Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:58
Auteur: John Witte jr.
Titre: The Reformation of Rights. Law, Religion and Human Rights in Early Modern Calvinism
Éditeur: Cambridge University Press, Cambridge 2007
L'ouvrage à succès de John Witte apporte une contribution significative à l’histoire de la pensée juridique et à sa relation avec les phénomènes de renouveau ou de réforme religieuse en Occident. L’auteur a inauguré depuis longtemps un domaine de recherche qui a transformé le Centre dont il est le directeur – le
Center for the Study of Law and Religion de l’Université d’Emory, Atlanta – en un pôle d’excellence mondiale. À l’instar de ses travaux sur Luther et le protestantisme, l’approfondissement sur le premier calvinisme donne un apport formidable à la compréhension du lien entre l’histoire religieuse de l’Occident et les événements politiques.
Au moins depuis le début du XX
ème siècle, il apparaissait clairement que le droit et la politique en Europe et en Amérique du Nord étaient débiteurs à la religion en ce qui concerne la terminologie, les allusions et les concepts. Witte atteste brillamment qu’un tel lien n’est pas accidentel. L’auteur conduit le lecteur à travers la Genève de Calvin, premier laboratoire où furent appliquées les idées du penseur et de son continuateur Bèze ; il passe ensuite au classique de la pensée politique que fut Althusius ; il illustre la contribution intellectuelle du poète John Milton pour terminer en se consacrant aux établissements des puritains de l’Amérique septentrionale.
Witte montre la vitalité de la réforme luthérienne sous le profil politique et juridique, en décrivant ses fronts d’expansion. Mais surtout, il illustre la manière dont l’évolution du calvinisme politique croise les événements historiques qui introduisent l’Occident dans la modernité. Calvin, et puis Bèze, déclinent la pensée de Luther en termes juridiques, ouvrant la voie à une expérience qui sera discutée pendant des siècles. Althusius offre une formidable justification idéologique à la lutte pour l’indépendance des flamands et contribue, aussi bien d’un point de vue conceptuel, à la fin de la Grande Espagne. Par la suite, l’inécouté John Milton proposera des arguments de réflexion et des suggestions auxquels les théoriciens et même les politiciens puiseront abondamment : les Constitutions du New England se révèlent des exemples de génie juridique largement influencée par le calvinisme. Des thèmes entiers du constitutionnalisme et de la théorie générale du droit émergèrent, de manière désordonnée et parfois même intermittente, de l’histoire religieuse. La souveraineté, le fédéralisme, la liberté, la séparation de l’État et de l’Église sont des concepts dotés d’une densité particulière et d’un caractère polysémique propre à la contribution entre différentes confessions chrétiennes.
Les recherches sur le protestantisme et sur le calvinisme de Witte ont jusqu’à présent confirmé ses intuitions : les origines du droit moderne doivent être reconsidérées. Quant aux droits de l’homme, à la centralité du droit et aux valeurs du constitutionnalisme moderne, l’illuminisme et la révolution française d’un côté, et la révolution américaine de l’autre, ne surgissent pas en opposition à ce qui les a précédés, mais ce sont des moments-clés qui relancent les contenus de la réflexion politique et juridique. Le travail du penseur canadien installé à Atlanta a de nombreux mérites d’ordre général outre au fait qu’il offre une étude approfondie de certains des courants principaux du calvinisme. Parmi ces nombreux mérites se distingue la confirmation que les droits de l’homme et le constitutionnalisme ne naissent pas de la libération de l’homme de la religion, mais justement de sa foi.
Le travail acquiert encore davantage de valeur si l’on considère l’effort de l’homme Witte : il a porté un regard objectif et sincère non pas sur un objet quelconque, mais sur sa tradition religieuse. Sans passer sous silence le bûcher de Servet, Witte montre combien l’adhésion à une tradition n’est pas un obstacle à la recherche, mais une raison pour l’explorer à fond. Comme son prédécesseur Calvin, il s’est d’abord intéressé à la recherche du vrai, persuadé que la propre tradition représente un trésor à valoriser et convaincu que séparer complètement la religion des droits de l’homme appauvrit et l’une et les autres.