La guerre en Syrie a suscité un intérêt croissant pour le groupe religieux des Assad

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:59:10

a-history-of-the-alawis-1503915149.jpgCompte rendu de Stefan Winter, A History of the ‘Alawis. From Medieval Aleppo to the Turkish Republic, Princeton University Press, Princeton et Oxford 2016

 

La guerre civile syrienne a suscité un regain d’intérêt pour les alaouites, le groupe auquel appartient notamment le président Bachar al-Assad. Mais bien peu de travaux en présentent de façon systématique l’histoire : parmi ceux-ci, l’œuvre de Stefan Winter se distingue par son ampleur et sa rigueur. Au lieu de s’attarder sur les caractéristiques dogmatiques du credo alaouite, forme particulière du chiisme remontant au IXe siècle, l’auteur retrace une histoire socio-économique de la communauté, construite essentiellement à partir de documents d’archives ottomans.

 

À travers une multiplicité de sources, l’auteur se propos de démanteler « un récit monolithique de la persécution » (p. 272) que les alaouites auraient subie tout au long de leur histoire. Comme ce récit est « un des mythes essentialistes utilisés par tous les belligérants de la guerre civile syrienne » (p. 2), prouver que les rapports des alaouites avec les autres groupes « ont été caractérisés à plusieurs reprises par des accommodements, par la coopération et la confiance » (p. 10) assume une valeur politique évidente.

 

Ce qui était au départ une secte initiatique chiite active en Irak s’enracine à Alep sous l’impulsion du savant et prédicateur al-Khasîbî (m. vers 957). Au cours des siècles suivants, l’alaouisme connaît une lente diffusion dans la montagne syrienne, jusqu’au moment où le prince-poète al-Makzûn al-Sinjârî (m. 1240) s’empare de quelques forteresses dans l’arrière-pays de Lattaquié. Ce fut alors que « les alaouites émergèrent [...] comme une réalité qui [...] à partir de ce moment, allait les définir pour la suite de leur histoire : une ‘minorité’ » (p. 42).

 

C’est de cette « minorité » que Winter suit les vicissitudes pendant la période mamelouke et surtout ottomane. La fatwa du juriste hanbalite Ibn Taymiyya (m. 1328), qui déclarait les alaouites plus impies que les juifs et les chrétiens, ne peut être prise comme indicatrice d’une ‘politique’ mamelouke vis-à-vis des groupes sectaires : sur le terrain, de fait, les choses furent beaucoup plus nuancées. Avec l’empire ottoman, on assiste à une tribalisation de la communauté, accompagnée de la naissance d’une aristocratie foncière chargée de la collecte des impôts. Après l’interrègne égyptien sur la Syrie (1831-1841), les documents d’archives permettent de toucher du doigt l’intensité des efforts déployés par la Sublime Porte pour accroître le contrôle sur les provinces. Avec l’intensification de la présence française, qui débouchera sur le mandat après la première guerre mondiale, la communauté alaouite se divise. Une partie, conduite par Sâlih al-‘Alî, combat activement l’invasion française – et Winter montre le lien étroit de l’insurrection avec le front sud kémaliste – tandis que l’autre se déclare favorable à un statut d’autonomie. Un dilemme qui persiste aujourd’hui encore.

 

En dépit de la très vaste documentation, la thèse de fond du livre ne semble démontrée qu’à moitié. On peut prendre par exemple le cas du dirhemü r-rıcal, la taxe de capitation imposée aux alaouites  pendant la période mamelouke et maintenue pendant la première période ottomane. Si d’un côté le recensement voulu par Istanbul au lendemain de la conquête est un document d’une importance unique que Winter exploite magistralement pour localiser la présence alaouite dans la région, la tentative de montrer la nature non-sectaire du tribut n’apparaît pas totalement convaincante. La discrimination sur base religieuse réapparaît à plusieurs moments de l’histoire, comme en témoigne l’acte de conversion au sunnisme de plusieurs membres de la famille des Banû Shamsîn en 1817, un document extraordinaire que Winter, encore lui, ramène à la lumière. S’il est donc vrai que les alaouites ont entratenu des rapports constants avec le reste de la Syrie, il est tout aussi vrai que leur spécificité religieuse a contribué fortement à en façonner le destin. Et pourtant – conclut Winter – un jour « la guerre finira, et quand elle finira, les Syriens [...] devront choisir vers quels modèles historiques se tourner. [...] Le passé n’est pas mort et il n’est pas même passé, comme nous le savons ; et il est essentiel que les alaouites, leurs voisins et leurs concitoyens, récupèrent le leur » (p. 273).

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Martino Diez, « Le passé oublié des alaouites », Oasis, année XIII, n. 25, juillet 2017, pp. 132-133.

 

Référence électronique:

Martino Diez, « Le passé oublié des alaouites », Oasis [En ligne], mis en ligne le 29 août 2018, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/le-passe-oublie-des-alaouites.

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