Avant et pendant la visite du Pape au Moyen-Orient, les médias du monde entier se demandaient si ce voyage aurait un poids politique dans les vicissitudes israélo-palestiniennes. En invitant chez lui Peres et Abu Mazen, François a de nouveau démenti les lieux communs et a ouvert un nouvel horizon.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:37:55

Le politologue français Dominique Moïsi imagine deux scénarios dans les page finales de son livre The Geopolitics of Emotion : le scénario de la peur et celui de l’espérance. La date et le lieu sont toujours les mêmes : novembre 2025, Tel Aviv ; mais la différence ne pourrait pas être plus grande. Dans le premier cas, Israël vit le trentième anniversaire de la mort de l’assassinat de Rabin dans le climat suffocant d’une quasi loi martiale qui pousse les Arabes et les Juifs qui en ont la possibilité à quitter le pays. En revanche, dans le second cas, on commémore le cinquième anniversaire du traité de paix du Moyen-Orient avec les Palestiniens, dans une atmosphère d’enthousiasme et de confiance retrouvée. Et, du Moyen-Orient, ce sentiment se répercute sur le reste du monde, avec des résultats très différents : si, en effet, le traité de paix du Moyen-Orient imaginé pour 2020 est rendu possible par une action multilatérale renouvelée, le scénario de la peur est par contre caractérisé par l’incommunicabilité. L’exercice de Moïsi est certainement peu conventionnel, mais il fait comprendre immédiatement combien la question israélo-palestinienne est importante pour la région et pour le reste du monde. C’est comme ces processus informatiques qui démarrent en arrière-plan : même quand l’utilisateur ne les voit pas, ils continuent à agir, à consommer des ressources et à ralentir le système. Et après l’échec de l’initiative Kerry, le rideau semblait vraiment être baissé sur la question israélo-palestinienne, jusqu’à la visite de François. Le Pape a rappelé la position de principe du Saint-Siège en faveur de deux États, mais il s’est bien abstenu de fournir une solution politique pré-confectionnée. Il l’a dit clairement aux journalistes durant le voyage du retour : « Vraiment, je ne me sens pas compétent pour dire ‘qu’on fasse ceci ou ceci ou cela’, parce que ce serait une folie de ma part. Mais je crois qu’on doit emprunter le chemin des négociations avec honnêteté, fraternité et confiance mutuelle. Et là, tout se négocie : tout le territoire, et aussi les relations ». Il suffit de lire les commentaires pour voir combien cette visite a attiré l’énervement : accusations d’équilibre raté, un article très dur du Jerusalem Post qui déclarait désormais que l’âge d’or des rapports entre juifs et chrétiens était terminé, la politisation toujours aux aguets, jusque dans les détails parce que – comme le commentait le P. Neuhaus vicaire patricarcal pour les catholiques de langue hébraïque – « chacun essaye de tirer le Pape vers lui, et Dieu aussi ». François a choisi de se situer à un autre niveau, celui des symboles. Durant le vol de retour, les journalistes lui ont demandé s’ils les avaient préparés et il a répondu non. « Les gestes, ceux qui sont les plus authentiques, sont ceux auxquels on ne pense pas, ceux qui viennent comme ça, non ? J’ai pensé : on pourrait faire quelque chose [...] mais le geste concret, aucun de ceux-ci n’a été pensé ainsi. Mais ils n’ont pas été réfléchis et [...] je ne sais pas, il me vient à l’idée de faire quelque chose, mais c’est spontané, c’est ainsi ». La rencontre des deux présidents israélien et palestinien s’est aussi modifiée au dernier moment en un temps de prière. Mais ce geste ne signifie pas mouvement sentimental, ce n’est pas un appel lancé dans le vide. Il sert à reconstruire un minimum de confiance réciproque, parce que sans elle, s’asseoir à la table des négociations n’est pas seulement inutile, c’est contre-productif. Les gestes ont une valeur de témoignage (ou de contre-témoignage, comme la date de Pâque qui diffère entre catholiques et orthodoxes, à propos de laquelle François a demandé d’atteindre rapidement un accord). Ils touchent les émotions, comme dirait Moïsi, et donc ils orientent les choix, aussi ceux politiques. Il est curieux que dans l’année 2025 imaginée par le politologue français, tous les grands acteurs mondiaux (États-Unis, Russie, Chine, Inde et même l’Union Européenne) sont nommés, excepté un seul : les chefs religieux. Le pape François a montré que c’est une grave erreur de ne pas les prendre en considération. Ils peuvent mobiliser les consciences et François l’a fait. C’est un grand communicateur, tout le monde le reconnaît. En termes chrétiens, on peut dire : il a un charisme.