire. Une provocation extrêmement actuelle pour l’Occident noyé dans la crise économique et tenté par les raccourcis technocratiques, et pour les pays des révoltes arabes exposées au risque de l’hégémonie théocratique.