De la figure légendaire de Hâtim, l’accueil est érigé en clé de voûte du système éthique islamique. Et pourtant, cette hospitalité, l’Islam en précisera aussi les limites, avec beaucoup de sens pratique : trois jours
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:04:48
De la figure légendaire de Hâtim, poète-chevalier vécu peu avant l’Islam, mentionné notamment par Boccace et par Goethe, aux dires du Prophète, l’accueil est érigé en clé de voûte du système éthique islamique. Et pourtant, cette hospitalité, l’Islam en précisera aussi les limites, avec beaucoup de sens pratique : trois jours, le premier avec un banquet spécial, les deux suivants avec un traitement normal. « Après, c’est charité ».
Hâtim fils de ‘Abd Allâh fils de Sa‘d fils de al-Hashraj, de la tribu des Tâ’î ; la mère s’appelait ‘Inaba[1] fille de ‘Afîf, des Tâ’î. Généreux, poète excellent, où qu’il s’arrêtât, sa renommée accourait ; victorieux, quand il combattait il triomphait, et s’il faisait du butin, il l’abandonnait au pillage ; il donnait à quiconque lui demandait ; au jeu des flèches[2] il était toujours le premier, et s’il faisait des prisonniers, il les libérait.
Au cours d’un voyage, il rencontra la tribu des ‘Anaza : un prisonnier lui demanda de l’aide, mais Hâtim n’avait pas de quoi le racheter. Il l’acheta quand même et se fit mettre les chaînes à sa place, jusqu’au moment où il put payer la rançon. Il partagea ses biens plus de dix fois et jura sur Dieu qu’il ne tuerait aucun frère.
Abû ‘Ubayda a affirmé qu’il y a trois champions de générosité parmi les arabes : Ka‘b Ibn Mâma, Hâtim al-Tâ’î (tous deux devenus proverbiales) et Harim Ibn Sinân, patron de Zuhayr[3]. Sur l’aire devant la tente, Hâtim tenait d’énormes chaudrons qu’il ne sortait jamais du feu. Quand arrivait la lune du mois de Rajab[4], il sacrifiait chaque jour une bête et il en distribuait les chairs.
[La rupture avec le père]
Enfant, son père lui avait confié un troupeau de chameaux. Passèrent près de lui [les poètes] ‘Abîd Ibn al-Abras, Bishr Ibn Abî Khâzim et Nâbigha al-Dhubyânî, qui se rendaient à la cour de al-Nu‘mân[5], et Hâtim, bien qu’il ne les connût pas, sacrifia en leur honneur trois chameaux. Puis il leur demanda leurs noms et ceux-ci les lui révélèrent. Alors il divisa entre eux tous ses chameaux. Il manda dire à son père ce qu’il avait fait, et celui-ci vint lui demander compte des animaux. « Mon père – répondit-il – je t’ai procuré une couronne de gloire immortelle », et il lui raconta ce qu’il avait fait. Le père répondit : « Je ne t’accepterai plus comme voisin et je ne t’accorderai jamais plus l’hospitalité ». « S’il en est ainsi, je n’en ai cure », et il se sépara de lui.
[La mère]
La mère s’appelait ‘Inaba. À cause de sa grande générosité, elle ne mettait jamais rien de côté. Ses frères, après avoir tenté en vain de l’empêcher de se comporter ainsi, l’enfermèrent dans sa maison pendant un an, ne lui donnant que le strict nécessaire pour vivre, dans l’espoir que, ayant goûté la nourriture de la misère, elle comprenne la valeur de la richesse et abandonne ses habitudes. Après un an, ils la laissèrent sortir et lui confièrent un troupeau d’une trentaine de chameaux. [Tandis qu’elle les faisait paître] vint à elle une femme de la tribu des Hawâzin[6]. Comme celle-ci lui demandait de l’aide, elle répondit : « Voilà le troupeau, il est pour toi, prends-le. Par Dieu, j’ai tant souffert de la faim que j’ai juré de ne jamais plus repousser de ma vie qui me demandera quelque chose ». Puis elle dit ces vers :
Par ma vie ! La faim m’a mordu si durement
Que j’ai juré de ne jamais plus repousser un affamé.
Dites donc à qui me réprimande : « Laisse tomber !
Et si tu ne le fais pas, ronge-toi donc les mains de colère ».
Ce que vous voyez aujourd’hui n’est rien d’autre que ma nature.
Comment pourrais-je la changer, mes frères ?
[Hospitalité de Hâtim]
Selon son fils ‘Adî, Hâtim était un homme aux longs silences, et avait l’habitude de dire : « Si la seule manière de te protéger d’une chose est de la laisser, alors laisse-la tomber ». Sa femme Nawwâr a raconté : Il nous était tombé dessus une année où la terre s’était craquelée et l’horizon du ciel s’était couvert de poussière, les chameaux rentraient le soir creusés par la faim, les mamelles des animaux ne donnaient plus une goutte de lait pour leurs petits et la famine avait anéanti le bétail. En somme, nous étions certains de toucher à la fin. Au cours d’une nuit glaciale, et qui semblait ne devoir jamais finir, nos enfants ‘Abd Allâh, ‘Adî et Saffâna se mirent à crier et pleurer de faim tous ensemble. Hâtim alla voir les garçons, et moi la fille, et, par Dieu, il nous fallut du temps pour les calmer. Finalement, ils s’endormirent, et je me mis de nouveau à ses côtés. Alors Hâtim pour me distraire de la faim, commença à me parler. J’avais deviné pourquoi il le faisait, je feignis alors de m’être endormie. Quand les étoiles avaient désormais presque toutes disparu, quelque chose souleva à l’improviste la toile de la tente. « Qui va là ? » demanda Hâtim, mais la silhouette disparut. Peu après, elle revint. « Qui va là ? » demanda Hâtim. Et la figure disparut de nouveau. Elle revint encore vers la fin de la nuit. « Qui va là ? » « Je suis une de tes voisines, et je suis venue chez toi, laissant mes enfants dans la tente. Ils hurlent comme des loups tellement ils ont faim, et tu es le seul à qui je puisse demander de l’aide, père de ‘Adî ! ». « Par Dieu, je leur donnerai à manger jusqu’à les rassasier ! ». « Comment trouveras-tu la nourriture ? », demandé-je. « Cela ne te regarde pas ». Et il ajouta, s’adressant à la femme : « Porte-les ici tout de suite, parce que Dieu vous a rassasiés, toi et eux ». La femme revint, portant dans ses bras deux enfants tandis que quatre autres marchaient à ses côtés : on l’aurait dit une autruche entourée de ses petits. Hâtim se dirigea vers son cheval et lui planta son couteau dans la poitrine. Le cheval s’effondra à terre ; il l’écorcha, tendit le couteau à la femme et lui dit : « Sers-toi ». Nous nous rassemblâmes tous autour de la viande, mais Hâtim s’exclama : « Malheur à vous, mangerez-vous sans inviter le reste de la tribu ? » Et il alla les appeler de tente en tente, leur disant : « Venez, braves gens, tous autour du feu ». Ils vinrent tous ; Hâtim s’enveloppa dans ses vêtements et resta dans un coin à nous regarder manger et, par Dieu, il ne prit pas même une bouchée de viande, malgré qu’il en eût plus besoin que nous. Quand le matin arriva, il ne restait à terre que les os et les sabots du cheval. Alors, je lui fis des reproches et lui, en réponse, composa cette poésie :
Doucement, Nawwâr, arrête de reprocher et de me blâmer
Et ne demande pas, d’une chose désormais passée, ce qu’il en a été.
Ne dis pas d’un animal : « Tu l’as tué » ;
Tais-toi, quand bien même donnerais-je à des djinn et à des démons ensemble !
L’avare ne connaît qu’un seul sentier pour ses biens,
Mais nombreux sont les chemins qu’emprunte l’homme généreux.
Ne me fais pas de reproches pour un animal que j’ai donné
à des gens de mon sang : la meilleure manière d’user de ses biens est de les donner.
[Le mariage avec la reine Mâwiya]
Un jour, Hâtim se présenta chez Mâwiyya fille de Afzar[7] pour la demander en mariage, mais en entrant chez elle, il découvrit que [le célèbre poète] Nâbigha était en train de la demander lui aussi ainsi qu’un homme du clan des Nabît. Mâwiyya dit à tous ses prétendants de s’en aller. Chacun devrait composer une poésie énumérant ses exploits et ses mérites, et elle épouserait l’homme le plus généreux, et le plus habile comme poète. Les trois s’en allèrent, et chacun tua un animal en sacrifice. Mâwiyya endossa les vêtements de l’une de ses servantes, et les suivit.
Arrivée auprès de l’homme des Nabît, elle lui demanda à manger. Celui-ci lui donna la queue de la bête, et elle se la prit et l’emporta. Elle alla voir Nâbigha : il lui donna la même chose, et elle la prit et l’emporta. Elle arriva auprès de Hâtim, et celui-ci avait mis sur le feu une de ses grosses marmites. Elle lui demanda à manger, et Hâtim répondit : « Attend que la nourriture soit prête ». Elle attendit, et quand ce fut prêt, Hâtim lui donna à manger le dessous de la queue, un morceau de la bosse et un morceau de jarret. Puis la femme s’en alla.
Nâbigha et l’homme des Nabît envoyèrent en don à Mâwiyya le dos de l’animal qu’ils avaient égorgé. Hâtim, lui, envoya les mêmes morceaux qu’il avait donnés à la servante. Au matin, les trois prétendants arrivèrent auprès de la reine et l’homme des Nabît l’apostropha ainsi :
Demande aux Banû Nabît[8] quelle est ma valeur
L’hiver, quand soufflent les vents,
Quand on coupe les mamelles à une chamelle maigre[9],
avec à peine un peu de graisse en tête et autour des os,
Quand gisent inutilisées les cordes pour traire
Et qu’au matin aucun petit ne reçoit de lait à boire.
Puis ce fut le tour de Nâbigha, qui dit :
Demande aux Banû Dhubyân quelle est ma valeur
Quand la fumée enveloppe le vieux qui se soustrait au jeu des flèches[10]
Et que les vents soufflent du côté du mont Urul,
Poussant devant eux au matin un troupeau de cirrus sans pluie ;
Alors je donne à mes compagnons de jeu
À pleines mains, et je leur sers une écuelle pleine de nourriture bien assaisonnée.
Enfin parla Hâtim, disant :
Mâwiya, l’argent va et vient
Et seuls restent les récits et la mémoire.
Mâwiya, au mendiant je ne dis pas
Quand il vient à moi : « Sur le bétail pend un vœu de consécration ».
Mâwiya, ou il y a un obstacle, et alors il doit être clair,
Ou bien il faut donner, donner sans frein.
Mâwiya, de quoi sert la richesse à l’homme valeureux
S’il se met à braire comme un âne en proie à la peur ?
Mâwiya, si mon fantôme[11] se réveille un jour sur une lande désolée, sans eau ni vin,
Tu verras que tout ce que j’aurai dépensé ne m’aura pas nui,
Et que ma main sera vide de ce que j’aurai retenu pour moi.
Tout le monde sait bien que Hâtim,
S’il avait voulu la richesse, en aurait eu amplement.
Quand ils eurent fini de réciter leurs poésies, Mâwiyya les invita à déjeuner. Elle fit porter à chacun la nourriture que celui-ci lui avait donné à manger [quand elle s’était présentée habillée comme une servante]. L’homme des Nabît et Nâbigha baissèrent la tête de honte. Mais Hâtim, lui, quand il vit ce qui se passait, jeta leurs plats et leur donna à manger la nourriture qu’il avait reçue. Les deux s’enfuirent, et Mâwiyya épousa Hâtim. […]
[La tombe]
Un membre de la tribu des Tâ’î a raconté qu’un homme du nom de Abû Khaybarî passa un jour près de la tombe de Hâtim et s’y arrêta pour la nuit. [En plaisantant] il se mit à l’appeler : « Père de ‘Adî, porte-nous tes dons hospitaliers ! ». À l’aube, il sursauta et se mit à crier : « Ma pauvre bête ! ». « Qu’as-tu donc ? » lui demandèrent ses compagnons. « Je vous le jure sur Dieu – répondit-il – Hâtim m’est apparu, l’épée au poing, et est allé couper les jarrets de ma chamelle, sous mes yeux ». Les compagnons allèrent contrôler, et voilà que la bête ne parvenait plus à se soulever de terre. « Eh bien – ce fut leur commentaire – il t’a vraiment apporté ses dons d’hospitalité ». Alors, ils égorgèrent la chamelle et restèrent pendant une bonne partie de la journée à en manger la chair. Puis, après avoir chargé le malheureux sur la selle d’un autre chameau, ils partirent. Pendant qu’ils se mettaient en route, voilà que surgit ‘Adî, le fils de Hâtim : il conduisait un chameau noir lié à son propre animal, et dit : « Hâtim m’est apparu dans mon sommeil et m’a raconté comment tu l’avais insulté, et qu’il avait offert en réponse ta bête en don d’hospitalité à toi et à tes compagnons. Il dit aussi des vers qu’il me répéta jusqu’à ce que je les sache par cœur :
Abû Khaybarî, homme envieux
Dans la tribu et querelleur,
Pourquoi viens-tu troubler des ossements consumés
Dans un désert vaste où fait entendre son cri la chouette ?[12]
Tu te permets de les importuner
Alors que le sort te sourit alentour.
Hâtim m’a ordonné – conclut le fils – de payer pour toi ce chameau pour te dédommager de ta bête. Prends-le ! ». Et Abû Khaybarî le prit.
(Ibn Qutayba, Kitâb al-shi‘r wa l-shu‘arâ’, éd. Michael J. de Goeje, Brill, Leiden 1904, pp. 123-130)
***
[Deux jugements opposés sur Hâtim]
De Kumayl Ibn Ziyâd al-Nukh‘î[13]. ‘Alî, la paix soit sur lui, a dit :
Mon Dieu, combien la plupart des gens est réticente à faire le bien ! Je suis toujours surpris de voir un homme qui, lorsque se présente un frère dans le besoin, ne se considère pas digne de faire le bien. Quand bien même nous n’espérerions pas le paradis et nous ne craindrions pas l’enfer, quand bien même nous n’attendrions pas une récompense ni ne craindrions une punition, eh bien, même dans ce cas nous devrions rechercher les comportements les plus nobles. Ceux-ci indiquent en effet la voie du salut.
Le fils de Hâtim, ‘Adî, embrassa l’Islam avec conviction. On nous a rapporté qu’une fois, il dit au Prophète : « Ô envoyé de Dieu, mon père était généreux et indulgent, il restait fidèle à la protection accordée et enseignait les mœurs les plus nobles ». Mais le Prophète répondit : « Ton père est du bois bon pour brûler en enfer ». Voyant la tristesse se répandre sur le visage de son interlocuteur, il ajouta : « ‘Adî, pas seulement ton père. Le mien aussi, et celui d’Abraham sont dans le feu ».
(Abû l-Faraj al-Isfahânî, Kitâb al-Aghânî, Éd. al-Hay’a al-Misriyya, vol. 17, Cairo 1970, p. 364 et p. 387)
[Trad. Martino Diez]
L’hôte dans la tradition islamique
Une grande preuve d’hospitalité
De Abû Hurayra. Un homme arriva auprès de l’envoyé de Dieu et dit : « Je suis à bout de forces ». Alors Muhammad envoya quelqu’un appeler l’une de ses épouses, mais celle-ci répondit : « Par Celui qui t’a envoyé dans la vérité, je n’ai que de l’eau avec moi ». Il l’envoya alors à une autre de ses épouses, mais celle-ci aussi fit la même réponse, et ainsi firent-elles toutes l’une après l’autre, disant : « Par Celui qui t’a envoyé dans la vérité, nous n’avons que de l’eau avec nous ».
Alors Muhammad demanda : « Qui veut lui donner l’hospitalité cette nuit, que Dieu lui en rende le mérite ? ». L’un des Auxiliaires[14] se leva et dit : « Je m’offre moi-même, envoyé de Dieu ». Et il se dirigea avec l’homme vers sa tente. L’Auxiliaire demanda à sa femme si elle avait quelque chose à offrir et elle répondit qu’elle n’avait que la nourriture pour les enfants. « Alors, distrais-les d’une manière ou d’une autre et fais-les dormir. Quand notre hôte entrera, allume[15] la lampe et fais-lui voir que nous sommes en train de manger. S’il te dit qu’il a faim, lève-toi pour éteindre la lumière [et donne-lui notre nourriture] ». Ainsi, ils restèrent assis pendant que l’hôte mangeait. Quand le matin arriva, l’Auxiliaire se présenta au Prophète, et celui-ci lui dit : « Cette nuit, Dieu est resté en admiration[16] devant la manière dont vous avez traité votre hôte ».
[Version parallèle]
De Abû Hurayra. Un hôte passa la nuit chez l’un des Auxiliaires, qui n’avait chez lui de la nourriture que pour lui et pour ses enfants. Celui-ci dit à sa femme : « Fais dormir les enfants, éteins la lampe et offre à l’hôte ce que tu as ». Alors descendit le verset : « Ils le préfèrent à eux-mêmes, malgré leur pauvreté » (59,9).
(Muslim, Sahîḥ, Kitâb al-ashriba, Bâb ikrâm al-dayf wa fadl îthârihi, nn. 5382-5383, Dâr Sâdir, Bayrût, s.d., p. 790)
« Qui vient te trouver a un droit sur toi »
De ‘Abd Allâh Ibn ‘Amr Ibn al-‘Âs. L’envoyé de Dieu entra chez moi et me dit le hadîth : « Qui vient te trouver a un droit sur toi ; et ta femme a un droit sur toi »[17].
(al-Bukhârî, Sahîḥ, Kitâb al-sawm, bâb haqq al-dayf fî al-sawm, n. 1974, Dâr Sâdir, Bayrût, s.d., p. 342)
« L’hospitalité, c’est trois jours, après, c’est charité »
«L’histoire des hôtes d’honneur d’Abraham ne t’est-elle pas parvenue ?» (Cor. 51,24). À propos de ce verset, ‘Abd Allâh Ibn Yûsuf nous a raconté [...] qu’il tenait de Abû Shurayh al-Ka‘bî, que l’envoyé de Dieu dit : « Qui croit en Dieu et dans le Dernier Jour, qu’il honore l’hôte en lui accordant un traitement spécial un jour et une nuit. L’hospitalité dure trois jours. Après, c’est charité[18]. Et il n’est pas licite à l’hôte de s’attarder au point de se faire renvoyer ».
[...] De Abû Hurayra. Le Prophète a dit : « Qui croit en Dieu et dans le Dernier Jour, qu’il n’importune pas son voisin ; qui croit en Dieu et dans le Dernier Jour, qu’il honore son hôte ; qui croit en Dieu et dans le Dernier Jour, qu’il parle bien ou se taise ».
De ʿUqba Ibn ‘Âmir. Un jour, nous demandâmes à l’envoyé de Dieu : « Voilà, tu nous envoies [hors de Médine]. Si nous nous arrêtons auprès de gens qui ne nous offrent pas les dons de l’hospitalité, que devrons-nous faire ? ». Il nous répondit : « Si les gens chez qui vous vous arrêtez vous ordonnent d’accepter ce qui revient à l’hôte, acceptez-le ; s’ils ne le font pas, prenez-leur de toutes façons ce qui revient à l’hôte ».
(al-Bukhârî, Sahîḥ, Kitâb al-adab, bâb ikrâm al-dayf wa khidmatihi iyyâhu bi nafsihi, nn. 6135-6137, p. 1097)
Ne pas faire trop de façons
Abû Bakr, après avoir accueilli quelques hôtes, dit à son fils ‘Abd al-Rahmân : « Occupe-toi toi-même d’eux, parce que je dois aller voir le Prophète, et fais en sorte d’en finir avec les dons avant que je ne revienne à la maison ». ‘Abd al-Rahmân apporta ce qu’il avait et leur dit : « Mangez ! ». Mais ceux-ci demandèrent : « Où est le maître de maison ? » « Mangez ! » « Nous ne mangerons pas tant que le maître de maison ne sera pas là ». « Acceptez nos dons, parce que s’il découvre, quand il arrivera, que vous n’avez pas encore mangé, ce seront des problèmes sérieux pour nous ». Les hôtes refusèrent. « Et je compris – poursuivit ‘Abd al-Rahmân – que mon père allait me passer un savon. Quand il arriva, j’allai me cacher. Mon père demanda ce que nous avions fait, et on lui rapporta ce qui s’était passé. « ‘Abd al-Rahmân ! » Silence. « ‘Abd al-Rahmân ! » Silence. « Espèce d’idiot, sors et viens ici si tu m’entends, que Dieu te fulmine ! » Je sortis et lui dis de demander à ses hôtes. « Le garçon a dit vrai – répondirent-ils – il nous a apporté les dons ». « Eh bien, puisque vous avez voulu m’attendre, par Dieu, moi, cette nuit, je ne mangerai rien ! » « Par Dieu, nous ne mangerons pas nous non plus ! » « Une nuit pire que ça, on n’en a jamais vu ! Mais qu’avez-vous donc ? Pourquoi ne voulez-vous pas accepter nos dons ? Allez, porte à manger ».
Le fils le lui porta, Abû Bakr mit la main au plat et dit : « Au nom de Dieu, la première a été celle de Satan ». Il mangea, et eux avec lui.
(al-Bukhârî, Sahîḥ, Kitâb al-adab, bâb mâ yukrah min al-ghadab wa al-jaza‘ ‘ind al-dayf, n. 6140, p. 1098)
[Trad. Martino Diez]
[1] ‘Utba selon les Aghânî (XVII, 365).
[2] Rite païen où les participants tuaient un chameau et se partageaient au sort les différents morceaux. Ce rite fut interdit par le Coran.
[3] Harim Ibn Sinân était le chef de la tribu des Dhubyân. Il y a de nombreuses anecdotes sur sa générosité envers Zuhayr, poète préislamique, auteur d’une ode célèbre qui a été insérée dans le canon des Mu‘allaqât (« Les pendentifs »).
[4] L’un des mois sacrés de l’Arabie païenne, où l’on faisait des sacrifices d’animaux.
[5] Seigneur du royaume arabe de Hîra, dans la basse Mésopotamie, vassal de l’empire persan. Les souverains de Hîra, tout en régnant sur un territoire sédentaire, maintenaient un lien étroit avec le monde bédouin des tribus et, à cette fin, entretenaient plusieurs poètes à leaur cour.
[6] Tribu du Hijaz, adversaire des Quraysh. Muhammad la battit, non sans difficulté, dans la bataille de Hunayn (630).
[7] Reine guerrière à la tête de la confédération tribale des Tanûkh, elle lança en 378 une révolte contre l’empereur Valens, battant à plusieurs reprises les troupes romaines en Syrie. Elle mourut vers 425.
[8] Je préfère, par symétrie avec les vers suivants, la leçon des Aghânî (vol. 17, p. 383) à celle de Ibn Qutayba, qui laisserait en suspens le pronom -hum du second vers.
[9] Dans les périodes de disette, il y avait l’usage de couper les mamelles de certaines bêtes pour qu’elles continuent à engraisser.
[10] Encore une allusion au jeu rituel du maysir par lequel on se partageait une bête sacrifiée. Le mont Urul, au verset suivant, est cité par Yâqût dans son dictionnaire géographique.
[11]Selon une croyance païenne, l’âme du défunt restait près de la tombe, comme une chouette. Ici, on a traduit par « fantôme ».
[12]Encore la chouette, qui renferme l’âme du défunt.
[13]Il s’agit de l’un des plus importants compagnons de ‘Alî, cousin et gendre du Prophète.
[14]Les Auxiliaires étaient les Médinois convertis à l’Islam. Selon une version ultérieure du hadîth, l’homme s’appelait Abû Talha.
[15] Le texte a : « éteins », mais ce verbe fait problème du fait de la duplication de l’ordre. J’ai corrigé sur la base de la version parallèle dans al-Bukhârî Kitâb Manâqib al-Ansâr, bâb ‘wa yu’thirûna ‘alâ anfusihim wa law kâna bihim khasâsa’, n. 3798, p. 668.
[16]In al-Bukhârî, plus audacieusement : « Dieu a ri ».
[17]La finale du hadîth n’a rien à voir avec notre thème. Le narrateur voudrait jeûner toujours, mais le Prophète lui fixe la limite d’un jour de jeûne et un de repos (le « jeûne de David »), justement parce que « qui vient te trouver a un droit sur toi ».
[18]La période de l’hospitalité – précisent donc les commentateurs – prévoit au premier jour un banquet spécial en l’honneur du nouvel arrivé (jâ’iza), puis deux jours pendant lesquels l’hôte reçoit le même traitement que les autres membres de la famille.
Pour citer cet article
Référence papier:
Textes de Ibn Qutayba, « Les exploits du chef de tribu », Oasis, année XIII, n. 24, décembre 2016, pp.96-104 .
Référence électronique:
Textes de Ibn Qutayba, « Les exploits du chef de tribu », Oasis [En ligne], mis en ligne le 21 février 2017, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/les-exploits-du-chef-de-tribu.