Les oulémas du Moyen Âge ont pensé la liberté religieuse à l’intérieur d’un paradigme hégémonique. Aujourd’hui, ils cherchent souvent à proposer de nouveau ce paradigme dans le droit positif des États
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:57:25
Il existe une forte tension dans l’Islam contemporain sur la manière de considérer le droit musulman médiéval, son interaction avec le droit positif et la réception des traités internationaux touchant les droits de l’homme. Une bonne partie du droit musulman est devenue obsolète au fil du temps, surtout dans le domaine pénal : ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la réactivation de sa portée effective dans le droit positif des pays islamiques.
À début du mois d’octobre 2010 se tenait la session d’ouverture du forum culturel du Haut conseil aux affaires islamiques d’Égypte. Muhammad ‘Abd-al-Ghanî Shâma[1], conseiller à la culture du ministre des Cultes, y rendait un avis consultatif (fatwâ) selon lequel la religion relevait d’un choix personnel, libre, et que l’État devait garantir le libre exercice de cette liberté en s’interdisant d’exercer une quelconque contrainte sur les gens dans ce domaine. Il considérait également que l’avis juridique islamique selon lequel l’apostat devait être mis à mort n’avait aucun fondement coranique, se basant en cela sur le passage suivant : « Très certainement, ceux qui ont cru, puis ont nié, puis ont cru, puis ont nié, puis ont persisté dans le reniement, Dieu ne sera pas prompt à les absoudre ni à les guider sur le chemin » (4,137)[2].
Ses propos n’ont pas tardé à provoquer une polémique dans les médias et auprès de l’opinion publique du pays. Le ministre des Cultes de l’époque Mahmûd Hamdî Zaqzûq, absent lors de cette session, affirmait dans les médias nationaux[3] que cet avis personnel de son conseiller ne reflétait pas la position du ministère. Ce n’était pas la première fois que le ministre recadrait son conseiller, dont les positions sur certaines questions relatives à la liberté de culte avait déjà fait l’objet de vives critiques, notamment son soutien[4] à Amina Wadud, musulmane canadienne et première femme de l’époque contemporaine à avoir présidée une prière collective mixte. De leur côté, plusieurs grands leaders religieux égyptiens se sont empressés de rappeler que les textes de l’Islam étaient parfaitement clairs sur la nécessité de mettre à mort l’apostat dans le sens où, par son acte même, il portait atteinte à la pureté de la société musulmane.
Cette polémique ne relève pas de l’anecdote ; pour la seule Égypte, sur les quinze dernières années, on peut constater l’alternance des déclarations contradictoires sur le respect ou la restriction de la liberté religieuse entre les muftis de l’État, les muftis d’al-Azhar, le ministère des Cultes, le Conseil de la fatwa égyptien et les leaders religieux des différentes tendances de l’Islam[5]. Selon le Conseil de la fatwa égyptien : « La problématique de la mise à mort de l’apostat n’est pas appliquée dans la réalité de la vie pratique. Le fait que ce châtiment soit toujours présent dans les sources de la législation musulmane ne constitue pas une peine légale à l’encontre de la liberté de penser et de croyance. Bien au contraire, elle se soumet au droit positif »[6].
Le débat est d’ailleurs récurrent dans le monde musulman, en témoigne la dernière controverse relative à l’avis émis, en 2012, par le Haut conseil des savants marocains. En réponse à une demande du ministère des Affaires religieuses au sujet du respect des droits de l’homme, le Conseil avait confirmé la nécessité d’appliquer les dispositions du droit musulman classique relatives à la mise à mort de l’apostat. La pression d’une partie de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme, et certainement des autorités marocaines elles-mêmes, ont eu raison de cet avis puisque le Conseil a fait paraître un avis correctif, publié dans le document La voie des savants[7], restreignant la notion d’apostasie à l’individu qui, au-delà de son choix personnel, tente de déstabiliser la société en cherchant à porter atteinte à la foi des autres et à l’intégrité de la société. Muhammad al-Fizâzî, leader salafiste marocain, s’est empressé de dénoncer cet avis correctif en estimant que le verset coranique stipulant « point de contrainte en religion » (2,256) ne contrevenait pas à la nécessité de mettre à mort l’apostat. La recension des débats qui traversent les pays d’Islam sur ce simple exemple dépasserait largement l’exercice imparti pour le présent article. Ceux-ci reflètent une tension majeure, dans le champ islamique contemporain, sur la façon d’envisager le rapport au droit musulman médiéval (fiqh), son interaction avec le droit positif et l’intégration des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Si, historiquement, les savants de l’Islam ont interprété la notion de liberté religieuse à partir des textes de la tradition musulmane dans une perspective d’hégémonie religieuse, aujourd’hui les leaders religieux musulmans tentent de redéfinir un champ de restriction des libertés individuelles en cherchant à pérenniser cette logique d’hégémonie dans le droit positif des pays d’Islam.
Interpréter les textes en contexte hégémonique
La problématique de la liberté de conscience, qui inclut la liberté religieuse, dans le champ islamique au cours de la période médiévale, peut être abordée selon des perspectives différentes : le droit, l’exégèse, la philosophie, l’histoire de la civilisation musulmane et les modes de gouvernance, ou siyâsa shar‘iyya. Le croisement de ces approches permet de comprendre la façon dont l’Islam est passé progressivement d’une communauté de fidèles rassemblés autour du Prophète, dans un contexte tribal ayant ses codes spécifiques, à une religion instituée dont les fondements doctrinaux ont été forgés dans un contexte impérial. Cette évolution historique a eu un impact certain sur la façon dont les savants de l’Islam ont pensé la question de l’unité de la « communauté » et la prise en compte de l’altérité religieuse, sur fond de ce que je nomme le « paradigme hégémonique » [8].
J’utilise ce vocable pour décrire une vision du monde, forgée par les savants de l’Islam à l’époque médiévale, pour transposer la façon dont le rapport de domination que Dieu entretient sur la création doit se traduire par le rapport de domination que les musulmans sont censés entretenir dans leur rapport au monde. C’est à partir de ce prisme de départ que la question de la liberté de conscience et de sa restriction doit être envisagée dans la mesure où la vision du rapport à l’autre dans une relation de domination, dans le droit musulman classique, se traduit par la définition des statuts du non-musulman – « protégé », ou dhimmî ou belligérant – et des modalités de sa soumission au musulman. Dans tous les cas, affirmer d’emblée que l’Islam, ou tout autre monothéisme d’ailleurs, dans son contenu normatif comme dans ses aspects civilisationnels, respecte la liberté de conscience absolue, au sens où l’entend la Déclaration universelle des droits de l’homme, relève de l’anachronisme ou de l’extrapolation anhistorique.
Durant le laps de temps qu’a duré sa prophétie, Muhammad s’est conformé majoritairement aux modes de régulation des relations intertribales qui préexistaient à l’avènement de l’Islam. Le texte coranique en détaille quelques aspects, notamment sur les plans économique, pénal ou encore dans la gestion des conflits et des guerres. Différents passages du Coran insistent sur la dureté du châtiment, dans l’au-delà, pour les négateurs du message, comme pour mieux affirmer l’impossibilité de contraindre à la foi par la force, ce qui reflétait d’ailleurs la réalité de la vie tribale dans l’Arabie du VIIe siècle dans laquelle l’individu libre ne pouvait être contraint en dehors des alliances contractées par son clan[9]. De ce point de vue, le verset du Coran qui stipule « point de contrainte en matière de religion » (2,256) est particulièrement explicite. Cependant, par la suite, les principales dispositions du droit musulman encadrant la liberté de conscience ont été forgées sur une période allant du début de l’empire omeyyade, au milieu du VIIe siècle, jusqu’au Xe siècle, dans une logique de préservation de l’unité politique des sociétés sous domination musulmane. C’est dans ce laps de temps que sont constituées les quatre principales écoles de droit musulman ainsi que les disciplines relatives aux fondements du droit et aux canons théoriques et pratiques. Il n’y a ici rien de spécifique à l’Islam dans la mesure où cette situation était similaire dans l’aire géographique de la chrétienté, dans un contexte général d’assujettissement des populations à la religion du prince.
En ce qui concerne l’élaboration des règles encadrant la liberté religieuse stricto sensu, le Coran et la tradition prophétique représentent un support suffisamment polysémique pour supporter une amplitude interprétative assez large. L’imam al-Qurtubî[10], savant andalou du XIIIe siècle et auteur de l’une des plus célèbres exégèses normatives du Coran, nous en donne un aperçu assez exhaustif en présentant six interprétations différentes, parfois clairement antagonistes, du verset précité sur la liberté de religion :
Les savants ont divergé au sujet de la signification de ce verset en six avis :
- Certains affirment qu’il est abrogé (âya mansûkha), cela parce que le Prophète a contraint les Arabes à adopter la religion musulmane et il les a combattus en n’acceptant d’eux autre chose que l’Islam. C’est l’avis de Sulaymân ibn Mûsâ lorsqu’il affirme que [ce verset] a été abrogé par le verset « Oh, toi le Prophète, combats les négateurs et les hypocrites » (9,73). […]
- Le verset n’est pas abrogé, mais il a été révélé spécifiquement au sujet des Gens du Livre, sachant qu'ils ne doivent pas être contraints à adopter l’Islam lorsqu’ils s’acquittent de la jizya. Par contre, les adorateurs d’idoles sont pour leur part contraints, et on n’accepte d’eux autre chose que leur conversion à l’Islam. C’est d’ailleurs à leur sujet qu’a été révélé le verset « Oh, toi le Prophète, combats les négateurs et les hypocrites ». […] L’argument en faveur de cet avis réside dans ce qu’a rapporté Zayd Ibn Aslam, de son père, lorsqu’il dit « J’ai entendu ‘Umar ibn al-Khattâb dire, à une vieille dame chrétienne : ‘Convertis-toi [à l’Islam], oh, vieille dame, tu seras saine ! Dieu a certainement envoyé Muhammad avec la vérité’. Elle lui répondit : ‘Je ne suis qu’une vieille dame et ma mort approche’. ‘Umar dit : ‘Seigneur, je te prends à témoin !’ puis il récita : ‘Point de contrainte en religion’ ».
- Le troisième avis réside dans ce qu’a rapporté Abû Dâwûd d’après Ibn ‘Abbâs lorsqu’il affirme que le verset a été révélé au sujet des Ansâr [médinois convertis à l’Islam et protecteurs de Muhammad]. Certaines femmes [des Ansâr] souffraient de la mort de leurs enfants en bas âge si bien qu’elles faisaient le vœu, si leur enfant restait en vie, d’en faire un juif. Lorsque la tribu [juive] des Banû Nadîr fut expulsée [de Médine], il y avait en son sein beaucoup d’enfants de médinois [musulmans], si bien que ces derniers s’exclamèrent : « Nous ne laisserons pas nos enfants partir ! ». Dieu révéla alors : « Point de contrainte en matière de religion, car la droiture se distingue de l’égarement ». […]
- As-Suddî dit : « Ce verset a été révélé au sujet d’un homme, parmi les médinois, appelé Abû al-Husayn, qui avait deux fils. Des commerçants vinrent du Shâm à Médine pour vendre de l’huile. Lorsqu’ils étaient sur le point de quitter Médine, les deux fils de Abû al-Husayn vinrent à eux, et ils les invitèrent à se convertir au Christianisme. Les deux fils se convertirent et se joignirent à la caravane vers le Shâm. Leur père alla se plaindre à leur sujet auprès du Prophète, en espérant que ce dernier enverrait des hommes à leur rencontre afin de les ramener. C’est alors que fut révélé le verset « Point de contrainte en matière de religion », à une période où les musulmans n’avaient pas reçu l’ordre de combattre les Gens du Livre. Le Prophète dit : « Que Dieu les éloigne ; ces gens sont les premiers négateurs [parmi les musulmans] ». […]
- D’autres affirment que le sens du verset est : « Ne dites pas que les personnes converties [à l’Islam] sous le joug de l’épée ont été contraintes et forcées. »
- Ce verset a été révélé au sujet des captifs de guerre ; s’il s’agit des Gens du Livre, on ne les contraint pas à se convertir s’ils sont adultes. Mais s’il s’agit de mazdéens ou d’adorateurs d’idoles, qu’ils soient adultes ou enfants ils sont contraints à la conversion à l’Islam. Cela car celui qui les a capturés ne pourra en tirer profit s’ils demeurent idolâtres. N’as-tu pas vu que les bêtes qu’ils abattent ne peuvent être consommées [par les musulmans] et que leurs femmes leur sont interdites au coït ? Ils ont pour habitude de manger les bêtes mortes ainsi que les choses impures et bien d’autres. Ils répugnent leur maître, si bien qu’il lui est difficile de tirer profit d’eux, même s’ils font partie de son patrimoine. Il peut donc les contraindre [à se convertir à l’Islam] »[11].
L’exposé d’al-Qurtubî illustre parfaitement la grande amplitude interprétative du Coran et de la tradition prophétique concernant la liberté de choix religieux, pour le musulman comme pour le non-musulman, et les possibilités de sa restriction. On retrouve tout ou partie de ces six interprétations dans les exégèses coraniques jusqu’à aujourd’hui, ce qui indique une continuité, chez les oulémas, dans la vision du rapport de domination que l’Islam entretient avec le monde et de ses conséquences pratiques dans les canons du droit. Cela a conduit les docteurs de la loi à définir une équation entre, d’une part, le respect de la diversité des croyances, surtout monothéistes, et la liberté du culte et, d’autre part, la nécessité de maintenir une domination de la religion musulmane, en imposant des restrictions plus ou moins fortes à l’expression des identités religieuses. En trame de fond des débats sur le sujet, on trouve la question de l’allégeance au pouvoir politique et de la soumission du non-musulman. Ce dernier possède un statut de « protégé », ou dhimmî, qui lui confère une protection de la part de l’autorité musulmane, mais les textes des différentes écoles juridiques laissent une marge de manœuvre assez importante au chef politique dans la restriction des libertés des protégés.
Deux paradigmes en tension
Les dispositions du droit musulman concernant les non-musulmans sous domination musulmane et le statut de l’apostat sont loin d’avoir connu une application stricte, voire même effective, tout au long du Moyen Âge. L’empire ottoman, dans le cadre des réformes politiques et économiques qu’il opère au XIXe siècle, élargit les marges d’organisation intra-communautaire de ses populations non-musulmanes par le régime des millets. Mais nous ne sommes pas dans la vision d’un État-nation, au sein duquel la citoyenneté politique est découplée de l’appartenance religieuse. Les grandes catégorisations territoriales du droit musulman classique et le statut de dhimmî y sont ainsi demeurés présentes.
L’abolition du califat, le 3 mars 1924, et l’avènement des États nations va s’accompagner du développement d’un droit positif, en pays d’Islam, dont la codification reprend le système des codes en vigueur dans les pays occidentaux. Nous n’aurons pas la prétention de restituer ici la complexité des réformes juridiques qui ont été opérées en pays d’Islam[12]. La problématique du « réformisme » politique et religieux, initié au XIXe siècle en Inde, au Moyen-Orient et au Maghreb, a fait l’objet de plusieurs travaux universitaires. Un aspect nous intéresse plus particulièrement, c’est la volonté des grandes institutions religieuses musulmanes d’introduire progressivement les dispositions du droit musulman classique dans le droit positif des États, dans le but notamment d’aboutir à un droit unifié pour les pays d’Islam.
Le travail a débuté, dans la première moitié du siècle dernier, par les tentatives de codification (taqnîn) du fiqh [jurisprudence islamique, NdlR], sur le modèle des codes séculiers, en maintenant la disparité des droits entre catégories de population : hommes/femmes et musulmans/dhimmîs. Il s’est poursuivi par la rédaction de plusieurs chartes des droits de l’homme sur le modèle de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans lesquelles le principe et l’étendue de la liberté de conscience sont considérablement réduits. Ces initiatives illustrent parfaitement un point de tension majeur, dans l’Islam contemporain. Il traduit, d’une part, la volonté de pérenniser un ordre ancien fondé sur le primat de la religion et des « droits de Dieu » dans le rapport au monde et, de facto, une différenciation des droits et une restriction des libertés fondamentales et, d’autre part, la constitution progressive d’un droit positif émanant de la modernité occidentale et du primat des libertés individuelles.
En 1990, l’Organisation de la conférence islamique a ainsi adopté la Déclaration islamique des droits de l’homme qui affirme explicitement le primat des droits de Dieu et de la condition de « servitude » des êtres humains à son égard. En son article 10, elle stipule : « L’Islam est la religion naturelle de l’homme. Il n’est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme ». La Charte arabe des droits de l’homme, adoptée en 2004, propose une formulation plus édulcorée, dans son article 30, en mentionnant que « Toute personne a droit à la liberté de religion, de pensée et d’opinion », mais elle laisse une marge de restriction arbitraire par le fait que « les droits à la liberté de religion, de pensée et d’opinion ne peuvent faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi ». On pourrait relever les plusieurs autres points de ces deux chartes qui contreviennent clairement aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits de l’homme. D’une manière tout aussi concrète, un comité de savants d’al-Azhar a achevé, en 1978, un projet de Constitution islamique universelle et un Code pénal unifié de la Ligue des États arabes a été achevé, en 1996, et approuvé à l’unanimité des ministres de la Justice des pays membres[13].
Après qu’une large partie du droit musulman, notamment dans le domaine pénal, est tombée en désuétude au fil du temps, l’un des enjeux réside désormais dans la réactivation de sa portée effective dans le droit positif des pays d’Islam. Il faut ajouter à cela, dans une partie des pays d’Islam, la persistance d’un droit coutumier issu de la charia à côté du droit séculier, ce qui permet au juge de faire prévaloir le premier sur le second, notamment dans le domaine des affaires familiales et privées.
La dynamique en faveur de la réactivation de la charia médiévale est assez complexe à cerner dans la mesure où elle se situe au carrefour d’une « vision du monde », entretenue par la masse des leaders religieux musulmans, dans laquelle prédominent la sacralité et l’immutabilité des textes révélés, et de l’action politique où l’instrumentalisation de la religion joue un rôle important dans les stratégies de contrôle des populations. Le résultat en est que tout au long du XXe siècle on a assisté à la restriction progressive des libertés, dans le champ islamique, au fur et à mesure que la doctrine wahhabite et l’idée d’un Islam totalisant, promu par les mouvements islamistes, étendaient leur influence au sein des pays d’Islam, dans le champ politique comme dans celui des institutions musulmanes[14].
Les « printemps arabes » et l’application, par Daech, des dispositions les plus extrêmes du droit musulman, a cependant provoqué un trouble auprès des institutions et des leaders religieux, plus particulièrement sur la façon dont le vaste patrimoine juridique médiéval est diffusé auprès des masses musulmanes sans aucun filtre. Les épisodes égyptien et marocain, cités dans cet article, sont illustratifs de cette tension, et ils interrogent la capacité, sinon la volonté, des leaders religieux de l’Islam contemporain à penser l’« islamité » d’une société au-delà du prisme confessionnel et la citoyenneté au-delà de l’appartenance religieuse.