Dans le plus grand pays musulman du monde, le système éducatif est lui aussi basé sur les cinq principes de la « pancasila », clef de voûte idéologique sur laquelle est fondé l’État. La Constitution sanctionne le droit à la liberté religieuse et, dans les écoles, l’instruction religieuse est assurée, ainsi que le respect des différentes identités.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:43:00

L'ndonésie est le plus grand pays musulman du monde. Sur les quasi 235 millions de la population indonésienne, 87,21% sont musulmans, 6,04% protestants, 3,58% catholiques, 1,83% indous, 1,03% bouddhistes et 0,31% animistes. Bien que les musulmans constituent la grande majorité de la population, l’Indonésie n’est ni un État islamique ni un État séculier. Elle reconnaît officiellement cinq des grandes religions mondiales : Islam, Protestantisme, Catholicisme, Indouisme et Bouddhisme, qui jouissent toutes du même traitement de la part du gouvernement à travers le Ministère des Affaires religieuses. Les pères fondateurs de la République indonésienne indépendante et les promulgateurs de la Constitution de 1945 ont reconnu la pluralité des croyances dans le pays. Le préambule de la Constitution de 1945 affirme que l’indépendance indonésienne a été obtenue grâce à la bénédiction de Dieu tout puissant et que l’État indonésien se base sur cinq principes : la foi en Un Dieu Suprême, une humanité juste et civile, l’unité de l’Indonésie, la démocratie guidée par la sagesse intérieure à travers la consultation et la représentation, la justice sociale pour le peuple indonésien tout entier. Ce sont les cinq principes appelés Pancasila, l’idéologie d’État et la plateforme commune pour les différents groupes du peuple indonésien. Selon l’interprétation officielle, le premier principe, la foi dans le Dieu unique et suprême, indique que les indonésiens sont libres de pratiquer l’une des cinq religions officiellement reconnues. L’article 29 de la Constitution garantit explicitement la liberté religieuse. En ce qui concerne la vie religieuse, le rôle de l’État est de promouvoir le respect entre les adeptes de religions différentes et de réaliser l’harmonie intra et interreligieuse. L’emphase sur le besoin de solidarité nationale et communautaire a contribué à créer un schéma mental et d’action dans tous les aspects de la vie indonésienne, et tout particulièrement dans la vie religieuse. Mais comment se reflète cette vie religieuse dans le système éducatif national ? Comment les étudiants devraient-ils se comporter à l’égard de leurs camarades qui adhèrent à des religions différentes ? Selon la loi indonésienne sur l’éducation de 1989 – amendée en 2003 – le cursus de chaque institution éducative en Indonésie, du premier au troisième degré, de même que le cursus de l’éducation non formelle, devrait inclure l’éducation aux Pancasila, l’éducation religieuse, l’éducation civique. L’instruction religieuse en Indonésie a deux fonctions. La première est de soutenir la religiosité et la culture religieuse des étudiants. La seconde est de promouvoir le respect entre les adeptes de religions différentes, l’harmonie interreligieuse et l’unité nationale. Telle est la dimension sociale de l’instruction religieuse qui implique des thèmes tels que la relation idéale entre les adeptes de religions différentes, la relation entre le pluralisme religieux et l’unité nationale et le rôle des autorités religieuses dans la mobilisation des personnes et dans leur participation au développement national. Elle a pour but de faire en sorte que la religion n’engendre pas de sentiments sectaires entre les étudiants. Ces principes se reflètent dans les livres employés dans les écoles indonésiennes. Par exemple, dans un texte d’éducation civique pour les lycées [Abubakar et al., 1998], on trouve un chapitre consacré à « l’harmonie religieuse ». La description commence avec les bases légales de la vie religieuse en Indonésie : la Constitution de 1945 et le Décret de l’Assemblée consultative du Peuple. Il est ensuite affirmé que les relations entre les adeptes des différentes religions devraient être empreintes de respect mutuel, de coopération et de non obligation à une religion en particulier. Le même texte souligne en outre l’importance de l’harmonie religieuse entre les fidèles des religions au sein desquelles se trouvent différentes écoles de pensée, dénominations et courants, afin de prévenir les conflits intra-religieux. Les Mots du Respect Les mêmes principes sont mis en évidence dans les écoles secondaires de premier degré. Dans un texte destiné à la troisième année, on trouve un chapitre spécifique sur l’harmonie religieuse qui, entre autres choses, dit ceci : « Nous devons nous rendre compte que dans la vie en société nous rencontrerons de nombreuses différences entre les personnes, y compris des différences religieuses. […] Chaque fidèle est libre de pratiquer sa religion. Une bonne compréhension de la religion conduira au contrôle de soi et au respect envers les personnes de religions différentes. Cette attitude et ce comportement favoriseront à leur tour l’harmonie et la tolérance entre les fidèles de nombreuses religions différentes. […] Les êtres humains doivent comprendre qu’en tant que créatures de Dieu tout puissant, ils jouissent d’une égale dignité » [Santoso et al., 1997]. Un autre texte, toujours pour les écoles secondaires inférieures dit, dans un chapitre sur la foi, que « chaque personne est libre de suivre n’importe quelle religion. C’est un reflet du droit individuel à adhérer à l’enseignement d’une religion et de le pratiquer. La liberté religieuse n’est pas garantie par l’État, mais naît de la conscience de chacun. Pour cela, on ne peut contraindre personne à adhérer à une religion donnée. Chacun devrait pratiquer sa propre religion de manière appropriée ; les fidèles de religions différentes sont appelés à coopérer et à montrer respect réciproque et tolérance, de sorte qu’harmonie et tolérance inspirent la vie religieuse de la nation » [Santoso et al., 1994]. Enfin, un texte pour la première année des écoles secondaires inférieures décrit l’expression de la piété envers l’unique suprême Dieu. Il affirme que chaque religion possède son concept de piété à l’égard de Dieu tout puissant. Malgré cela, toutes les religions en partagent une signification de fond, qui est celle « d’obéir aux commandements de Dieu et de s’abstenir d’accomplir le mal ». Tous les citoyens indonésiens devraient pour cela « faire grandir leur piété envers Dieu, afin de devenir de bons citoyens » [Yusman, 1994]. En ce qui concerne les écoles élémentaires, il suffit de citer un exemple de texte utilisé dans la « sixième classe ». Il affirme, entre autres choses, que « la vie religieuse devrait être empreinte d’harmonie. Tout adepte d’une religion particulière doit respecter les fidèles des autres religions. Un exemple de tolérance religieuse est le respect que l’on doit à un fidèle en train d’accomplir ses rites ou célébrant une fête religieuse. Nous ne devons pas le déranger. Nous devons aussi respecter les lieux de culte et ne jamais les détériorer » [Sartono et Suharsanto, 2001]. Bref, on constate en Indonésie des efforts convergents pour enseigner l’harmonie religieuse et la tolérance à travers l’éducation. Il est important de souligner que tous les textes cités ne sont pas utilisés seulement dans les écoles publiques, mais aussi dans les madrasas où, pour un certain nombre de raisons, l’enseignement relatif à la tolérance et à l’harmonie n’est pas moins important. Avant tout, du moment que les étudiants sont impliqués dans l’interaction sociale avec leurs coreligionnaires, ils doivent savoir comment interagir avec leurs pairs d’autres religions en dehors des madrasas ou dans la société dans son ensemble. En second lieu, chez les étudiants musulmans aussi, il existe des différences dans le credo et la pratique religieuse qui ont leur origine dans leur provenance familiale et sociale. L’Islam indonésien est loin d’être monolithique. C’est un Islam pluriel, résultat de différentes interprétations qui ont donné vie à différentes écoles de pensée et de traditions. Il existe par exemple des groupes de musulmans « traditionnalistes », représentés par la Nahdatlul Ulama et des « modernistes » représentés par la Muhammadiyah. Ainsi, il y a un besoin évident de tolérance et d’harmonie intra-musulmane qui doit être établie et renforcée à travers l’éducation dispensée par les madrasas. Système Hollandais Il est important de remarquer que les madrasas représentent de fait un développement moderne d’institutions indonésiennes islamiques comme les pesantren, ou les podok (toutes deux écoles islamiques élémentaires traditionnelles à Java et Kaliman), les surau (Sumatra occidental), les dayah et les rangkang (toutes deux à Aceh). Le système éducatif des madrasas avait initialement adopté certains aspects du système scolaire hollandais, introduit au début du XXème siècle. Toutefois, entre le système occidental hollandais et celui des madrasas, une dichotomie est demeurée même après l’indépendance indonésienne de 1945. Les écoles « normales » étaient sous le contrôle du Ministère de l’Éducation nationale, tandis que les madrasas – spécialisées habituellement dans l’enseignement religieux – étaient placées sous les auspices du Ministère des Affaires religieuses. Au cours des années, il y a eu diverses tentatives d’intégrer les deux systèmes. Le plus significatif et clairvoyant a été accompli en 1975, lorsque les madrasas furent obligées d’offrir d’autres cours en plus de ceux à caractère religieux. L’intégration fut complétée avec l’application de la loi sur le système éducatif national en 1989 qui a placé les madrasas sur le même plan que les écoles générales. Le rôle critique des madrasas dans l’enseignement de la tolérance et de l’harmonie, que ce soit entre musulmans ou entre non musulmans, s’avère évident à partir de la simple constatation de leur poids quantitatif. La capacité de recrutement des madrasas dans le contexte de l’éducation nationale est très élevée. Selon les estimations les plus prudentes, à la fin des années 90, les madrasas élémentaires (madrasa ibtida’iyya), les madrasas secondaires inférieures (madrasa tsanawiyya) et les madrasas secondaires supérieures (madrasa aliya) accueillaient à leurs niveaux respectifs presque 20% des enfants en âge de scolarité. Tout aussi importantes, les données concernant l’année 1998/1999 montrent que les madrasas appartenant aux communautés locales, et donc privées, constituent plus de 85% de toutes les madrasas des trois niveaux. Après le 11 septembre, qui a été suivi de l’intervention militaire en Afghanistan, le terme « madrasa » a été associé au fondamentalisme islamique et au radicalisme. De fait, les madrasas ont été accusées par certains journalistes et observateurs de représenter le « terrain de culture » du radicalisme et même du terrorisme. Tandis que cette accusation devrait être examinée en profondeur dans le contexte afghan, il est certain que les madrasas indonésiennes sont différentes. Dans ce pays, les madrasas sont placées sous le contrôle du gouvernement. Le contenu de leur enseignement doit être en accord avec les programmes décidés par le Ministère de l’Éducation nationale et, comme les autres écoles, elles sont obligées de promouvoir l’harmonie religieuse et la tolérance. Voilà pourquoi, dans les années 90, l’Islam indonésien a été défini par certains journaux internationaux comme le Time et Newsweek comme un « Islam au visage souriant », un Islam compatible avec la modernité, la démocratie et, d’une façon plus générale, avec le monde contemporain. Un rôle clef dans l’enracinement de ce type d’Islam indonésien a été assumé par la réforme de l’éducation supérieure islamique voulue par Mukti Ali, professeur de Religions comparées à l’Institut pour les Études islamiques de Yogyakarta, formé à la McGill University de Montréal et ancien Ministre des Affaires religieuses de 1971 à 1978. L’éducation islamique supérieure consistait en 14 Instituts pour les études islamiques (Istituti Agama Islam Negeri : IAIN) et 33 collèges islamiques d’État (Sekolah Tinggi Agama Islam Negeri : STAIN). La plupart des IAIN ont été institués entre la fin des années 50 et le début des années 70, alors que les STAIN sont nés comme des branches des Facultés des IAIN à la fin des années 90. En 2002, le IAIN de Jakarta a été transformé en université, l’Université Islamique d’État (Universitas Islam Negeri : UIN), qui a pour tâche non seulement d’enseigner les sciences islamiques mais aussi toutes les branches du savoir : lettres, sciences sociales, sciences naturelles. Ces institutions ont joué un rôle très important dans la transformation de l’Islam indonésien en un Islam basé sur la tolérance et l’inclusivité. Les facteurs clefs dans ce développement incluent le changement du rôle des pesantren et des autres institutions éducatives islamiques locales, la modernisation continuelle de l’éducation islamique dans son ensemble, le nouveau cours des organisations socio-religieuses islamiques, passées du cadre politique à un cadre davantage culturel. À partir des années 80, au moins, les pesantren sont devenus de plus en plus des agents de développement et de changement social, actifs dans le développement local et dans la promotion de la culture et des valeurs civiques. Comme le démontrent différentes études, les IAIN ont joué un rôle central dans cette transformation. Les IAIN, les pesantren et les madrasas forment une unique constellation. Les étudiants des IAIN et les membres des Facultés sont le plus souvent d’origine rurale et apportent dans les IAIN une conscience de leur réalité sociale. D’autre part, lorsqu’ils reviennent dans leurs villages, ils sont en mesure de proposer, en des termes compréhensibles par les musulmans des campagnes, des principes de modernisation et de développement considérés dans le passé comme étant non conformes aux enseignements religieux. Parité entre les Sexes En outre, beaucoup d’anciens étudiants des IAIN sont devenus des membres actifs d’ONG et les promoteurs d’une transformation religieuse, sociale et culturelle. Les buts de leurs activités et de leur influence dans le milieu rural ont augmenté jusqu’à inclure non seulement les questions religieuses mais aussi des thèmes tels que le développement rural, le planning familial, la protection de l’environnement, la promotion de la démocratie et les droits de l’homme. Elles incluent des domaines qui, dans le passé, avaient tendance à être mis de côté comme la parité entre les sexes et l’information sur le SIDA. De manière analogue, le rôle des anciens étudiants des IAIN est fonction de la modernisation des madrasas. Ces dernières sont de plus en plus devenues des centres d’éducation générale tout en conservant leurs racines locales. Cette modernisation joue en faveur de l’hypothèse d’unifier le système scolaire et celui des madrasas sous la coupe d’un Département pour l’Éducation nationale et de transformer certains IAIN en UIN ou, au moins, d’inclure un plus grand nombre de programmes généraux dans le système des IAIN. Cette intégration s’est fait connaître sous le nom de « IAIN avec un mandat plus large ». Tandis que les IAIN demeurent le principal point d’accès à l’éducation supérieure pour les jeunes d’origine rurale, la superposition avec le système universitaire séculier est maintenant possible en raison de l’équipollence entre madrasa aliya (MA) et écoles secondaires supérieures (Sekolah Menegah Atas : SMA), tel que souligné dans la loi sur le système éducatif national. Le rôle décisif des IAIN dans la transformation de l’Islam indonésien, toujours plus tolérant et inclusif, doit beaucoup à l’approche suivie dans le processus éducatif. En particulier, l’Islam n’est plus seulement considéré comme une religion mais aussi comme un phénomène historique qui a évolué et s’est adapté à de nombreuses sociétés et cultures. Il est considéré pour cela comme une réalité observable susceptible d’être également interprétée à travers une analyse empirique et rationnelle. En outre, un accent particulier est mis sur une étude comparée des religions en mesure de promouvoir une approche analytique et de générer connaissance, compassion et respect pour les autres religions. L’autocritique encourage la confiance en soi, la coexistence, la tolérance et la disponibilité à accepter analytiquement, de manière critique et non émotive les positions de l’autre. Une interaction intellectuelle, sociale et culturelle avec l’Occident et avec les autres religions est en outre promue et facilitée. L’Occident n’est plus vu comme un ennemi, mais comme un partenaire dans la promotion du progrès. L’emphase sur l’étude comparée de la religion est particulièrement important. Dans le passé, le Christianisme a été, dans une certaine mesure, associé au colonialisme occidental et à un Occident parfois hostile. Il s’agit d’un sentiment qui survit en partie chez le peuple. Mais les chrétiens constituent aujourd’hui la deuxième communauté religieuse en Indonésie et sont devenus partie intégrante de la société. Cela a demandé un changement d’attitude au sein de la communauté islamique, un processus accéléré par l’éducation en général et par l’emphase placée par les IAIN/STAIN/UIN sur la coexistence pacifique.