Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:50:34
La migration est un nouveau phénomène. L'histoire humaine a depuis toujours été scandée de migrations de personnes si ce n'est de populations d'un pays à l'autre. Les flux migratoires ne sont pas statiques par nature, mais ils varient et se modifient dans le temps selon des formes et une intensité qui reflètent souvent l'émergence et la consolidation de nouvelles conditions démographiques, sociales, politiques et économiques. Comme on le sait, l'Italie a été concernée par cette situation : en tant que pays historique d'émigration, elle a assumé au cours de ces dernières décennies le rôle de pays d'accueil.
Les raisons qui sont à la base de la migration sont nombreuses et par conséquent, les événements vécus par ceux qui en font l'expérience sont multiples. Il y en a qui la choisissent de façon plus ou moins convaincue et d'autres qui la subissent, qui la considèrent comme une ressource et en acceptent les risques et ceux qui la vivent comme un événement inéluctable et en expérimentent le drame.
Ce qui qualifie dans tous les cas le sens du voyage c'est la dimension de la crise, dans le sens de déchirure ou de séparation d'un ordre consolidé de relations et de références sociales et culturelles, de trouble d'un équilibre existant qui comporte en même temps une dimension de croissance possible ou de risque possible.
Le voyage évoque, d'une part, la perte, la souffrance, la douleur et il appelle à répondre de ce qui doit être conservé du temps et des liens précédents et de ce qui doit être revu ou abandonné ; mais d'autre part il renvoie à quelque chose de nouveau, à l'ouverture et à la croissance de nouvelles rencontres et possibilités.
L'expérience de la migration est dans tous les cas une expérience qui désoriente, qui interroge les aspects les plus profonds de la propre identité personnelle et culturelle.
Le résultat du processus migratoire dépend de multiples facteurs : de ce à quoi les étrangers s'attendent, des ressources personnelles dont ils disposent, de la capacité et possibilité "d'habiter" de nouveaux lieux et de leur donner un sens, des réelles opportunités qui leur sont données par ceux qui les accueillent.
Pour saisir la complexité du processus migratoire et comprendre quels parcours sont féconds et lesquels sont risqués, il est important d'assumer une perspective qui sache cueillir à l'intérieur d'un cadre temporel adéquat les aspects profonds et souvent moins visibles du phénomène : les mandats familiaux et sociaux, les projets et les nécessités, les défis de la part de ceux qui arrivent et de ceux qui accueillent, les urgences et les désirs liés à une histoire et à un fort projet de vie.
Les épisodes récents de malaise et de violence qui ont donné une voix à l'impuissance des seconde et troisième générations d'immigrés dans quelques-unes des plus importantes capitales européennes mettent en évidence la partialité des clés de lecture avec lesquelles une grande partie de la littérature, en particulier du genre psycho-social, tend à affronter les problèmes posés par la migration.
Celle-ci est normalement considérée comme un événement critique qui, pour pouvoir être affronté avec succès, exige des habilités spécifiques de gestion des problèmes et d'adaptation de la part du migrant, en accord avec un contexte social qui en accueille les besoins primaires (maison et travail).
Cette perspective se caractérise par sa connotation fonctionnelle de brève haleine, visant de façon explicite à examiner les facteurs nécessaires à l'adaptation socio-culturelle ou au bien-être psychologique des migrants, selon une optique typiquement individualiste.
En d'autres mots, la migration est fondamentalement considérée comme un événement ponctuel, circonscrit, qui se déroule sur un arc de temps relativement bref, même si l'on peut reconnaître ensuite que quelques effets «résiduels» pour ainsi dire, se présentent à des moments différents, comme par exemple la crise d'identité des générations successives à celle qui a émigré. Le regard optimiste et fortement centré sur les poussées d'adaptation au nouveau contexte tend même à sous-estimer les inerties, les résistances aux changements et, surtout, sous quelles formes et à quel moment elles peuvent se manifester. La signification et les effets à long terme que ces adaptations peuvent avoir sur l'identité personnelle et sur la façon d'évaluer le propre patrimoine culturel restent sur le fond ou bien sont explicitement négligés. Non seulement, mais aussi quand la centralité de la dimension relationnelle dans le processus migratoire est mise en évidence (par exemple en soulignant le rôle que jouent les networks sociaux pour soutenir la migration, la dynamique complexe des remises aux familles d'origine, l'impact de la migration en série sur la vie de couple et sur la relation parents - enfants), on en offre de toute façon une lecture dans des termes en substance encore individualistes. A l'immigré de première génération s'est substitué aujourd'hui l'adolescent ou le jeune de seconde génération comme unité d'analyse privilégiée, un sujet encore une fois isolé autour duquel les relations dans leurs aspects contraignants ou de ressource servent de décor ou de simple «accompagnement».
L'image et le profil de l'immigré - qu'il soit de première, deuxième ou troisième génération est en réalité plus complexe et demande une lecture basée sur la relation, attentive à l'ensemble de liens et de rapports dont le migrant fait partie et qui peuvent revêtir une fonction de support et de poussée contenant une proposition pour sa croissance ou, au contraire en être un obstacle et un empêchement.
Redonner de la consistance et de la visibilité aux liens des étrangers signifie surtout élargir la perspective d'analyse et poser le regard sur le sujet collectif qui est le metteur en scène et le protagoniste d'une grande partie des dynamiques concernant la migration, c'est-à-dire la famille.
Objectifs et Buts
En résumé, il y a trois raisons principales pour lesquelles il est nécessaire de mettre au centre de la scène migratoire le sujet familial.
La première, la plus évidente, concerne les destinations et les buts des migrations. Une grande partie des mouvements migratoires se développe pour des raisons qui concernent la famille : les réunions à la famille croissent continuellement non seulement en Italie, mais aussi dans les autres pays où le pourcentage d'étrangers immigrés qui se déplacent pour des raisons de famille est très élevé, même s'il peut y avoir une différence sensible de nombre entre les différents pays en fonction de la politique migratoire que les gouvernements nationaux décident d'adopter.
En deuxième lieu, la centralité de la famille dans la migration concerne chaque phase du processus migratoire : on ne peut pas comprendre la décision d'émigrer, ses développements et les multiples aspects problématiques qui lui sont liés sans tenir compte des stratégies familiales de survie et/ou d'affirmation. C'est la famille qui désigne souvent lequel de ses membres peut ou doit être candidat au départ, qui détermine les opportunités migratoires ou d'établissement dans un pays déterminé, qui finance le projet migratoire, qui favorise l'introduction dans la nouvelle réalité sociale, en fournissant les ressources matérielles et informatives aux nouveaux venus. C'est toujours la famille qui établit une série d'obligations réciproques entre les migrants et la famille qui reste dans le pays d'origine. Et c'est justement au sein de la famille qu'on décide fréquemment, plus tard, du choix de rentrer au pays d'origine ou de s'établir définitivement dans le pays d'accueil. L'investiture familiale de celui qui émigre prévoit donc une série d'aspects éthiques qui confirment son identité et le protègent ou bien, vice-versa, qui peuvent l'exposer au déracinement.
Un troisième motif qui pousse à mettre la famille au centre de l'attention, en tant que sujet réel de la migration, est que cette optique peut permettre de subdiviser les problèmes et les conséquences relatives à l'immigration dans un pays étranger dans une perspective temporelle élargie, qui ne se limite pas au présent. Toute vraie crise migratoire, quand elle se manifeste, concerne toujours des dynamiques et des arguments familiaux et elle se manifeste à des périodes qui échappent souvent au regard de ceux qui sont attentifs à la période immédiatement successive à l'arrivée dans une terre étrangère. En outre ce sont des crises au cours desquelles est mise en évidence la difficulté que la famille manifeste à créer des formes de médiation culturelle adéquates entre son propre système de valeurs intériorisées et les nouvelles coutumes culturelles qu'offre la société d'accueil.
Ce n'est souvent qu'à partir de l'apparition de la troisième génération d'immigrés qu'il s'avère réellement possible de relier et de réélaborer le passé et l'avenir, les exigences de la culture familiale d'appartenance et les exigences du nouveau milieu social, en surmontant de cette façon les raisons de la division symbolique et réelle que l'histoire des premières générations d'immigrés a souvent en commun.
C'est comme si nous disions que la partie décisive pour une intégration possible des étrangers se joue le long d'un «axe temporel qui se déroule sur plusieurs générations» où les thèmes de la justice entre générations (le sacrifice des parents, la loyauté des enfants) et de la reconnaissance/appréciation de l'héritage que la génération adulte laisse à la génération successive acquièrent une signification particulière.
Plus de Générations
L'expérience, parfois dramatique, des plus jeunes générations de migrants, de construire une structure solide d'identité met en évidence l'importance de distinguer entre différents niveaux d'adaptation à l'intérieur d'un arc de temps suffisamment organisé. Une intégration au début sans problèmes ou avec des difficultés qui soient de toute façon gérables, n'est souvent qu'une des phases d'un plus long parcours constellé de crises et de phases régressives qui peuvent caractériser la vie de chaque émigrant, surtout des plus jeunes.
Dans un travail de recherche et de réflexion sur ces thèmes il est donc fondamental d'expliquer et de suivre une perspective qui fasse apparaître l'importance intergénérationnelle des histoires et des événements qui se déroulent à partir de la migration.
Considérer la migration dans une optique intergénérationnelle signifie accueillir l'idée qu'elle met en scène plusieurs souches, plusieurs générations, plusieurs genres qui s'entrecroisent , supposer que les coûts et les gains ne sont visibles qu'à travers le temps qui s'écoule et dans l'histoire familiale ; cela comporte le fait de prendre en considération la trame des liens qui, comme des fibres invisibles mais solides tiennent unis ou bien séparent les parcours de tous ceux qui constituent la famille ; cela signifie encore qu'il s'agit de réussir ou de ne pas réussir à rester dans la dimension de l'échange réciproque.
La tâche la plus difficile pour celui qui émigre semble être celle de savoir «construire et gérer des synthèses complexes» et de «dialoguer sur les multiples différences» qu'il trouve devoir vivre.
La gestion de la différence (de genre, de génération, d'origine) qui est déjà en soi un défi central pour un membre de la famille semble ainsi s'imposer avec plus de force dans l'événement migration : comme dans un kaléidoscope ce défi se dilate et s'unit au thème du rapport entre «là-alors» (le pays d'origine) et le «ici-maintenant» (le pays d'accueil) ; entre celui qui part, qui reste et qui arrivera ensuite sur la scène ; entre des mondes et des cultures différents. La famille est appelée à gérer la différence non seulement envers l'extérieur (par rapport au pays qui accueille en recherchant des stratégies possibles d'intégration), mais aussi à l'intérieur d'elle-même (dans la confrontation continuelle entre rôles, fonctions, besoins, représentations).
La capacité de la famille migrante de prendre soin des propres liens familiaux, dans une tension continue entre renouvellement et fidélité négociée à ses propres origines représente probablement le défi crucial d'orienter et de guider positivement l'intégration dans le nouveau contexte social.
Il s'agit d'un défi difficile à affronter, dont l'issue positive ou négative dépend de multiples conditions : des ressources des membres de la famille, du fonctionnement de la famille dans son ensemble, de la capacité de trouver et d'accepter de l'aide et du contexte où l'on vit, plus ou moins facilitant, accueillant ou hostile.
Là où on arrive à affronter et à gérer ce défi de façon positive, il est probable que la famille atteigne ce qui est peut-être l'objectif final de tout parcours migratoire réussi : apprendre à vivre, non pas «entre» deux mondes mais «à l'intérieur» de deux mondes, à l'intérieur d'un espace de vie qui peut donner un nouveau sens à sa propre histoire et aussi instituer de nouvelles formes de communauté et de lien avec le nouveau contexte social.