L’évolution du Hezbollah au Liban, depuis son implication dans la guerre contre Israël en octobre 2023 jusqu’à son affaiblissement en 2024, marqué par l’assassinat de son chef, Hassan Nasrallah

Dernière mise à jour: 11/02/2025 12:58:53

Vingt-sept mois après le début du vide présidentiel au Liban (octobre 2022 – janvier 2025), les Libanais ont accueilli avec joie l’élection du nouveau président, Joseph Aoun, le 9 janvier 2025, la nomination du nouveau premier ministre, Nawaf Salam, le 13 janvier 2025, ainsi que la formation du nouveau gouvernement ce dernier samedi, 8 février. Ces événements marquent un tournant après une très longue période de crises politique, économique, financière et monétaire, et après une guerre dévastatrice contre Israël, imposée aux Libanais par le Hezbollah depuis le 8 octobre 2023, au lendemain du déluge d’al-Aqsa.

 

Le déluge

Le 7 octobre 2023 marquera probablement l’histoire non seulement de Gaza, mais aussi du Moyen-Orient. Ce jour-là, le Hamas – établit en 1987 par les Frères musulmans de Gaza et se définissant comme un mouvement de résistance islamique palestinien visant la libération de la Palestine, avec l’Islam comme système de référence embrassant tous les aspects de la vie humaine – lança l’opération militaire Tûfân al-Aqsâ (« le déluge d’al-Aqsa »). Apparemment, cette opération, qui a eu comme conséquences la mort d’environ 1 200 Israéliens et l’enlèvement de 251 otages par le Hamas et le Jihad islamique, surprit tout le monde.

N’ayant consulté aucun parti palestinien, le Hamas semble ne s’être guère soucié des conséquences que les habitants de Gaza subiraient de la part d’Israël. Le lendemain, Israël déclara la guerre contre la bande de Gaza. Après plus de seize mois, les Palestiniens se trouvent devant un paysage génocidaire : un territoire totalement ravagé, une infrastructure entièrement détruite, 1,5 million de déplacés, plus de 40 000 morts, des dizaines de milliers de blessés, des familles déchirées et une population privée des biens de première nécessité, qu’il s’agisse de nourriture, d’eau potable, de médicaments, de vêtements, de logement, d’éducation ou encore de sûreté et de sécurité[1].

Cependant, la question ne se limite pas à la dimension Gaza-Israël. Le 8 octobre 2023, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, déclare ce qu’il appelle « la guerre de soutien » (harb al-musânada) sur le front nord d’Israël, justifiant sa décision par le fait que les résistances islamiques à Gaza et au Liban ont décidé d’unir leurs fronts. Il convient ici de rappeler que le Hezbollah est un parti chiite djihadiste qui a été fondé en 1982 à Baalbek (dans la région nord-est du Liban) par les Gardiens de la Révolution islamique en Iran, avec le soutien du régime syrien qui occupait cette région à l’époque. L’objectif était de créer un passage pour l’Iran vers la Méditerranée et de faire de la République islamique d’Iran un des acteurs de la géopolitique moyen-orientale. Déjà dans son manifeste fondateur de 1984, le Hezbollah identifie son objectif principal comme étant la lutte contre Israël, pour conquérir al-Quds et faire du Liban une partie de la Grande République islamique d’Iran sous le commandement du walî al-faqîh (le juriste théologien), qui était à l’époque l’imam Khomeini. Dans ses différents discours tout au long de l’année 2023, Nasrallah avoue que la guerre servirait comme carte de pression dans les négociations avec Israël.

 

Des actes orchestrés par le sponsor iranien

Pendant les deux jours cruciaux du 7 et 8 octobre, il devint clair qu’il y avait un seul chef d’orchestre iranien qui faisait bouger ses proxies. En effet, ce n’était pas la première fois que les deux fronts avec Israël, celui de Gaza et celui du sud du Liban, éclataient simultanément. Le 25 juin 2006, le Hamas, soutenu financièrement et militairement par l’Iran, avait réussi à kidnapper le soldat israélien Gilad Shalit. Cette opération, dont l’objectif consistait à libérer des Palestiniens des prisons d’Israël, provoqua une réaction très violente de la part de l’armée israélienne contre la bande de Gaza. Un mois plus tard, le 12 juillet 2006, le Hezbollah avait à son tour mené une opération enlevant deux officiers israéliens et tuant cinq soldats, tout en franchissant la ligne bleue qui sépare le Liban d’Israël. À l’issue de cette opération, Nasrallah déclara son objectif consistant à mener des négociations indirectes avec Israël pour échanger les officiers israéliens avec des prisonniers libanais et palestiniens détenus en Israël.

La réplique d’Israël est venue sous la forme d’une guerre ouverte, entraînant une destruction massive des infrastructures libanaises, et la mort de plus de mille Libanais et l’occupation d’une partie du territoire libanais au sud. En réponse, des acteurs politiques internationaux tels que les États-Unis, l’Union européenne, les Nations unies et la Ligue des États arabes se sont mobilisés pour mettre fin aux hostilités entre le Hezbollah et Israël. Après 33 jours de négociations, de combats et de bombardements intensifs, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1701, qui pourrait être résumée en quatre points principaux : 1) la cessation totale des hostilités ; 2) le déploiement par le gouvernement libanais et la FINUL de leurs forces dans tout le Sud-Liban ; 3) le retirement de toutes les forces israéliennes du Sud-Liban ; 4) l’étende de l’autorité du Gouvernement libanais à l’ensemble du territoire libanais, conformément aux dispositions des résolutions 1559 (2004) et 1680 (2006), et aux dispositions pertinentes des Accords de Taëf (1989) afin d’y exercer intégralement sa souveraineté. Il convient ici de noter que la résolution onusienne 1559 exige « que toutes les milices libanaises et non libanaises soient dissoutes et désarmées ». Cette résolution va dans la lignée des Accords de Taëf où on demande la « dissolution de tous les groupes armés au Liban, qu’ils soient libanais ou non-libanais, et la nécessité qu’ils rendent leurs armes à l’État libanais ». Au moment de l’attaque du 8 octobre 2023, qui vise les colonies israéliennes situées dans la région de la Galilée septentrionale, le front Libano-israélien est encore géré par cette résolution 1701, adoptée à l’unanimité en 2006 et ayant comme « objectif de mettre fin aux hostilités entre le Hezbollah et Israël » et à installer un « cessez-le-feu permanent » entre Israël et le Liban.

 

Un Hezbollah battu se retournant contre l’État libanais

Bien que les gouvernements libanais et israéliens aient approuvé la résolution 1701, le Hezbollah n’était pas très content de cette défaite politique et diplomatique. Comptant sur la faiblesse et la non-détermination du gouvernement libanais à étendre son autorité et sa souveraineté sur l’ensemble du territoire libanais, y compris la région sud du Liban, et à désarmer toutes les milices libanaises et non-libanaises, le Hezbollah décida de mener une stratégie visant à marginaliser le pouvoir central libanais, le rendant ainsi incapable d’exercer son autorité sur son peuple et son territoire. Cette stratégie peut être résumée en trois étapes : la première consistait à déclarer la victoire contre Israël après la guerre de juillet 2006 et par conséquent bâtir un discours légitimant les armes de la « Résistance islamique », la seule capable à défendre le Liban et notamment son Sud contre l’ennemi israélien. En d’autres termes, ce discours visait à culpabiliser toute voix appelant à désarmer les milices, y compris le Hezbollah, et à rendre toutes les armes à l’État libanais, en l’accusant de trahison et collusion avec l’ennemi. Dans une deuxième phase, dès la fin de l’année 2006, le Hezbollah engage une stratégie de pression politique et militaire à l’intérieur du Liban, visant à paralyser la vie politique du pays. L’assaut militaire qu’il a opéré le 8 mai 2008 s’emparant de Beyrouth représente l’apogée de cette politique visant à contrarier toute tentative de la part du gouvernement libanais pour étendre son pouvoir sur tout le territoire libanais. La troisième étape c’était en 2014, quand Nasrallah annonce publiquement la décision de son parti d’envoyer des combattants en Syrie pour défendre le régime syrien contre les rebelles qualifiés par lui de terroristes. Dès lors, malgré la volonté du gouvernement libanais de l’époque de se distancer des événements en Syrie depuis mars 2011, le Liban est devenu un espace ouvert sur l’intérieur syrien. Cette situation a favorisé le développement d’un réseau de mafia libano-syrien, dirigé par le Hezbollah, exploitant les passages frontaliers entre les deux pays pour le trafic d’armes, de drogues et d’argent venant de l’Iran et de l’Iraq.

 

Un pays kidnappé par « sa Résistance »

En quelques années, l’État et le peuple libanais se sont trouvés kidnappés par le Hezbollah qui renforçait la mainmise de sa mafia sur tous les secteurs de la vie libanaise au détriment de la présence étatique et institutionnelle. Certes, cette mainmise s’est exercée avec l’accord et le consentement d’un ensemble de forces politiques, financières et économiques profitant de cette situation mafieuse et corrompue, et bloquant toute forme de bonne gouvernance.

Cette position hégémonique a encouragé Nasrallah, le 8 octobre 2023, juste un jour après le « déluge d’al-Aqsa », à déclarer tout seul une guerre contre Israël, sans se soucier du moindre consentement de ses compatriotes et en marginalisant les institutions politiques libanaises. Bien que le Hezbollah possède des ministres au sein du gouvernement libanais et des députés au sein du parlement, Nasrallah s’est comporté comme si ces institutions étatiques n’existaient pas.

Plus de 85 % des Libanais étaient contre cette guerre. Malgré cela, le Hezbollah n’a accepté de revenir sur sa décision. Dans la première phase, des villages libanais sur la frontière sud ont subi une destruction massive de la part de l’armée israélienne. Le Hezbollah se montrait fier à sacrifier ses combattants dans les confrontations avec l’armée israélienne, les qualifiant de martyres sur le chemin d’al-Quds. Parallèlement à cette confrontation, des médiateurs internationaux, notamment américains, se sont rendus à Beyrouth afin d’appeler le Liban et notamment le Hezbollah à respecter la résolution 1701. En revanche, Nasrallah multipliait ses discours médiatiques essayant de montrer que le front libanais était essentiel dans le soutien de la Résistance islamique à Gaza. En effet, le Hezbollah ne faisait que renforcer les cartes de Téhéran dans les négociations autour d’un possible accord avec les États-Unis.

À la fin du mois de juillet 2024, cependant, Israël intensifie ses attaques contre le Hezbollah. Le 30 juillet 2024 l’État juif assassine Fu’ad Shukr, le numéro un militaire du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth. Le mardi 17 et le mercredi 18 septembre une attaque sans précédent visant presque 6 000 personnes du Hezbollah est lancée, par le biais de bipeurs (appareil Pagers) et d’appareils sans fil qui se sont explosés entre les mains de leurs utilisateurs. Des dizaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres ont été gravement blessées.

Le jeudi 19 septembre, le secrétaire général du Hezbollah, alors qu’il se préparait pour prononcer un discours sur la bataille du 8 octobre, s’est trouvé devant l’obligation de commenter les attaques sans précédent contre son organisation. Ce fut son dernier discours avant son assassinat, survenu le 27 septembre 2024. Dans ce discours de nature prolixe, que nous avons traduit intégralement, Nasrallah, tout en reconnaissant la frappe, a cherché à en minimiser les effets sur les forces combattantes du Hezbollah. Toujours soutenu par ses partisans, le parti, a-t-il déclaré, restera prêt à toute confrontation avec Israël. Trois idées principales peuvent être tirées de ce derniers discours de Hasan Nasrallah : 1) La bataille du 8 octobre s’inscrit dans la lignée de la résistance islamique universelle et du mouvement du djihad contre Israël, les États-Unis, l’Occident et l’OTAN, tous perçus comme étant du côté opposé ; 2) l’insistance sur la poursuite de la guerre de soutien à Gaza et à la résistance islamique ; 3) cette bataille de soutien est considérée par le Hezbollah comme une très forte carte dont dispose la résistance islamique palestinienne, et par conséquent l’Iran, dans les négociations avec Israël et les États-Unis.

Les choses se déroulent toutefois d’une façon différente. Le 23 octobre 2024, Israël lance un ultimatum à tous les Libanais habitant du sud Liban, leur ordonnant de quitter leurs villages. Ce jour-là marque une période de combats très intenses pendant laquelle le Hezbollah subit une frappe sans précédent dans son histoire. Le 27 octobre, les F-35 israéliens parviennent à bombarder le siège principal du Hezbollah. Quelques heures après, Israël confirme l’assassinat du secrétaire général du parti de Dieu. Dans les jours suivants, Israël parvient à éliminer presque tout le commandement du Hezbollah, y compris la personne désignée à succéder à Nasrallah, Hachem Safieddine, et à frapper son seconde siège principal, situé dans les profondeurs du quartier général du parti dans la banlieue sud de Beyrouth.

 

Une chance pour l’État libanais

Deux mois de combats intenses sur la frontière libano-israélienne et de lourds bombardements ont touché presque toutes les régions libanaises, visant principalement les infrastructures militaires et financières du Hezbollah. L’image d’un Hezbollah invincible est cassée. Tout le narratif que le Hezbollah a construit pendant 40 ans autour de la Résistance, de sa capacité à combattre Israël, à menacer ses villes et ses infrastructures, ainsi que son objectif de libérer la Palestine et al-Quds, s’est effondré en 63 jours. Alors que, selon les discours de Nasrallah, le Hezbollah se prêtait à occuper la Galilée, Israël n’a pas seulement décapité le mouvement, le réduisant à un corps sans tête ni âme, mais a également occupé toute la région du sud-Liban, qui est devenue une zone entièrement détruite et vidée de ses habitants.

Le 26 novembre 2024, les États-Unis et la France ont annoncé conjointement la cessation des hostilités entre le Liban et Israël les engageant à mettre en œuvre la résolution 1701 ainsi que les résolutions onusiennes précédentes, qui appellent au désarmement de tous les groupes armés au Liban. Dans son introduction, cette annonce précise d’une manière explicite et exacte les forces autorisées à porter des armes au Liban : l’armée libanaise, les forces de sécurité intérieure, la direction de la sûreté générale, la direction de la sécurité de l’État, la douane libanaise et la police municipale. En d’autres termes, tout autre groupe libanais ou non-libanais, y compris le Hezbollah, n’est plus autorisé à porter des armes sur tout le territoire libanais. Le 27 novembre 2024, le gouvernement libanais, où siègent aussi des ministres du Hezbollah, approuve et valide l’annonce franco-américaine. Cette annonce pourrait être considérée comme le « contre-accord du Caire » signé en 1969 entre le gouvernement libanais et les organisations palestiniennes au Liban, qui avait accordé à ces organisations, sous la pression des pays arabes ainsi que des partis islamiques et gauchistes libanais, le droit à porter des armes et de mener des attaques contre Israël dans leur lutte pour libérer la Palestine. Avec le recul historique, cet accord a plongé le Liban dans un cercle vicieux, consistant à marginaliser l’État et rompre le contrat social entre les Libanais, et faisant du Liban un espace de combat et de conflits sous l’égide de groupes armés dirigés par l’extérieur. L’annonce franco-américaine est susceptible, si les Libanais arrivent à le mettre en œuvre, d’affranchir le Liban et ses citoyens de ce cercle vicieux infernal.

Beaucoup d’observateurs voient dans cette annonce – qui s’accompagne d’un nouveau paysage politique libanais, ainsi que de la chute du régime syrien, qui avait joué un rôle primordial en liant l’Iran et l’Irak au Liban et en permettant au Hezbollah de gérer ses trafics d’armes, de drogues, de commerce illégal et d’argent – une chance pour les Libanais désireux de reconstruire leur État souverain. La grande question qui se pose ici est la suivante : après toute cette longue période de fragmentation et d’absence d’État et d’institutions, les Libanais sont-ils capables de retisser leur souveraineté et leur cohésion ? Est-ce que la communauté internationale serait-elle prête à supporter les Libanais dans cette difficile entreprise ?

 

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[1] Le « déluge d’al-Aqsa » est présenté par le Hamas comme un acte de résistance nécessaire pour empêcher Israël de « liquider la cause palestinienne ». En revanche, Israël justifie sa guerre ouverte contre Gaza et le Hamas en la qualifiant de « droit à la défense » de son peuple et de son État contre le terrorisme djihadiste islamique.

 

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