La mosquée-université égyptienne est souvent considérée comme « l’autorité suprême de l’Islam sunnite ». Si grand que soit son prestige, elle ne peut en réalité revendiquer ce leadership absolu

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:02:29

La mosquée-université égyptienne est souvent considérée comme le « Vatican de l’Islam ». Cette institution très ancienne figure certainement parmi les centres les plus prestigieux du savoir musulman dans le monde, mais ce serait ne pas comprendre la nature de l’autorité dans le sunnisme que de lui attribuer une primauté dans l’interprétation de la religion. Et pourtant, si elle ne peut revendiquer ce leadership absolu que l’Occident lui attribue, elle n’en aspire pas moins aujourd’hui à guider le renouvellement de l’Islam.

 

Il n’est pas rare que la mosquée-université de l’Azhar soit définie comme le « Vatican de l’Islam », et son grand imam comme « l’autorité suprême de l’Islam sunnite ». Si ces expressions veulent exprimer le prestige dont jouit cette institution égyptienne, elles recouvrent toutefois une incompréhension de fond sur la nature de l’autorité sunnite : celle-ci, largement répandue et peu institutionnalisée, ne prévoit ni magistère, ni hiérarchie. Comme l’écrivaient il y a plus de dix ans Malika Zeghal et Marc Gaboriau, la « prétendue suprématie [de l’Azhar] est continuellement remise en question par l’existence d’un champ religieux aujourd’hui éminemment pluriel – et par là concurrentiel – en Égypte même […] comme au niveau global »[1]. Toutefois, relevaient les deux auteurs,

 

la centralité de grands lieux historiques de production et de transmission du savoir religieux montre qu’il est possible de nuancer les hypothèses selon lesquelles l’autorité religieuse musulmane serait aujourd’hui fragmentée et décentrée, en particulier à travers le phénomène de la production d’autorités religieuses sur internet. La persistance des autorités religieuses officielles et leur capacité d’adaptation suggèrent alors que l’on a probablement surévalué le phénomène de l’auto-proclamation par les autorités religieuses nouvelles que représentent les islamistes, et négligé des phénomènes importants de réinstitutionnalisation de l’autorité religieuse [2].

 

Le protagonisme de l’Azhar dans le contexte créé d’abord par la révolution de 2011, et surtout par l’explosion de la violence djihadiste, confirme cette tendance. Entre autres, l’autorité que médias et spécialistes occidentaux attribuent à l’Azhar est désormais revendiquée par la mosquée égyptienne elle-même. Elle n’en arrive pas à s’autoproclamer « l’autorité suprême de l’Islam sunnite », mais lorsque journalistes et hommes politiques occidentaux lui confèrent ce titre, elle n’hésite pas à relayer leurs propos sur son propre site et dans les réseaux sociaux[3].

 

Un passé glorieux, un renouvellement difficile

 

Deux dates figurent sur l’emblème de l’Azhar : 972 et 391. Elles indiquent, respectivement selon le calendrier julien et le calendrier islamique, l’année de fondation de la mosquée par la dynastie fatimide. L’Azhar inscrit ainsi sa propre autorité dans la profondeur de ses racines, même si, par une ironie de l’histoire, ces racines plongent dans le chiisme ismaélien dont se réclamaient les fatimides. La mosquée passa au sunnisme sous les ayyoubides (1174-1250), puis, sous les mamelouks (1250-1517), consolida son rôle d’institution pour la transmission du savoir, qui se poursuivit également pendant la période ottomane (1517-1798). À la fin du XVIIe siècle, en outre, on vit émerger la figure du Shaykh al-Azhar, qui allait s’imposer par la suite au cours du XXe siècle comme personnalité religieuse prééminente[4].

Durant l’occupation napoléonienne de l’Égypte (1798-1801), qui marque conventionnellement l’impact du monde musulman avec la modernité européenne, les oulémas égyptiens non seulement ne perdirent pas leur influence sur la société, mais l’accrurent au point de jouer un rôle déterminant dans l’instauration de Muhammad Ali comme gouverneur autonome[5].   Cet état des choses ne dura guère. La politique de modernisation et de centralisation promue par Muhammad Ali fracontinua a leggere

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Michele Brignone, « Al-Azhar est-elle la voix de tous les sunnites ? », Oasis, année XIII, n. 25, juillet 2017, pp. 56-62.

 

Référence électronique:

Michele Brignone, « Al-Azhar est-elle la voix de tous les sunnites ? », Oasis [En ligne], mis en ligne le 29 août 2018, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/al-azhar-est-elle-la-voix-de-tous-les-sunnites.

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