Des jeunes victimes du recrutement islamiste : de l'enrôlment au retour à la maison

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:28:34

comment sortir.jpgCompte rendu de Dounia Bouzar, Comment sortir de l’emprise «djihadiste»?, Les Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine 2015

Après Désamorcer l’Islam radical et Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer, Dounia Bouzar rapporte dans ce nouvel essai l’expérience vécue sur le terrain avec les activités du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI), qu’elle dirige : ce qui lui a permis d’entrer en contact avec 400 parents de garçons et de filles tombés victimes du recrutement djihadiste. La première partie du volume parcourt les étapes du processus d’enrôlement, la seconde, en revanche, raconte comment elle est parvenue avec son équipe à « ramener à la maison » des jeunes devenus des combattants « sur la voie de Dieu ».

Tout commence avec l’habileté des recruteurs à se glisser dans la vie la plus intime de jeunes de 15 à 25 ans, d’en découvrir le point faible et, sur ce point-là, élaborer leur stratégie de séduction. Ils misent sur le sentiment de malaise commun à beaucoup d’adolescents et s’en servent comme d’un levier pour en forcer toutes les défenses et créer une séparation entre le jeune et son réseau d’affections, d’amitiés, de relations. Une fois le jeune décroché de tout lien avec la réalité, ils le transforment en un automate prêt à tuer ou a se tuer.

Ces manipulateurs savent transformer le sentiment de marginalisation de beaucoup de ces jeunes en une preuve de leur « élection ». D. Bouzar souligne : « Les radicaux transforment un sentiment d’humiliation et d’infériorité en preuve de toute-puissance : ‘Si tu ressens un malaise avec les autres (tes amis, tes parents, tes professeurs…), c’est que Dieu t’a élu comme être supérieur qui détient la Vérité […]. Tu es différent des autres, tu as plus de discernement’ » (p. 12). Ce n’est pas toi le problème ; le problème, ce sont les autres : tel est le refrain qu’inculquent dans ces jeunes esprits des criminels comme l’émir Omar Omsen, l’un des plus habiles recruteurs de mineurs, surtout des gamines.

Et à partir de là, commence la descente aux enfers. Ils se servent de vidéos hollywoodiennes qui insistent sur la théorie du complot contre l’Islam, sur la méchanceté de l’Occident, sur l’imminence de la confrontation finale et de la fin du monde.À un certain point du lavage de cerveau, « la paranoïa s’installe. Ainsi, il faut combattre les croyances païennes et la foi chrétienne […] » (p. 47). En effet, seuls les purs ont une chance de salut après la fin du monde. Pour faire partie de cette élite, le jeune abandonne toutes ses vieilles habitudes « païennes », et rompt de façon drastique avec famille et amis. C’est le tournant vers la totale dépersonnalisation des adolescents et des adolescentes. Mais tout n’est pas perdu. En entrant dans leurs maisons, en parlant avec les mères, les pères ou les frères, D. Bouzar parvient à recomposer les fils de chaque histoire et tente de ramener le djihadiste à la réalité d’où il était sorti. Elle ne le fait pas en l’encourageant à « raisonner », ou en le convainquant avec des arguments théologiques, mais en travaillant sur ses souvenirs et ses émotions les plus profondes.

Toutefois, D. Bouzar débarrasse aussi le terrain d’équivoques possibles, en montrant l’insuffisance d’une approche uniquement psychologique ou sociologique au phénomène des foreign fighters, et en soutenant une méthode interdisciplinaire, qui arrive à tenir compte également du facteur religieux. Et certains cas de récupération confirment son hypothèse, même si la blessure d’un jeune qui revient à la normalité après sa fugue dans l’irrationnel reste profonde. Une note, rapportée par D. Bouzar elle-même, mérite d’être citée : les médias et bon nombre d’intellectuels français ne lui ont pas épargné des attaques pour le mode avec lequel elle affronte la question, abattant des stéréotypes consolidés. Son activité et ses livres montrent en effet que les djihadistes ne sont pas recrutés uniquement parmi les musulmans des périphéries déshéritées, mais aussi parmi de jeunes athées et des jeunes appartenant à des familles bourgeoises aisées (40 % des familles qui se sont adressées au Centre se déclarent athées, 40 % catholiques, 19 % musulmanes, 1 % juives). Mais les critiques ne l’ont pas arrêtée, et elle continue, par son travail, à secouer une France commodément installée dans son orgueil laïque. Comme lorsqu’elle écrit que pour ces jeunes, « l’engagement et le combat donnent du sens à leur existence », peut-être parce qu’ailleurs, il n’est pas si facile de trouver une raison pour laquelle donner sa propre vie.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Maria Laura Conte, « « Dieu t’a choisi » : dans le cœur des jeunes djihadistes», Oasis, année XI, n. 22, décembre 2015, pp. 134-135.

 

Référence électronique:

Maria Laura Conte, « « Dieu t’a choisi » : dans le cœur des jeunes djihadistes », Oasis [En ligne], mis en ligne le 27 janvier 2016, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/dieu-t-choisi-dans-le-coeur-des-jeunes-djihadistes.

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