Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:43:11

Trente années se sont écoulées depuis que le terme “inculturation” a été utilisé pour la première et officielle fois dans un document pontifical (Catechesi tradendae, n.53, octobre 1979). Depuis lors, le terme et le concept de l’inculturation ont conquis une place de premier plan dans les discours pontificaux consacrés à la mission, à l’évangélisation ou au dialogue interculturel et interreligieux. Depuis ses origines – à partir du passage du monde juif au monde hellénistique – l’Eglise connaît la multiplicité des cultures. Au cours du XXe siècle l’irruption de la complexité et du pluralisme culturel a été accueilli, pensé et analysé par le Magistère de l’Eglise. C’est ainsi que le Concile Vatican II (1962-1965) traite abondamment des rapports entre la foi et la culture dans la Constitution Gaudium et spes (cf n. 53) qui fournit, par ailleurs, une analyse minutieuse du monde moderne au sein duquel le développement scientifique, l’émergence de la psychologie ainsi que des phénomènes comme l’industrialisation et l’urbanisme ont donné naissance à une nouvelle forme de culture de masse. Le sens du mot « inculturation » s’est forgé peu à peu au contact d’autres vocables comme « acculturation », « transculturation » ou encore « enculturation ». L’ « acculturation » est la rencontre des cultures et les changements provoqués par cette rencontre. La « transculturation » désigne, quant à elle, un ensemble d’éléments présents dans toutes les cultures ou bien le transfert ethnocentrique et unidirectionnel de certaines éléments d’une culture à l’autre. Enfin la notion d’« enculturation », créée par Herskovits en 1948 (Man and His Works, N.Y. 1952) renvoie au processus d’apprentissage par lequel un individu s’approprie les caractéristiques de sa culture et, par extension, la transmission de la culture d’une génération à l’autre. « Enculturation » est synonyme de « socialisation ». Dans la Redemptoris Missio, n. 52 (1990), le Pape Jean Paul II reprend la définition de l’Assemblée Extraordinaire du Synode de 1985 pour définir l'inculturation comme l’« intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et l'enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines ». L’inculturation se caractérise donc par un double mouvement : d’une part un mouvement dialogique dirigé vers le cultures qui passe par l’incarnation de l’Evangile en elles et la transmission des ses valeurs ; d’autre part un mouvement orienté vers la communauté ecclésiale qui se traduit par l’introduction en son sein des valeurs présentes dans la culture rencontrée. Il y a fécondation réciproque. En d’autres termes, l’inculturation pose deux problèmes corrélatifs : celui de l’évangélisation des cultures et celui de la compréhension culturelle de l’Evangile. C’est bien ce mouvement de va-et-vient qui faisait dire à Jean-Paul II en 1982 : « La synthèse entre culture et foi n’est pas seulement une exigence de la culture mais aussi de la foi. Une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue » (Lettre de fondation du Conseil Pontifical de la Culture, 20 mai 1982). En d’autres termes, l’inculturation n’est pas un acte, mais un processus, qui s’inscrit dans le temps. Il s’agit d’un processus actif qui exige accueil mutuel et dialogue, conscience critique et discernement, fidélité et conversion, transformation et croissance, renouveau et innovation. Mais, en réalité, si nous voulons comprendre ce qui se joue fondamentalement dans ce processus appelé « inculturation », si nous désirons élucider les rapport entre foi et culture et saisir la manière dont la foi chrétienne se répand dans le monde entier, au contact de toutes les cultures, nous sommes amenés à nous demander ce que désigne le terme même de « culture » . Qu’est que c’est la culture, au fond ? Qu’en dit le Magistère de l’Eglise ? Nous pourrions affirmer, dans une première définition, que la culture est l’ensemble des moyens déployés par l’homme pour devenir plus vertueux et plus raisonnable afin d’accéder pleinement à l’humanité. Au plus intime d’elle-même, la culture se définit par une ouverture au divin et, ultimement, par une dimension religieuse. En 1993, dans le cadre d’une conférence donnée aux Evêques de l’Asie en 1993, le Cardinal Ratzinger déclarait : « Nous ne devrions plus parler d’« inculturation », mais de rencontre de culture ou d’« inter-culturalité ». Pour Benoît XVI, l’inter-culturalité “appartient à la forme originaire du christianisme” et implique soit une attitude positive vers les autres cultures et vers les autres religions qui en constituent l’âme, soit une œuvre de purification et une “coupe courageuse”, indispensable à chaque culture qui veut rester ouverte et vivante. La rencontre entre les cultures ainsi décrite est rendue possible grâce à deux présupposés. Le premier est l’universalité de la loi naturelle. Malgré toutes les différences qui les opposent, les hommes ont en commun une seule et même nature : leur raison s’ouvre à la Vérité. La deuxième présupposé est l’idée selon laquelle la foi chrétienne, qui nait de la révélation de la vérité, produit ce que nous pouvons appeler la ‘culture de la foi’, dont la caractéristiques est de pouvoir être en chaque peuple ou sujet culturel. Il n’existe donc pas de foi neutre, abstraite de toute culture, qui puisse se greffer dans différents contextes religieusement indifférents. La foi chrétienne ne s’identifie à aucune culture déterminée. Un certain pluralisme y est donc intimement liée. Le dialogue entre les cultures et les religions, qui fut l’un des grands axes du pontificat de Jean Paul II, caractérise l’action présente de Benoît XVI, qui a dédié une bonne partie de sa réflexion à ce sujet, bien avant son élection. En 1975 l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi abordait déjà la question du rapport entre Evangile et cultures. C’est dans l’élan d’Evangelii Nuntiandi que le Pape Jean Paul II a utilisé l’expression « inculturation », pour souligner le fait que l’Evangile transcende toutes les cultures tout en étant vécu par des hommes et pas des femmes toujours liés à des cultures spécifiques. Le thème de l’ouverture des cultures aux valeurs universelles a été développé dans le document Evangile et Inculturation (1988) de la Commission théologique internationale, dont le Cardinal Joseph Ratzinger était président depuis 1982. On attribue au concept d’inculturation une variété de significations qui incluent non seulement l’effort de l’Eglise pour faire pénétrer l’Evangile dans chaque milieu socioculturel, mais aussi son influence sur les cultures à laquelle est rattachée « l’idée de croissance, d’enrichissement mutuel des personnes et des groupes » Le Cardinal Joseph Ratzinger a donc soutenu la nécessité d’abandonner la perspective de l’inculturation pour passer à celle de l’inter-culturalité. Benoît XVI confirme le fait que l’inculturation de la foi est une nécessité sans compromettre la spécificité et l’intégrité de la foi. Cependant, pour lui, le rapport entre l’Eglise et les cultures implique d’autres aspects, en particulier une œuvre d’évangélisation qui nécessite une action de discernement critique. Exprimant une préoccupation qui lui est propre, Benoît XVI a encouragé à plusieurs reprises « une réflexion qui montre la richesse de l’unique vérité dans la pluralité des cultures». Quelqu’un a dit qu’une page d’histoire vaut plus qu’un volume de théories. Mais, en considération du fait que théorie et praxis sont corrélatives, je propose, pour finir, de considérer le modèle de l’inculturation à la lumière du modèle de l’Incarnation, dont le propre est d’assumer pour transfigurer.