Au Liban, la fête de l’Annonciation, déjà célébrée depuis trois ans par chrétiens et musulmans avec des initiatives communes, a été consacrée fête nationale par le gouvernement. Dans le pays des dix-huit confessions, le culte de la mère de Jésus devient aussi l’occasion d’une compréhension réciproque.
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:55
La société libanaise est composée de dix-huit confessions religieuses reconnues : quatorze Églises orientales et quatre dénominations islamiques. Chacune d’elles possède ses fêtes religieuses, durant lesquelles les institutions, les offices publics, les écoles, les universités et les commerces suspendent leurs activités. Pour favoriser la connaissance réciproque de l’essence de ces fêtes, un groupe d’intellectuels chrétiens et musulmans a travaillé, avec le concours de l’UNESCO, à la publication d’un livre expliquant la signification de chacune et la manière dont elles sont célébrées. Et ce, parce qu’une société aussi variée que la société libanaise a besoin d’une culture religieuse commune sur laquelle faire grandir une mémoire nationale partagée. Cette culture ne veut ni annuler ni ignorer les différences. Elle entend plutôt éduquer à les reconnaître, à les accepter, à les respecter et à coopérer avec l’autre dans un esprit de charité authentique. Elle se caractérise en outre par la recherche et le partage de hautes valeurs humaines, y compris celles faisant référence aux croyances religieuses. Dans ce sens, le respect, la dévotion, l’amour avec lesquels chrétiens et musulmans regardent Marie font partie du noyau des croyances respectives. Marie est « pleine de grâce », récite le Saint Évangile, tandis que le Coran la décrit comme « l’élue au-dessus des femmes de l’univers ». Son nom revient 34 fois dans le Coran, dans douze sourates différentes. L’une de celles-ci, la sourate de Marie, composée de 98 versets, lui est expressément dédiée. Au cours de tous ces passages, le Coran offre des images qui la décrivent dans les différentes phases de sa vie : avant sa naissance, lors de l’annonce de l’ange, durant l’accouchement, au moment du commencement de la mission de Jésus. Les versets 35 à 37 de la sourate de la Famille d’Imrân montrent la situation familiale de Marie avant sa naissance. Ils racontent que, ayant su qu’elle était enceinte, la femme d’Imrân, mère de Marie, consacra à Dieu l’enfant qu’elle portait dans son sein et Le pria d’accepter son vœux. Mais lorsqu’elle accoucha, elle s’aperçut que l’enfant était en réalité une fille. Alors, prise d’une forte déception, elle s’attrista, parce qu’elle espérait que l’enfant fut un mâle et puisse ainsi mieux servir Dieu par ses œuvres. La mère de Marie transforma toute son amertume en supplications au Seigneur. Elle lui dit : « Mon Seigneur ! J’ai mis au monde une fille ! ». De plus, toujours les versets coraniques font référence à ceci : « Dieu savait ce qu’elle avait enfanté ». Nous comprenons, à partir de ces paroles, que la petite Marie n’était pas seulement une fille, ni une enfant comme les autres. Les versets poursuivent en rappelant que la femme d’Imrân choisit pour sa fille le nom de Marie et la consacra à Dieu, en priant le Seigneur de protéger de Satan Marie et sa descendance. C’était le second vœux après celui par lequel elle avait consacré l’enfant lorsqu’elle la portait encore dans son sein. Dieu l’exauça : il accepta son offrande, la petite Marie, « en lui faisant une belle réceptions » et « la fit croître d’une belle croissance », c’est-à-dire en lui donnant une vie pure et saine. Et il la confia à la garde de Zacharie, que la paix soit sur lui. Zacharie, qui était un vrai croyant et un ascète, avait accepté de prendre Marie avec lui comme un ordre divin, et à la vue des signes que Dieu faisait, il fut saisi de stupeur. Le Coran raconte en effet que « chaque fois que Zacharie allait la voir, dans le Temple, il trouvait auprès d’elle la nourriture nécessaire ». Le temple est un lieu de prière et de culte à Dieu et cela signifie que Marie priait et adorait Dieu sans cesse. Et elle était nourrie et habillée par la volonté de Dieu. Zacharie était émerveillé par la présence de cette nourriture. En effet, il ne lui amenait jamais rien et il savait que Marie ne quittait jamais le sanctuaire. Il était donc normal qu’il lui demande, comme cela est rapporté par un verset, « d’où cela te vient-il ? » Marie répondait, toujours selon le Coran, que cela lui venait de Dieu par l’intermédiaire de ses anges. Et sa réponse était celle de ceux qui croient avec confiance et sérénité : « Cela vient de Dieu : Dieu donne, dans compter, sa subsistance à qui il veut. » Dignité jamais Égalée Après ce récit, les versets 42 à 45 de la sourate de la Famille d’Imrân nous présentent le texte de la première annonce des anges à Marie (« Ô Marie ! Dieu t’a choisie, en vérité ; t’a purifiée ; il t’a choisie de préférence à toutes les femmes de l’univers »), et où les anges lui annoncent sa maternité (« Dieu t’annonce la bonne nouvelle d’un Verbe émanant de Lui : Son nom est : le Messie, Jésus fils de Marie »). Le Christ est le Verbe de Dieu, il ne s’agit donc pas d’une naissance normale, ni d’un homme comme les autres. Les versets 16 à 21 de la sourate de Marie relatent un détail de l’Annonciation, expliquant que Dieu envoya son esprit à Marie « sous la forme d’un homme parfait », et rapportent le dialogue entre la femme et l’esprit apparu sous forme humaine. Tous ces passages montrent que Marie possède dans l’Islam une dignité jamais égalée par aucune autre femme, depuis Eve jusqu’à la fin du monde. C’est précisément cette dignité qui est l’un des fondements de la rencontre entre musulmans et chrétiens. Pour cela, il s’est formé un comité connu sous le nom de « Rencontre islamo-chrétienne autour de Marie » qui, au cours des trois dernières années a organisé des célébrations particulières à l’occasion de la fête de l’Annonciation, au cours de laquelle on récite des prières chrétiennes et musulmanes sur l’autel de l’église de Notre-Dame au Collège de Jamhour, l’une des grandes istitutions des Jésuites au Liban. À l’occasion de la dernière fête, on a confié au Comité National islamo-chrétien pour le dialogue, où sont représentées toutes les autorités religieuses du pays, la tâche de promouvoir auprès du gouvernement du pays la proclamation de la fête de l’Annonciation comme fête nationale islamo-chrétienne et non comme fête religieuse seulement chrétienne. Initialement, le Comité a travaillé avec l’ancien Premier Ministre Fouad Siniora, lequel a accueilli la proposition avec enthousiasme et, annonçant publiquement l’initiative, il a chargé le Conseil des Ministres de ratifier un décret. Mais à la fin, la publication du décret a été reporté. Le Comité a alors renouvelé ses efforts auprès du Chef du nouveau gouvernement, Saad Hariri, qui s’est prononcé avec enthousiasme sur la question à la veille de son voyage au Vatican pour rencontrer Sa Sainteté le Pape Benoît XVI (20 février 2010, Ndt). En seulement 48 heures, le Premier Ministre a réussi à ratifier le décret qui proclame le 25 mars fête nationale et il a en outre formé un Comité ministériel chargé d’organiser les festivités communes entre chrétiens et musulmans. Le Liban peut, entre autres, se vanter du fait que sa capitale, Beyrouth, est la seule ville arabe où a été érigée une statue représentant le Pape Jean-Paul II, en plus d’être le seul pays arabe, et même le seul pays au monde, à considérer l’Annonciation comme une fête nationale. Tout ceci pendant que le Comité national islamo-chrétien, duquel j’ai l’honneur d’être le Secrétaire général, travaille au dialogue interreligieux de sorte que le Liban est un modèle de vie commune entre chrétiens et musulmans. Au cours de la rencontre qui s’est déroulée entre le Pape Benoît XVI et le Président du Conseil Libanais Saad Hariri, la décision concernant la fête de l’Annonciation a été le point de départ pour discuter de questions liées à la présence et au rôle des chrétiens au Moyen-Orient, qui du fait de leur importance et de leurs innombrables implications requièrent une étude approfondie. Le Pape et Hariri se sont parfaitement accordés sur le fait que le désordre qui a accompagné le conflit arabo-israélien et qui règne au Moyen-Orient joue un rôle prépondérant dans la souffrance dont les chrétiens sont victimes et qui se traduit par leur émigration massive de ces régions.