Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:40:29
Une certaine rhétorique du “Pays message” n’est pas nouvelle au Liban. Officiellement, tout va bien, la guerre civile est une affaire classée et l’harmonie règne, souveraine. « Mais comme règle générale, il faut toujours postuler une certaine distance entre les déclarations et les actions » nous rappelait l’autre jour le philosophe Nassif Nassar. Le risque d’une célébration acritique de la vie commune à l’ombre des cèdres pouvait s’insinuer dans les nombreux discours de nature politique programmés durant la visite apostolique, le vendredi à l’arrivée à l’aéroport et surtout au palais présidentiel, le samedi matin. En réalité, on avait déjà compris que les choses iraient davantage en profondeur grâce au discours d’accueil prononcé par le Président de la République, Michel Sliman, au Palais présidentiel. Bien sûr, les salutations et les déclarations d’usage n’ont pas manqué. Mais, d’une part, le Président libanais a exhorté les chrétiens à participer davantage à l’édification du bien commun (ce qui peut être lu comme l’admission implicite d’une difficulté) et, de l’autre, il a souligné avec quelle inquiétude le pays des Cèdres considère les événements qui l’entourent, en insistant sur la neutralité du pays à propos de laquelle toutes les forces politiques ont rejoint un accord.
« Les libanais souhaitent à la Syrie cette liberté et cette réconciliation qu’ils désirent pour eux-mêmes » est peut-être le passage-clé. Comme pour dire que le brand libanais de la cohabitation éprouve lui aussi des difficultés. Le Pape a expliqué la raison de cette difficulté dans un des passages les plus forts de son discours. « Le mal n’est pas une force anonyme qui agit dans le monde de façon impersonnelle ou déterministe. Le mal, le démon, passe par la liberté humaine, par l’usage de notre liberté. Il cherche un allié, l’homme ». Et Benoît XVI est particulièrement triste de ce qui se produit en Syrie, comme il l’a déclaré lors de la soirée avec les jeunes. Il faut donc une conversion qui seule peut assurer l’entente entre les cultures et les religions et un certain sens de la justice et du bien commun. D’où dérive l’engagement pour la paix, pour la liberté religieuse, en faveur de la vie et contre toutes formes de violence verbale ou physique qui ne peut jamais trouver une justification de type religieux.
Si ailleurs on commence une conversation en parlant du temps, au Liban il est habituel, surtout avec les étrangers, de le faire par quelques considérations géopolitiques. En pensant aux dimensions réduites du pays, coincé entre des voisins puissants, et à son histoire mouvementée, cette option est absolument légitime et compréhensible. Mais le Pape rappelle que ces considérations sur le contexte général ne doivent pas prendre la place de l’action concrète de chacun. Comme celle des jeunes libanais engagés avec la Caritas pour apporter de l’aide aux réfugiés syriens. Ils se confrontent avec une réalité presque cachée, pour éviter de perturber l’équilibre du pays, et chaque jour, ils touchent du doigt la souffrance et l’impuissance. « L’inaction des hommes de bien – a affirmé Benoît XVI comme pour leur répondre – ne doit pas permettre au mal de triompher. Il est pire encore de ne rien faire ».
Le fait de vivre ensemble, le modèle libanais, reste un exemple dans la région. Il a une dimension providentielle (« il est choisi par Dieu »), mais il n’est pas donné une fois pour toutes : il doit être gagné chaque jour, en choisissant consciemment qu’il est mieux d’être avec plutôt que contre, c’est-à-dire en valorisant le bien pratique de l’être ensemble, ce « désir de connaître l’autre » que le Pape indique comme le fondement d’une société plurielle. « Au-delà des manifestations extérieures, la chose la plus importante de la visite est que les libanais musulmans aient accueilli Benoît XVI non pas comme l’invité de leurs voisins chrétiens, mais comme quelqu’un qui venait aussi pour eux », commente Ibrahim Shamseddine, le président d’une fondation culturelle chiite dont le siège est à Beyrouth-sud.
Le Liban semble dynamique sur le plan économique, du moins dans les quartiers chics du centre de Beyrouth, mais sur le plan institutionnel bloqué par la peur qui empêche de toucher au status quo. En ce sens, l’invitation du Pape à s’impliquer personnellement pourrait contribuer à créer un climat de confiance renouvelée, le présupposé pour tout changement, également au niveau de l’architecture politique.