Pour s’accréditer comme une entité étatique, Daech a partagé des territoires qu’il occupe et d’autres qu’il ne contrôle pas en wilâyat

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:09

En juin 2014, le groupe terroriste de l’État islamique a proclamé la restauration du “califat” dans les zones qu’il a conquises entre la Syrie et l’Irak. À la différence d’autres groupes terroristes, les jihadistes du “califat” ont pour ambition de créer un État. Pour essayer de réaliser ses ambitions, l’État islamique a instauré un système administratif qui prévoit la subdivision du territoire en provinces, en arabe wilâyat, en s’inspirant de la vieille division du Califat ottoman (1517-1924) et, au-paravant, du Califat abbasside (750-1258). La mise en place des provinces a surtout une valeur de propagande, car elles ne correspondent pas à une réelle administration bureaucratique des territoires par l’État islamique et encore moins à la distribution de services à la population. Les zones en Irak où s’étend le “califat” comprennent plusieurs provinces réelles, al-Anbâr, Diyâlâ, Salâh al-Dîn, al-Furât (les zones entre la Syrie et l’Irak, le long du fleuve Euphrate), al-Fallûja, Nînawâ (Ninive), al-Jazîra, Dijla (le Tigre), et d’autres purement virtuelles parce qu’en réalité elles sont contrôlées par le gouvernement de Baghdad (al-Janûb, “le sud”, et Baghdad) ou par les kurdes (Kirkûk). En Syrie, en revanche, l’État islamique a institué les provinces d’Alep, al-Raqqa (sa capitale), al-Khayr (auparavant la province de Deir Ezzor), al-Baraka (précédemment al-Hasaka), al-Bâdya (à l’origine Homs) et Damas. Dans ce cas aussi, certaines provinces sont virtuelles parce qu’en réalité elles sont contrôlées par le gouvernement de Damas, dont, précisément, la province de Damas, ou disputées avec d’autres forces rebelles. Une telle division “administrative”, mise à jour le 17 décembre 2015 est continuellement en évolution : plusieurs provinces proclamées en 2014 n’existent plus aujourd’hui (comme la province de al-Sâhil – le littoral, dans la région de Lattaquié en Syrie) tandis que d’autres ont été une nouvelle fois partagées (par exemple la province de Nînawâ en Irak a été partagée en trois provinces: Nînawâ, al-Jazîra et Dijla). En outre, l’État islamique a reconnu dix autres provinces en dehors de l’Irak et de la Syrie : Libye, Égypte, Algérie, Nigeria, Yémen, Arabie saoudite, Russie, Afghanistan et Pakistan. De ces provinces, seule une partie des libyennes et celle située au Nigeria exercent un contrôle réel sur le territoire. En plus de ces wilâyât, beaucoup d’autres organisations ont juré fidélité à Abu Bakr al-Baghdadi, sans que lui ne les reconnaisse. Pour terminer, il y a plusieurs groupes qui ont déclaré leur soutien à l’État islamique mais qui n’ont pas juré fidélité au “calife”. Ci dessous, une brève présentation des dix provinces proclamées par l’État islamique extérieures au noyau originel du “califat” en Irak et en Syrie. Libye Wilâyat Barqa (Cyrénaïque) C’est le 10 novembre 2014 que Abu Habeeb Al-Jazrawi, un saoudien arrivé à Derna à la mi-septembre avec d’autres moudjahidines déclarait fidélité au “calife”. Le 13 novembre, al-Baghdadi acceptait leur déclaration de fidélité, faisant ainsi naître la province de Cyrénaïque, en arabe wilâyat Barqa – qui doit sa dénomination au nom attribué à la région orientale de la Libye dans le passage de la domination romaine à l’islamique. Selon certaines sources, la province compte 800 combattants et gère une demi-douzaine de camps aux alentours de la ville où s’entraînent les combattants en provenance d’Afrique du Nord. Le nombre de militants dans la province a augmenté avec le retour de Syrie et d’Irak de plus de 300 jihadistes libyens, qui faisaient partie de la Brigade al-Battar, d’abord établie à Deir Ezzor en Syrie, puis à Mossoul en Irak. Une fois rentrés, les militants se sont affiliés au Conseil consultatif des jeunes de l’Islam, un groupe pro-Daech qui s’est formé à Derna en mars 2014. De nombreux jihadistes tunisiens ont rejoint la province de Barqa, fuyant la Tunisie lorsque en 2013 le gouvernement a interdit le mouvement Ansar al-Sharia. Wilâyat Fazzân (Fezzan) On sait peu de choses sur la province de Fezzan, en Libye du sud-ouest. Les militants de cette wilâya désertique sont les auteurs d’attaques contre des gisements de pétrole et d’enlèvements d’ouvriers. Un des commandants de l’attaque du gisement pétrolifère de al-Mabrouk de février 2015 était un ancien membre de la brigade Tariq Bin Ziyad, groupe affilié à al-Qaeda au Maghreb (Aqmi) conduit par Abdelhamid Abu Zayd, un terroriste et trafiquant de drogue d’origine algérienne, mort en février 2013 au Mali durant un affrontement entre les combattants islamistes et les troupes françaises et tchadiennes. Wilâyat Tarâbulus (Tripoli) Comme les deux autres provinces libyennes, la province de Tripoli a aussi obtenu la reconnaissance du “calife” le 13 novembre 2014. La wilâya a son bastion dans la ville de Syrte, où l’organisation Ansar al-Sharia a déclaré fidélité à al-Baghdadi, même si elle a déserté peu de temps après. Le leader spirituel de la province est Hassan Karami, connu aussi comme Abu Mu‘awiya al-Libi, tandis que le gouverneur serait un homme d’origine tunisienne, Abu Talha al-Tunisi. Les militants de la province ont revendiqué l’attentat contre l’hôtel Corinthia de Tripoli le 27 janvier 2015. Égypte Wilâyat Sînâ’ (Sinaï) Le 10 novembre 2014, un jihadiste non identifié de l’organisation Ansar Bayt al-Maqdis (Abm), active depuis 2011 dans la péninsule du Sinaï jurait fidélité à al-Baghdadi. Ensuite, le groupe s’est divisé : Abm dans la Vallée du Nil est en effet restée fidèle à al-Qaida. La province du Sinaï a été proclamée par le “calife” quelques jours après, le 13 novembre. Selon les estimations, les militants de la Province sont environ 1.000-1.500. Le groupe a revendiqué avoir abattu l’avion russe au Sinaï le 4 novembre 2015. Algérie Wilâyat al-Jazâ’ir (Algérie) Le groupe armé Jund al-Khilâfa (Les soldats du califat) a pris ses distances de al-Qaeda dans le Mahgreb (Aqmi) et a juré fidélité à l’État islamique le 10 septembre 2014. Khaled Abu Suleimane a pris le leadership du nouveau groupe. Il déclarait dans une vidéo en s’adressant au “calife”: “Des hommes sont à tes ordres au Maghreb islamique”. La province d’Algérie a été proclamée le 13 novembre 2014. Les militants de la wilâya ont revendiqué l’enlèvement et la décapitation du français Hervé Gourdel qui s’est produite en septembre 2014. L’organisation figure sur la liste des groupes terroristes établie par le gouvernement américain. Afghanistan et Pakistan Wilâyat Khurâsân (Khorasan) La Province du Khorasan, entre l’Afghanistan et le Pakistan, a été proclamée en janvier 2015. En octobre 2014, Hafiz Saeed Khan, ex-commandant du mouvement Tehrik-e Taliban (TTP), jurait fidélité au “calife” dans une vidéo diffusée seulement le 10 janvier 2015 par le groupe Khorasan Media, et qui montre l’exécution d’un soldat pakistanais. Le porte-parole du groupe est l’ancien taliban pakistanais Sheykh Maqbool, mieux connu sous son nom de guerre Shahid Shahidullah. Russie Wilâyat Qawqâz (Caucase) La Province du Caucase a été proclamée le 23 juin 2015 par Abu Monammed al-Adnani – porte-parole de l’État islamique. L’annonce a été donnée suite à la diffusion sur Twitter d’un message audio en russe dans lequel les partisans de Daech dans les régions du Daguestan, de la Tchétchénie, de l’Ingouchie et du KBK (Kabardino, Balkarie et Karachay) juraient fidélité à al-Baghdadi. Une telle annonce a de fait placé Daech contre l’Émirat islamique du Caucase (ICE), un affilié de al-Qaeda qui depuis 2007 agissait dans la région montagneuse de la Russie sud-occidentale. Le leader de la nouvelle province est Rustam Asilderov, un des anciens chefs de l’Émirat islamique du Caucase. La province du Caucase a revendiqué l’attaque contre une base militaire russe dans le Daguestan méridional qui s’est produite le 2 septembre 2015. Nigeria Wilâyat Gharb Ifrîqiyâ (Afrique occidentale) La Province de l’Afrique occidentale (Iswap) a été proclamée le 7 mars 2015 après que Abubakr Shekau, leader de Boko Haram, jure fidélité au “calife” en février. Initialement, le groupe a continué à utiliser sa dénomination officielle, Jama‘at Ahl al-Sunna lil-da‘wa wa al-Jihad, plus communément connu comme Boko Haram, expression qui dans la langue locale Hausa signifie “l’instruction occidentale est interdite”. Selon une estimation de Amnesty Internatinal le groupe est formé d’environ 15.000 membres. Yémen Wilâyat Yaman La Province du Yémen a été proclamée le 13 novembre 2014. Au Yémen, l’État islamique a su profiter du vide de pouvoir qui s’est créé lorsque les Houtis, chiites zaydites rebelles du nord du pays, ont perdu le contrôle de la capitale Sanaa à la fin de 2014, et du conflit sectaire entre sunnites et chiites. Contrairement aux autres provinces, dans ce cas, al-Baghdadi n’a pas nommé officiellement de leader. Les experts l’ont cependant identifié dans la personne du saoudite Abu Bilal al-Harbi. La province est divisée en six sous-provinces: Sanaa, Ibb e Taiz, Lahij, Aden, Shabwa, Ha-dramawt et al-Bayda. Arabie saoudite Wilâyat Najd (il Najd) et wilâyat Haramayn (les deux Villes saintes) La Province du Najd, en Arabie saoudite centrale, et la Province des deux villes saintes, à savoir la Mecque et Médine, ont été proclamées le 13 novembre 2014 lorsque les “Moudjahidine de la pé-ninsule arabe” ont juré fidélité à l’État islamique et accusé d’apostasie les gouvernants saoudiens. Les militants de la Province du Najd ont revendiqué l’attentat contre les mosquées chiites de Damman, chef-lieu de la Province orientale de al-Sharqiyya, le 29 mai 2015, et celui, qui le précé-dait de peu, du village de al-Qadeeh, près de al-Qatif. En outre, le groupe a revendiqué l’attentat du 26 juin 2015 contre la mosquée chiite de Koweït City.