Le jihad du sexe est présenté non sans succès par des sites internet et social networks qui offrent aux femmes la possibilité de se marier avec les combattants en Syrie et en Iraq. Certaines fatwa le soutiennent, d’autres le condamnent. Voici un tableau synthétique de la manière dont les médias arabes le présentent.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:37:18

Les militants de Daesh, le sigle arabe pour désigner l’EILL, ont lancé une véritable campagne médiatique pour recruter des femmes à la cause du jihad. On trouve sur le web des account Twitter et des pages de Facebook de plus en plus nombreux, en arabe mais aussi en anglais, qui invitent les musulmanes (et pas elles seulement) à entreprendre ce que l’on appelle le « jihâd al-nikâh », le jihâd du sexe. Jihad Matchmakers est l’une des nombreuses adresses Twitter qui se proposent « d’aider les frères et les sœurs qui vivent en Syrie à trouver l’épouse halâl [en arabe, licite] ». Ouvert le 4 septembre dernier, il a atteint en très peu de temps plus de 300 followers. « Veux-tu épouser un jihadiste en Syrie? Veux-tu épouser une femme-martyre ? Écris-nous en précisant ton âge, ta langue et ton état-civil, et puis invoque le Clément. Dieu est le plus généreux ! » peut-on lire sur l’un des accounts. Une fois arrivées sur place, outre le fait de se donner en mariage aux militants de l’EILL, aux hommes de l’armée libre syrienne ou de Jabhat al-Nusra, on demande aux femmes jihadistes d’autres services, comme soigner les blessés, cuisiner, faire circuler sur les social networks les nouvelles du front jihadiste. Mais ce n’est pas tout : une jihadiste doit aussi savoir manier les armes. Toutes ces compétences, les femmes les acquièrent à leur arrivée dans le califat, en participant aux programmes d’entrainement qui leur sont réservés, comme ceux qu’offre la « Fondation al-Zawrâ’ pour l’activité médiatique ». Voulue par le calife pour entrainer les nouvelles arrivées, sous la supervision attentive des vétéranes du jihad, la Fondation al-Zawrâ’ peut vanter un certain succès : un mois après son inauguration, la page Facebook enregistre plus de 500 « j’aime » et Twitter a déjà 3 000 followers. Parmi les arguments partagés sur le web, les instructions pour préparer les rations alimentaires, une lettre dédiée aux mères et aux épouses des jihadistes, un article contenant les indications pour les femmes désireuses de s’enrôler. Mais qui a rendu licite le jihad du sexe ? Difficile de le dire : c’est une question plutôt controversée qui alimente depuis plusieurs mois désormais le débat au sein du monde musulman, et dont la presse arabe se fait l’ écho. La notion de jihâd al-nikâh serait apparue pour la première fois en mars 2013 sur l’account Twitter du prêcheur saoudite Muhammad al-‘Arîfî, imam de la mosquée de l’Académie roi Fahd de la marine militaire saoudite. La fatwa qui rendait cette pratique licite disait : « La loi permet aux musulmanes qui ont plus de 14 ans, aux femmes divorcées et aux veuves, de contracter le mariage à heures avec les mujâhiddin syriens. Ce mariage, de la durée de quelques heures pour permettre aussi à d’autres mujâhiddin de se marier, rend les combattants plus forts. Par conséquent, pour les femmes qui s’offrent, le Paradis est assuré ». La nouvelle de la fatwa a toutefois suscité la réaction immédiate du prêcheur saoudite qui a nié en être l’auteur, et a expliqué à sa décharge avoir été victime d’un hacker qui lui aurait volé son profil et twitté à son insu la fatwa en question. Par la suite, la nouvelle de la fatwa aurait été diffusée d’abord sur la chaîne syrienne pro-gouvernementale « al-Jadîd », puis sur les chaines des télévisions libanaises du Hezbollah et de Harakah Amal, sur Dawlah al-Qanûn, proche du président irakien Nurî al-Mâlikî, et enfin sur des chaines appartenant à des personnalités religieuses pro-iraniennes du Koweït. Selon le quotidien égyptien indépendant Al-Yaum al-Sabi’, cette première fatwa aurait été suivie de plusieurs autres, toutes formulées dans les milieux salafistes. Le prêcheur wahhabite Marwân al-Hamad aurait émis une fatwa qui rend licite le mariage à heures d’une femme mariée à l’insu de son mari : « Il est permis à la combattante qui entreprend le jihad sur le sentier de Dieu d’épouser un autre homme à l’insu de son mari pour ne pas blesser les sentiments de ce dernier. Mais dans le cas où le mari accepte que sa femme épouse un combattant, alors il n’y a pas de problème et la femme peut le porter à connaissance de son mariage. Dieu, qui est grand et puissant, purifiera son action ». Une fatwa analogue, rapporte encore la presse arabe, aurait été promulguée par le président de la Commission des uléma musulmans en Iraq, Hârith al-Dhârî, qui, ayant constaté la carence de femmes non mariées, aurait déclaré licite le jihad du sexe même pour les femmes mariées. C’est pour la même raison que Nâsir al-‘Umar, prêcheur originaire du Qassim – une des régions les plus conservatrices de l’Arabie Saoudite – a émis tout d’abord une fatwa permettant aux combattants sunnites de s’unir même aux femmes shi‘ites, puis une seconde fatwa permettant à un mujâhid d’épouser temporairement une femme « mahârim », c’est-à-dire une femme avec laquelle l’homme a un lien de sang, avec laquelle, donc, il ne pourrait selon le droit islamique contracter de mariage. Ce qui surprend, c’est que le jihâd al-nikâh soit promu non seulement par les prédicateur sunnites, mais aussi dans les milieux shi‘ites, où le jihad est généralement interdit du fait que pour eux, seul l’imam caché peut le déclarer. L’ayatollah ‘Alî al-Sîstânî, la plus haute autorité de l’Islam shi‘ite en Iraq, a promulgué à son tour une fatwa déclarant licite le jihad du mariage des femmes shi‘ites avec les mujâhiddin shi‘ites : « Durant le jihad, il est permis à nos combattants de s’entretenir avec les femmes jihadistes shi‘ites avant d’aller au combat, ce qui leur donne de la force durant la bataille. Cette pratique religieuse permet à qui réalise ces actions méritoires, de s’approcher de son Seigneur ; nous exhortons donc les femmes à pratiquer le jihad du plaisir (jihâd al-mut‘a), autrement dit « mariage du jihad » (nikâh al-jihâd), afin que nos valeureux combattants puissent se battre avec l’esprit libéré de la tentation et du désir sexuel ». Toutes ces fatwas ont suscité naturellement l’indignation sur une vaste échelle de tout le monde sunnite. Abû Muhammad al-Maqdisî lui-même, l’idéologue des salafistes-jihadistes d’origine jordanienne, s’est déclaré contraire au jihad du sexe, contre lequel il a prononcé une fatwa. Pour lui, le jihad du sexe serait une distorsion de l’Islam et de la sharia opérée par des mécréants qui déformeraient la parole de Dieu pout éloigner les fidèles de la vraie religion. « La notion de jihad du sexe est une invention qui n’a aucun fondement ni parmi les gens de l’Islam en général, ni parmi les gens de l’unicité et du jihad en particulier. Dans l’abécédaire et dans le vocabulaire du courant salafiste jihadiste, il n’existe qu’une seule typologie de jihad : le « coup à la nuque », dharb al-riqâb, [expression coranique qui indique la mise à mort violente] pour les ennemis de la religion, et son corollaire, complément et renforcement : le jihad de la parole (jihâd al-lisân), qui vient après le jihad de l’épée (jihâd al-sinân) ». L’idéologue explique que cette pratique ne fait pas partie de l’Islam ni de la sharia, et qu’elle équivaut à l’adultère (al-zina). De sorte que, selon lui, cette histoire de jihad du sexe serait « une invention des américains, des sionistes et des services secrets arabes pour défigurer l’Islam et les musulmans ». Sans compter – rappelle al-Maqdisî dans une lettre publiée sur Al-Quds al-‘Arabî, journal indépendant dont le siège est à Londres – que « dans l’Islam, les mujâhiddin demandent comme épouses les houris, les jeunes filles du paradis. Qui désire les houris au paradis ne cherche pas une houri d’argile dans le monde terrestre », pour souligner que les jihadistes agissent en vue de ce qui les attend au paradis, au nom d’un idéal plus élevé qu’une femme sur la terre. Mais bien des militants de l’EILL semblent être d’un autre avis.