Le fils de Marie peut lier les trois grandes religions monothéistes

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:59:11

Compte rendu de Mustafa Akyol, The Islamic Jesus, St. Martin’s Press, New York 2017

 

Le pape François est allé en avril au Caire y rencontrer le grand imam Ahmed al-Tayyeb, cheikh de l’une des plus prestigieuses institutions de l’Islam sunnite. Les gestes qui invitent à former un front commun contre la violence et le terrorisme se multiplient, mais très souvent, les attentats atroces et les conflits en cours dans le monde musulman (et ailleurs) racontent une réalité où les abîmes et les incompréhensions entre les grandes religions monothéistes dépassent de loin les tentatives de dialogue.

 

Dans un tel contexte, la lecture de The Islamic Jesus, dernier ouvrage de l’écrivain et journaliste turc Mustafa Akyol, ne laisse donc pas d’intriguer. Il s’agit d’un parcours rigoureux d’analyse des sources de la tradition juive, chrétienne et musulmane, centré sur la figure de Jésus, élément commun à ces trois grandes religions monothéistes.

 

Son objectif, Akyol le déclare dès l’introduction : « J’enquêterai pour voir comment les trois religions abrahamiques de notre monde si meurtri, en dépit de toutes les tensions présentes et passées entre elles, se retrouvent unies autour de l’histoire d’un homme incroyable – ce Jésus de Nazareth. Juifs, chrétiens, musulmans, nous partageons tous ou une foi qu’il a suivie, ou une foi qu’il a construite, ou une foi qui le vénère » (p. 8).

 

Si, pour les chrétiens, Jésus Christ, né de la Vierge Marie, mort et ressuscité, est le Fils de Dieu, pour les musulmans, Jésus, fils de Marie, est un Prophète vénéré auquel le Coran réserve une place spéciale, mais sans en reconnaître la nature divine. Entre les deux, il y aurait, selon Akyol, la position des judéo-chrétiens, c’est-à-dire de tous ceux qui, dans le peuple juif, ont reconnu en Jésus le Messie attendu, mais sont restés liés à la Loi mosaïque, en s’opposant à Paul. Leur credo, qui s’est renforcé dans la Jérusalem du Ier siècle, s’est évanoui avec le temps pour réapparaître sous une forme très semblable – même si Akyol lui-même admet qu’il n’y a pas de preuve historique qui puisse témoigner d’une connexion directe – dans l’Arabie du VIIe siècle, à l’époque de Muhammad.

 

Mais Akyol ne se borne pas à la tentative d’établir des liens entre les trois religions monothéistes autour de la figure de Jésus, allant puiser avec perspicacité et courage à travers un siècle d’études sur le contexte du Coran : il soulève aussi, avec une certaine provocation, une question qui touche fortement à l’actualité. Que peut enseigner à l’Islam, se demande-t-il, le Jésus du Nouveau Testament ? L’auteur établit un parallèle. Et pour ce faire, il recourt aux théories de l’historien britannique Arnold Toynbee, qui en 1948, dans La civilisation à l’épreuve, avait décrit la crise interne de l’Islam (comme Bernard Lewis plus tard dans L’Islam en crise), en décadence et plein de frustrations face à un Occident de plus en plus compétitif sur les plans social, culturel et technologique. C’est dans une situation analogue que se trouvaient au Ier siècle avant J.C. – écrivait Toynbee – les juifs de Jérusalem, écrasés par la domination de Rome. Cette condition d’extrême frustration socio-culturelle avait entraîné la création de factions : il y avait ceux qui imitaient les Romains, les hérodiens, et ceux qui proposaient au contraire une lutte sans merci, les armes à la main, les zélotes, avec l’objectif ultime d’instaurer un royaume terrestre caractérisé par une adhérence étroite à la loi religieuse. Akyol, dans le sillage de Toynbee, compare les premiers aux laïcistes du genre Kemal Atatürk, et les seconds aux djihadistes, partisans d’une lecture hyper-littérale des textes sacrés. Mais il ajoute que dans la Jérusalem ancienne, Jésus parvient précisément à faire éclater cette dichotomie. C’est là que s’inscrirait l’actualité de son enseignement à l’Islam : sans prendre parti pour Rome, Jésus a enseigné que la foi ne passe pas par une adhérence étroite à la loi religieuse et un projet politique. Le « Royaume de Dieu », le « califat » dans le parallèle avec les fondamentalistes de l’Islam moderne, assumait pour les zélotes la forme d’un royaume terrestre, mais Jésus rectifie : « Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous », comme le dit Lc 17,21 dans une des traductions possibles du texte grec.

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Rolla Scolari, « La troisième voie du Jésus du Coran», Oasis, année XIII, n. 25, juillet 2017, pp. 138-139.

 

Référence électronique:

Rolla Scolari, « La troisième voie du Jésus du Coran », Oasis [En ligne], mis en ligne le 29 août 2018, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/la-troisieme-voie-du-jesus-du-coran.

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