Après la défaite militaire de l’État islamique, les chrétiens retournent dans le nord de l’Irak. Nous en avons parlé avec le nouvel archevêque chaldéen de Mossoul
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:58:56
Forcés de fuir par l’avancée de Daech, après cinq ans les chrétiens retournent à Mossoul et dans la plaine de Ninive. Depuis janvier, la ville a de nouveau un archevêque chaldéen, Najib Mikhael Moussa, qui avant de devenir pasteur des hommes a mis en sécurité leur patrimoine culturel.
Entretien recueilli par Chiara Pellegrino
En Irak, Daech a été vaincu du point de vue militaire. Les chrétiens sont-ils en train de revenir à Mossoul et dans la plaine de Ninive ?
Plus de 80 % de chrétiens sont déjà rentrés dans la plaine de Ninive mais pas à Mossoul car la ville n’est pas encore tout à fait sûre. Beaucoup de familles ont essayé de rentrer dans la ville mais après une semaine elles sont retournées à Erbil ou dans la plaine de Ninive parce qu’elles ne se sont pas senties en sécurité. C’est pourquoi pour le moment à Mossoul il y a à peu près 40 ou 50 familles seulement. Dans la plaine de Ninive 6 ou 7 villages ont accueilli les chrétiens, ce sont des villages de Shabak [groupe ethnolinguistique minoritaire d’Irak, NdlR] et des villages mixtes où des familles musulmanes cohabitent avec des familles chrétiennes, comme Qaraqosh, Karamles, Batnaya et Talkief.
Quelles sont les relations entre chrétiens et musulmans irakiens, en particulier avec les chiites ?
Il y a des musulmans sunnites et chiites à Mossoul et dans la plaine de Ninive. À Mossoul ils sont majoritairement sunnites tandis que dans la plaine de Ninive sont en majorité chiites. Aujourd’hui des milices chiites qui représentent le gouvernement dominent toute la région au plan militaire. La relation entre les chrétiens et les musulmans dépend des jours et des lieux ; beaucoup de lieux dans la plaine de Ninive sont disputés par les sunnites et les chiites qui veulent s’imposer sur les territoires des chrétiens. Donc il y a pas mal d’injustices et d’intimidations de la part de beaucoup de familles qui veulent mettre la main sur les terres des chrétiens qui sont là depuis 2000 ans.
Comment comptez-vous reconstruire la confiance et la coexistence entre les différentes composantes de la société ?
Depuis mon ordination comme archevêque de Mossoul le 18 janvier dernier et puis l’installation, j’ai dit clairement que nous voulons tendre la main et tendre des ponts entre les religions et les ethnies, pour dépasser le passé et vivre le présent en fraternité, et bâtir Mossoul la main dans la main. Les églises de Mossoul étaient en grand partie détruites, parmi les gens qui ont nettoyé et raccroché les croix il y avait beaucoup de jeunes musulmans.
Dans le Document sur la fraternité humaine signé par le Pape François et le Grand imam d’al-Azhar à Abou Dhabi, on invoque la notion de la pleine citoyenneté et la renonciation à l’usage du terme « minorités ». Cette déclaration peut-elle signifier quelque chose également pour les musulmans et les chrétiens d’Irak ?
La déclaration du Pape et de l’imam d’al-Azhar a été un acte courageux et un pas vers l’avant très positif, les chrétiens et aussi bien les musulmans le voient de bon œil. À mon avis cette déclaration commence déjà à donner des fruits : à la radio et dans les médias des musulmans et même le gouvernement commencent à utiliser ce langage de fraternité humaine et s’éloigner des déclarations fanatiques et des prêches des mauvais prophètes. Nous avons beaucoup d’espoir que cette déclaration va porter des fruits très bientôt.
Avant de devenir archevêque vous avez fondé le Centre numérique des manuscrits orientaux de Mossoul. Comment est née l’idée de créer ce centre ?
Cette idée est née en 1989 dans le couvent des dominicains, où j’ai commencé à collectionner des manuscrits et des livres anciens, des documentations et des correspondances pour les protéger et les scanner. Ce centre que nous avons lancé en 1990, garde aujourd’hui 8 000 manuscrits et plus de 40 000 documents numérisés, qui appartiennent à des églises, des monastères, des couvents en Irak et à plusieurs églises de différentes confessions. Nous avons aussi des manuscrits musulmans, yézidis et mandéens. Beaucoup d’entre eux remontent au XIe et XIIe siècle. Il y a aussi bon nombre de dictionnaires de grande importance, de manuscrits de philosophie, d’astrologie et d’astronomie, il y a des Bibles, des vies des saints et des textes liturgiques très rares qui remontent au XIIIe et XIVe siècle. En 2007 nous avons déplacé toute la collection à Qaraqosh, un village 30 chilomètres de Mossoul. Nous avions déjà été menacés et attaqués plusieurs fois par les djihadistes d’al-Qaïda et d’autres. Le 6 août 2014, avec l’avancée de Daech vers la plaine de Ninive, la collection a été déplacée à Erbil dans le Kurdistan irakien. Aujourd’hui elle est saine et sauve, comme les hommes. On a pu sauver les deux ensembles, les êtres humains et leur culture. Ce patrimoine irakien et mondial est devenu nomade, comme la population chrétienne, qui est elle aussi nomade.
Il y a beaucoup de tensions entre les partis politiques chrétiens et l’église caldéenne d’Irak, qui est accusée d’ingérence dans la vie politique chrétienne du pays. Qu’est-ce qui se passe exactement et quelle est la position de l’église vis-à-vis du problème ?
La tension est entre les partis politiques et l’Église en générale, non pas seulement avec l’Église caldéenne. Peut être que ça se voit un peu plus envers l’Église caldéenne parce qu’elle est majoritaire et nous avons un patriarche qui est fort, très ouvert et qui veut la réconciliation entre les partis politiques, l’Église et le gouvernement. C’est la raison pour laquelle il y a beaucoup de tensions de la part des partis politiques qui veulent s’imposer sur le terrain. L’Église a toujours pris une position ouverte, elle défend le droit de chaque citoyen et de chaque chrétien, qui soit catholique ou non catholique, chaldéen ou non caldéen. Ces partis dérangent un petit peu l’ensemble dans le sens où il n’y a pas une coordination entre eux pour montrer une unité chrétienne. Mais comme archevêque de Mossoul je dis que nous essayerons de travailler avec les musulmans, les chrétiens et toutes les parties, pour l’aujourd’hui et le demain. Nous voulons vivre la paix et nous essayerons toujours de construire des bonnes relations.