Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:34:09
Pour la première fois, sans doute, dans l’histoire du monde arabe contemporain une structure officielle d’un Etat musulman organise un colloque sur le thème de la liberté religieuse en abordant publiquement le problème des conversions de musulmans vers le christianisme. Le contexte de cette décision est le suivant. Depuis une vingtaine d’années, au moins, des groupes de convertis de l’islam se sont développées en Algérie notamment à l’initiative des Eglises évangéliques anglo-saxonnes, en particulier dans la région berbère d’Algérie appelée Kabylie. Ces nouveaux convertis venant de l’islam ont rendu publique leur conversion, ce qui est rare dans des pays arabo-musulmans. La presse algérienne, surtout arabophone, a multiplié les articles agressifs reprochant à l’Etat algérien de laisser ces groupes se développer, alors que la Constitution algérienne reconnaît l’Islam comme religion d’Etat et place cette confession sous la protection des pouvoirs publics.
Les autorités algériennes se sont donc vues contraintes d’adopter des mesures légales pour encadrer ces nouveaux groupes de chrétiens convertis de l’islam. Elles l’ont fait le 28 février 2006 en adoptant un décret, qui en tout en garantissant la liberté de culte, condamnait à des peines sévères d’emprisonnement ou à des amendes, assez lourdes, les personnes ou les groupes qui incitaient des musulmans à adopter une autre religion. Sur la base de ce décret et des mesures d’application qui les ont suivi (mai 2007), des églises ouvertes sans autorisation administrative furent fermées et plusieurs chrétiens évangéliques furent condamnés, en 2008, à des peines d’emprisonnement pour avoir été contrôlés alors qu’ils transportaient des Bibles ou réunissaient des catéchumènes. Ces condamnations sont actuellement en appel. Un prêtre catholique fut lui aussi pris dans les mêmes mesures (2008) pour avoir été prier avec des migrants camerounais clandestins qui se réunissaient dans une forêt pour échapper aux contrôles policiers.
Ces mesures furent évoquées, dans certains organes de la presse internationale, et stigmatisées, notamment dans le rapport annuel des Etats Unis sur la liberté religieuse. C’est dans ce contexte que Mr Ghoulamallah, Ministre algérien des Affaires Religieuses, a décidé d’organiser un colloque international à Alger les 10 et 11 février dernier (2010) sur le thème « L’exercice du culte un droit garanti par la religion et par la loi. » Ce colloque réunissait une centaine de personnes à la Maison de l’Imam, à Alger, structure dépendant du Ministère des Affaires Religieuses. Les travaux du colloque se sont déroulés sous la Présidence du Ministre algérien des Affaires Religieuses et en présence de M. Le Président du Haut Conseil Islamique ainsi que d’une dizaine de Directeurs départementaux des Affaires Religieuses. Une vingtaine de professeurs d’Universités musulmans concernés par le thème (juristes, sociologues, historiens, islamologues) avaient été invités à préparer des communications sur le thème.
En outre étaient invités à apporter leur contribution au colloque les représentants des cultes chrétiens comptant actuellement des communautés de fidèles en Algérie : les évêques catholiques du pays, le représentant de le Nonciature, l’évêque anglican du Caire responsable pour le Maghreb, le Président de la Fédération des Eglises Protestantes de France, le sur-intendant méthodiste résidant en Suisse, le pasteur adventiste d’Alger, les deux représentants algériens des évangéliques et une autorité évangélique des Etats-Unis. Etaient invités également le Cardinal Barbarin, Archevêque de Lyon et des représentants des Affaires Etrangères d’Allemagne, de France, des USA et de Palestine chargés de présenter la situation de la liberté religieuse dans leurs pays.
Près d’une trentaine de communications furent assurées par les participants sur le thème de la liberté religieuse au regard des instruments juridiques internationaux, ou à partir de l’histoire de l’islam ou de la législation algérienne. L’archevêque d’Alger présenta avec force les remarques que l’Eglise catholique pouvait faire sur les conséquences du Décret de 2006 pour la liberté des cultes autres que l’islam en Algérie. L’évêque de Constantine pu évoquer publiquemeent la question de la liberté de conscience des personnes musulmanes qui demandent à devenir chrétiennes. Le Pasteur Baty, Président de la fédération des Eglises protestantes de France, demanda que le dialogue inter-religieux s’ouvre par la reconnaissance que l’on ne peut imposer à l’autre sa religion. Les responsables évangéliques ou adventistes évoquèrent avec mesure le droit à l’existence de leurs communautés, sans toutefois souligner explicitement que leurs fidèles étaient des convertis venus de l’islam. Par ailleurs les relations inter-personnelles, au cours du Colloque, furent empreintes de courtoisie et une place assez large fut laissée à l’expression des non musulmans présents au colloque.
Dans les conférences présentées par les intervenants musulmans certains d’entre eux ont explicitement évoqués le problème des conversions. Le professeur Tahar Eddine Amar l’a fait en présentant les instruments juridiques internationaux sur la liberté religieuse, en particulier en commentant le texte de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui affirme que le « droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion implique la liberté de changer de religion ». Le Professeur Mustapha Cherif, d’Alger a abordé explicitement le thème du prosélytisme, mais surtout pour en marquer les limites dans une société musulmane comme la société algérienne. Le professeur Amar Rezki, directeur des Affaires juridiques du Ministère a présenté l’ensemble des dispositions juridiques concernant les non musulmans en Algérie.
Il n’y eut pas de document de conclusion adopté ou présenté à la fin du colloque. Mais le Ministre des Affaires religieuses a eu l’occasion, au cours de la semaine suivante, de présenter à la télévision algérienne la position qui fut celle des autorités musulmanes au cours du colloque. L’islam et la loi algérienne, a-t-il déclaré, reconnaissent le droit à la liberté de conscience - et par conséquent à la liberté de choix personnel des individus au plan religieux. Mais l’Etat algérien, qui doit protéger l‘islam, refuse que des actions organisées de prosélytisme soient mises en place par des personnes ou par des groupes sur le territoire algérien.
La Presse algérienne ou internationale a peu repris les conclusions de ce colloque. Mais, dans le principe, le droit des individus à adopter la religion de leur choix a été affirmé tout en sauvegardant la volonté des autorités publiques algériennes de contrôler et de réglementer les actions cultuelles des groupes religieux, musulmans ou non musulmans. Le prosélytisme des groupes religieux non musulmans demeure interdit et punit par la loi. Malgré ces limites il est remarquable que devant les instances officielles d’une société musulmane arabe on ait pu aborder la question de la conversion, en présence d’ailleurs de responsables évangéliques algériens d’origine musulmane, auxquels il est vrai on n’a pas donné la parole. Ce colloque marque donc une étape vers la reconnaissance, par les autorités compétentes, du droit des musulmans, comme individus, à la liberté de conscience, dans un pays où l’islam est religion d’Etat.