Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:25:26
Depuis plus de deux mois, les Coptes égyptiens espèrent qu’une nouvelle loi sur la réglementation de la construction des lieux de culte pourra mettre fin aux discriminations envers leur communauté. La nouvelle législation devrait établir le dépassement définitif du soi-disant khatt humāyūnī – le « rescrit impérial » en vigueur depuis 1856 qui a mis l’édification des églises sous la juridiction du gouvernant – et des dix conditions que le ministère égyptien de l’Intérieur y avait ajouté en 1934, en faisant devenir l’édification des églises une longue et épineuse question bureaucratique. Seulement le 25 Août, après des mois de tensions entre l’Église copte et le gouvernement, le Synode de l’Église copte a annoncé avoir atteint un accord de compromis avec les autorités, quelques jours après avoir attaqué les amendements proposés par le Parlement au projet de loi sur la construction de lieux de culte. La loi doit maintenant être envoyée au gouvernement pour approbation, avant d’être ratifié par le Parlement.
Les retards sur la loi avaient déjà suscité les inquiétudes croissantes du pape Tawadros, patriarche de l’Église copte orthodoxe, et aiguisé les tensions confessionnelles entre chrétiens et musulmans égyptiens, qui ces derniers mois ont été fréquentes en particulier dans le sud de l’Égypte. Les Coptes en Égypte représentent entre 6 au10 pour cent (selon les estimations) d’une population de près de 90 millions d’habitants.
Les coptes, qui avaient vu avec appréhension voire terreur l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en 2012, découvert que plusieurs capitales occidentales souhaitaient la réussite de l’expérience islamiste et espéraient, contre l’évidence, que la principale formation de cette mouvance s’était convertie à la démocratie, étaient passés de la peur, se traduisant par de nombreux départs vers d’autres cieux, à l’espoir : non seulement une grande majorité de la population s’était soulevée contre les islamistes le 30 juin 2013, mais de surcroît l’Égypte avait élu avec une très forte majorité le président le plus philo-copte de son histoire récente. Un président qui multipliait les appels à
« une révolution religieuse » renouvelant les discours des docteurs de l’islam et
les gestes symboliques – allant à la messe de Noel présenter ses vœux aux fidèles – une première dans l’histoire du pays. Les progrès se multipliaient : jamais le parlement n’avait compté autant de députés coptes, jamais les appels à la fraternisation entre confessions si nombreux et sincères, jamais le spectre du fondamentalisme frère ou salafiste n’avait semblé aussi lointain. L’institution militaire multipliait les encouragements aux réflexions sur la notion de citoyenneté, qui implique l’égalité de tous. Les incidents confessionnels se faisaient beaucoup plus rares.
Mais, dès le printemps dernier,
le Pape Tawadros était à nouveau inquiet. Le président, faute de relais au sein d’al Azhar, ne parlait plus que de
« rectification » du discours religieux, et de plus en plus rarement. Les organismes sécuritaires négociaient avec les frères musulmans et la nouvelle équipe au pouvoir en Arabie Saoudite semblait moins anti islamiste et plus impliquée dans la politique azharite que le défunt Roi Abdallah. La loi sur les lieux de culte, réclamée par l’Église, ne cessait d’être étudiée.
Et, en mai,
les incidents confessionnels sont très brusquement repartis à la hausse, à une fréquence jamais vue d’
incendies d’Églises ou d’attaques contre des commerces, des maisons de chrétiens. Une vieille dame fut déshabillée et promenée nue dans son village. Les incidents avaient les mêmes causes – des coptes construisant ou accusés de construire des lieux de culte sans autorisation, ou des histoires d’amour entre personnes de communautés différentes suscitaient l’ire de personnes excitées par des meneurs souvent mais pas toujours salafistes – et étaient « gérés » de la même manière qu’antan : la loi n’était pas appliquée, les officiels locaux niaient l’existence d’un incident ou le minimisaient et des conseils de conciliation traditionnels scellaient une pseudo réconciliation sans punition des coupables. Pis, les attaques contre la communauté n’étaient plus seulement le fait d’une populace en colère et éventuellement manipulée par des acteurs. Certaines administrations semblaient coupables : plusieurs lycéennes et lycéens coptes échouaient au baccalauréat, alignant les zéros mystérieux, contestés, peu plausibles. Et le ministre de l’éducation couvrait son administration.
Le clergé, les hommes politiques, les intellectuels et les militants coptes, soutenus par les laïcs et les non islamistes musulmans, se mobilisèrent et multiplièrent les prises de parole véhémente, réclamant l’application de la loi,
la traduction des meneurs en justice et une protection musclée de l’armée et des forces de l’ordre (les incidents sont géographiquement situés, le gouvernorat de Minia est le principal théâtre des heurts). La diaspora copte fit entendre sa voix aux États Unis, ce qui semble avoir été une sonnette d’alarme poussant le président à recevoir le Pape, accompagné d’une importante délégation du clergé et de laïcs.
Dans l’ensemble, la thèse principale des portes paroles de la communauté et de ses alliés musulmans craint
un retour aux recettes éculées du régime Moubarak, qui était surtout soucieux d’éteindre les incendies, mais qui acceptait ce faisant de garantir
l’impunité des assaillants (quand ils étaient musulmans). Et cela ressemble à cela. Mais une différence est importante et risque d’être sous estimée par les acteurs : le président, les hauts responsables et une importante proportion de musulmans pensent que la recrudescence de ces incidents est
une manœuvre islamiste et qu’elle souligne l’urgence d’une « guerre culturelle » contre les « ennemis de la notion de citoyenneté » – mais ils craignent l’utilisation par les islamistes d’un de leurs arguments favoris « ce régime guerroie les vrais musulmans pour le compte de croisés ». Personne ne sait si l’argument « marchera » et dans la difficile conjoncture actuelle personne n’a envie de tenter l’expérience. En d’autres termes, le président n’est pas, contrairement à Moubarak, sur une ligne « enterrer le problème et prétendre ensuite qu’il n’existe pas ». Il dit que cette question ne sera résolue que progressivement (ce qui est un grand progrès par rapport au déni moubarakien) et estime que la conjoncture économique, politique, sécuritaire et, dirais-je, azharite (la vénérable institution est le théâtre de conflits internes mais a aussi des problèmes avec la communauté intellectuelle) ne permet pas de s’y attaquer pour le moment.