Comment expliquer que la notion de « shahid » ait assumé tant d’importance, alors qu’elle ne figure guère dans le Coran ?

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:35:19

Le mot shahîd, couramment utilisé de nos jours pour désigner le « martyr », avec son pluriel shuhadâ', correspond étymologiquement au mot grec martys qui signifie « témoin ». Nous le rencontrons 55 fois dans le Coran, le plus souvent dans le sens juridique d'un témoin. Dans trois cas, il s'agit clairement des "martyrs". Voici ces passages (d'après la traduction de Muhammad Hamidullah) :

[4, 69] : « Quiconque obéit à Allah et au Messager... ceux-là seront avec ceux qu'Allah a comblés de Ses bienfaits : les prophètes (nabiyyîn), les véridiques (siddîqîn), les martyrs (shuhadâ') et les vertueux (sâlihîn). Et quels compagnons que ceux-là ! » 

[39, 69] : « Et la terre resplendira de la lumière de son Seigneur ; le Livre sera déposé, et on fera venir les prophètes (nabiyyîn) et les témoins (al-shuhadâ') ; on décidera parmi eux en toute équité et ils ne seront point lésés » 

[57, 19] : « Ceux qui ont cru en Allah et en Ses messagers ceux-là sont les grands véridiques (siddîqîn) et les témoins (al-shuhadâ') auprès d'Allah. Ils auront leur récompense et leur lumière, tandis que ceux qui ont mécru et traité de mensonges Nos signes, ceux-là seront les gens de la Fournaise »

Je me bornerai à ce propos à trois remarques textuelles. La première, c'est que le mot « martyr » ne se rencontre que deux fois dans tout le Coran, dans la traduction de Muhammad Hamidullah: en [3, 140] et ici en [4, 69]. La seconde, c'est que nous avons dans les trois cas une énumération de "justes", qui rappelle certains passages du Nouveau Testament ; la succession étant ici : nabî, siddîq, shahîd et sâlih. La troisième, c'est que ces trois versets sont les seuls passages parmi les 55 occurrences de shahîd qui font une énumération de justes, ce qui correspond à des catégories.

Je traduirais ces quatre termes par : prophètes, justes, martyrs et saints. Cette dernière traduction peut surprendre, mais le Coran n'utilise jamais le mot qiddîs, habituel chez les chrétiens pour désigner le saint. En revanche, le substantif pluriel sâlihûn/în se rencontre 30 fois et correspond assez à ce sens.

Dans ces conditions à niveau du discours coranique, comment se fait-il que le martyre ait pris une telle importance en islam ? Et surtout, que le terme shahîd soit utilisé si abondamment pour désigner toutes sortes de personnes décédées ?

  1. Toute personne tuée violemment est appelée « martyr ». Ainsi, les 168 militaires libanais qui sont morts entre le 20 mai et le 2 septembre 2007, au nord du Liban, lors des affrontements avec les "combattants" (= terroristes) de Fath al-Islâm, dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr al-Bared, sont unanimement appelés shuhadâ'. Faut-il appeler aussi "martyrs" les civils palestiniens ou libanais qui ont été tués par erreur lors de ces affrontements ? De même, les personnes qui sont mortes à la fin janvier 2008, lors de la manifestation de protestation des chiites, ont été appelées "martyrs" par la foule comme par la presse. Il en est ainsi pour tous les hommes d'Etat, journalistes et autres personnes qui ont été tuées dans les attentats des dernières années au Liban. Ils sont unanimement appelés «martyrs» et reçoivent donc les honneurs dus aux martyrs. Cela a été particulièrement tangible pour le président Rafic al-Hariri, mais également pour bien d'autres. En somme, toute personne tuée violemment, le plus souvent pour des motifs politiques, ou tout simplement suite à une émeute politique, est affublée du titre de martyr.

  2. Autres exemples : morts par accident ou par maladie. Au mois de novembre 2007, les corps de… Egyptiens ont été repêchés au large des côtes italiennes et leurs dépouilles rapatriées en Egypte. Ces immigrés essayaient de pénétrer illégalement en Europe. L'Université islamique d'al-Azhar, la plus haute instance de l'islam sunnite, a déclaré « martyrs » ces Egyptiens morts noyés en tentant de rejoindre clandestinement l'Europe et a présenté « ses sincères condoléances aux familles de ces martyrs morts pendant qu'ils voyageaient à la recherche d'un gagne-pain licite ». Le 13 novembre, le grand mufti d'Egypte, le cheikh Ali Gomaa, s'est opposé à cette appellation, qui, selon la foi musulmane, donne un accès direct au paradis : « Je ne peux pas dire qu'ils sont des martyrs. Ils se sont jetés à la mort, le but de leur voyage n'était pas de servir Dieu. […] L'avidité et la quête de l'argent étaient leurs motifs ». Au Maroc, le mufti-député Abdelabari Zemzmi a réagi outré : « Je ne comprends pas qu'une éminence grise comme le Cheikh Joumaâ puisse tenir des propos aussi graves. Sa sortie a manifestement un caractère politique ». Pour lui, « les clandestins se noient parce qu'ils cherchent une vie meilleure et sont, de ce fait, des martyrs ». Et le quotidien marocain Tel Quel de commenter : « A trop écouter Zemzmi, tout le monde ira se noyer en haute mer pour aller au paradis ». Récemment, le 3 décembre 2007, le directeur général de l'orientation religieuse du ministère des waqfs en Egypte, le cheikh Ahmad Abu Yussuf, a émis une fatwa affirmant que le malade du SIDA devait être considéré comme un martyr. Il justifiait cela par le hadith bien connu : « Quiconque meurt d'un mal de ventre (mabtûn) est un martyr ». Il ajouta que 90 % de ceux qui meurent du SIDA « reviennent à Dieu à la fin de leur vie ».

  3. Saddam Hussein est-il martyr ? Un évènement qui suscita bien des polémiques est l'exécution de Saddam Hussein avec la question inhérente de savoir s'il est ou pas un martyr. Pour un nombre considérable de musulmans sunnites, Saddam est devenu un martyr. Son attitude courageuse et noble face à la mort, en opposition au traitement infligé par les Américains et jugé indigne d'un président, et le fait qu'avant de mourir, il ait distinctement prononcé par deux fois la double shahâda (témoignage, profession de foi), en ont fait un shahîd, un martyr. Mais ce qui contribua pour beaucoup à le «canoniser», c'est qu'il ait été pendu le premier de la "Grande Fête", (al-'Îd al-kabîr, ou 'Îd al-Adhà, l'Aïd comme l'appellent les musulmans d'Afrique du Nord). Le président égyptien Hosni Moubarak a déclaré : « Personne n'oubliera les circonstances dans lesquelles Saddam a été exécuté. Ils en ont fait un martyr ». Il ajoutait : « J'ai adressé un message au président George W. Bush pour lui dire qu'il ne fallait pas faire cela justement le premier jour de l'Aïd, car cela le transformerait en martyr ». Le tunisien M. Ben Yahia considère que « l'application de cette sentence est une grave atteinte aux sentiments des peuples musulmans, au moment où ils célèbrent une fête religieuse sacrée ». L'Algérie aussi déplore que la pendaison ait eu lieu un jour « dont l'esprit originel, évocateur de sacrifices, s'est sublimé dans les valeurs du pardon, de la clémence et de la générosité pour tout le monde arabo-musulman ». Une interview télévisée avec l'imam jordanien Salâh Ibn Fawzân présente Saddam en pécheur repenti ayant atteint le degré de martyr par sa mort le jour de la fête du sacrifice d'Abraham. On peut écouter l'interview en arabe sur le site YouTube : le clip vidéo dure six minutes. Sur ce site, des dizaines de personnes ont réagi aux propos de l'imam. La plupart sont chiites et expriment leur haine à l'égard de Saddam, de cet imam, des sunnites en général et des wahhabites en particulier, dans le style le plus injurieux qui soit, à tel point qu'il est impossible de transcrire ou de traduire ces textes tant ils sont grossiers. Quelques sunnites y répondent également et toujours dans le même style. De nombreuses autres vidéos, en arabe classique ou en dialecte, reproduisent les chansons, oraisons funèbres, éloges, poèmes, élégies de ses admirateurs qui tous le considèrent comme martyr. Bien plus, des centaines de sites, notamment jordaniens et irakiens sunnites, exaltent Saddam, « le martyr de la nation » (shahîd al-umma). D'autres vidéos viennent de chiites qui ne manquent pas d'exprimer leur haine à son égard. De son côté, un célèbre juriste (faqîh) saoudien a émis une fatwa déclarant Saddam « mécréant » (kâfir) expliquant que le fait qu'il ait prononcé la double profession de foi (shahâda) n'en fait pas pour autant un musulman. L'imam shiite Fâlih al-Harbî s'est prononcé dans le même sens, l'accusant d'impiété ou d'athéisme (zandaqa), à l'instar des hypocrites (munâfiqûn) du temps de Muhammad.

Face à ces fatwas contradictoires, beaucoup de musulmans ne savent plus quoi penser. Significative est la réaction d'une internaute qui prend le nom de la célèbre poétesse pré-islamique Al-Khansâ' al-Saghîra. Elle écrit: « Je souhaite que ceux qui ne le considèrent pas martyr (shahîd), malgré le fait qu'il soit resté ferme (murâbata) dans un pays en guerre alors qu'il avait la possibilité de fuir et de sauver sa peau, je souhaite d'eux qu'ils n'affirment pas péremptoirement qu'il fait partie des gens de la géhenne... Ce sont les mêmes personnes qui ont émis les fatwas anathématisant le parti Ba'ath qui m'ont enseigné que "quiconque meurt pour défendre son honneur ('ird) ou son avoir ou sa vie est martyr (shahîd) "[...] ». « En toute naïveté je dis : - Par Dieu, je ne sais plus où est la vérité et où est l'erreur ! Par Dieu, je ne sais plus qui est le bourreau et qui est la victime. … Tout le monde est, en même temps, musulman et mécréant (kâfir). Tout le monde a raison et tout le monde a tort. Les murâbitûn pratiquant le jihâd sont des terroristes, les défaitistes lâches sont des démocrates... Le premier d'entre nous anathématise (yukaffir) le dernier d'entre nous, et qui est au milieu est partagé, ne sachant plus dans quelle direction aller ».

 

Militants Palestiniens

D'où vient ce développement inouï du thème du martyre, alors que le Coran est tellement discret à ce sujet ? Tout d'abord, des savants musulmans (oulémas) ont cherché et trouvé dans le Coran d'autres versets qui encouragent les guerriers à donner leur vie sur le chemin de Dieu. De plus, parmi les paroles attribuées au prophète de l'islam, les hadiths, il y en a plusieurs qui promettent le paradis à ces mêmes guerriers. Enfin, il ne fait pas de doute que la situation politique du monde musulman, qui se sent agressé de toutes parts (tout en étant lui-même souvent agresseur), ait poussé une large tranche de la communauté musulmane à développer une spiritualité du martyre basée sur la mort volontaire pour combattre « l'ennemi ». Ainsi s'est développée une véritable mystique du jihâd et des mujâhidîn (les combattants au nom de l'islam). Cette spiritualité est présente notamment chez les militants palestiniens (ou autres) pour défendre la Palestine contre Israël.

L'idéologie du Fath, le Mouvement de Libération de la Palestine, était laïque car son but était de libérer la Palestine de l'occupation israélienne. Elle ne faisait pas appel à la religion, mais bien au droit des peuples à se gouverner eux-mêmes et au droit international. Les années septante voient la montée du mouvement islamique partout dans le monde accompagnée de l'idéologie islamique. La Palestine devenait ainsi une « terre islamique » et c'était le devoir de toute la communauté musulmane (et non plus des seuls palestiniens) de la défendre contre ses agresseurs et envahisseurs. Ainsi s'est développée progressivement une guerre fondée sur la terreur pour répondre à l'agression et à l'occupation israélienne, et au terrorisme d'État d'Israël. C'est ainsi qu'apparurent les mujâhidîn de Dieu, porteurs des noms les plus variés qui tous se réfèrent à des personnages musulmans du premier siècle de l'islam.

 

Opinion rare : les auteurs d'attentats suicides ne sont pas des martyrs

Il y a cependant un problème de droit islamique car le suicide est clairement interdit par le Coran [4, 29-30] : « Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous. Et quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au Feu, voilà qui est facile pour Allah ». Que faut-il donc penser des attentats suicides, ou des « suicides positifs » comme certains les appellent ? Cela entre-t-il dans la catégorie du jihâd ? Ceux qui les commettent sont-ils des martyrs, ou sont-ils des suicidaires à l'instar de tous les autres qui s'ôtent leur propre vie ? L'opinion la plus commune et la plus répandue parmi les musulmans est que ce sont des mujâhidîn, qui défendent l'islam contre ses agresseurs, ils appartiennent donc à la catégorie des martyrs. Je présenterai ce point de vue un peu plus loin.

Cependant, j'ai trouvé une opinion qui va dans le sens contraire, reproduite sur plusieurs sites. C'est celle du grand traditionniste (muhaddith) l´imam Muhammad Nâsir ad-Dîn Al-Albânî, maître albanais vénéré, qui vécut à Damas puis à Médine et mourut le 3 octobre 1999 âgé de 85 ans. Elle mérite d'être reproduite :

« Nous tournons maintenant notre attention vers les missions suicides. Ces missions suicides sont devenues célèbres [dans le monde entier] à cause de la pratique japonaise des kamikazes. Un homme lançait son avion de guerre vers un navire américain, mourant ainsi dans l'avion et tuant autant de soldats ennemis qu'il le pouvait ». « Toutes les missions suicides de notre époque sont des actes impunis qui doivent tous être considérés comme interdits (harâm). Les missions suicides peuvent être de celles qui amènent celui qui le fait éternellement dans le Feu ou le mettre parmi ceux qui n'y résideront pas éternellement, comme je viens de l'expliquer ». « Mais voire ces missions suicides comme un moyen de se rapprocher d'Allah [acte d'ado¬ration digne d'éloges] en se tuant aujourd'hui pour sa terre ou son pays, nous disons non ! Ces missions suicides ne sont pas islamiques ! ». « En fait, je dis aujourd'hui ce qui représente la réalité islamique - pas la réalité recherchée par une minorité d'activistes musulmans - qu'il n'y a aucun Jihâd dans les pays islamiques. Sûrement, il y a des combats dans de nombreux pays musulmans, mais il n'y a aucun Jihâd qui soit établi [uniquement] sous une bannière islamique et qui soit établi sur des règles islamiques […] ». « Qu'un jeune homme, aveugle [aux faits et complexités de la guerre] décide seul, - comme nous l'entendons souvent - d'escalader une montagne et d'entrer dans un emplacement fortifié utilisé par les juifs et qu'il tue certains d'entre eux et soit tué par la même occasion…quel est l'avantage d'un tel acte ? Ce sont seulement des actes individuels qui n'ont pas de résultats positifs qui puissent profiter à l'Appel Islamique ». « Donc nous disons aux jeunes musulmans : "Protégez vos vies, à condition que vous l'employez à l'étude de votre Dîn [religion] et de votre Islâm. Soyez bien conscients de cela et agissez au mieux de vos capacités" ». « Ce type d'actions et d'actes, lents et ennuyeux comme il peut paraître, est l'acte qui portera le fruit désiré qui est recherché par tous les musulmans, indépendamment de leurs différentes idéologies et méthodologies. Tous sont d'accord que l'islam doit être ce que [nous employons] pour gouverner, mais ils divergent dans le chemin à emprunter [vers cet objectif] ». « Certes la meilleure guidance est la guidance de Muhammad ».

 

Opinion commune : ce sont des martyrs.

Cette opinion bien qu'elle soit remarquable reste assez exceptionnelle. L'opinion commune aujourd'hui veut que les suicides volontaires soient des actes de martyre. Voici, à titre d'exemple, la fatwa prononcée par l'Association des Ulémas de Palestine, qui porte le titre de : « Les opérations de mort volontaire (istishhâdiyya) sont parmi les formes les plus belles du jihâd sur la voie de Dieu ». Ils établissent cette opinion à partir de trois versets coraniques, de plusieurs hadiths et des témoignages unanimes (ijmâ') des savants du Moyen-Age (Abû Ayyûb al-Ansârî, Abû Mûsâ al-Ash'arî, 'Umar Ibn al-Khattâb, Ibn Taymiyya, al-Ghazâlî, al-Nawawî) et de l'époque contemporaine, notamment du Dr Yûsuf al-Qaradâwî et du cheikh al-Shu'aybî. Après quoi, ils réfutent les arguments des contemporains qui refusent de considérer ces acteurs comme des martyrs, en particulier celui du cheikh 'Abd al-'Azîz Âl Shayk, le mufti d'Arabie Saoudite qui a émis une fatwa au sujet de ces opérations disant : « Je ne leur connais pas de légitimation juridique et je ne les considère pas comme un jihâd sur la voie de Dieu. Je crains qu'elles ne soient de simples opérations suicidaires ».

Ou encore la fatwa du Recteur d'al-Azhar, le cheikh Muhammad Sayyid al-Tantawî, qui a déclaré : « Les opérations suicidaires (intihariyya) sont un martyre si elles sont dirigées contre des soldats, non contre des enfants et des femmes ». Une longue argumentation, basée sur l'opinion de nombreux oulémas, réfute ces deux opinions.

 

Martyre et Rédemption

Le point de vue musulman sur le phénomène du martyre semble assez peu clair sur le plan juridique. Il semble bien que les motifs politiques y jouent aussi un rôle important : soit pour soutenir le caractère licite des attentats suicides, soit pour le rejeter, comme c'est le cas des autorités officielles d'Egypte et d'Arabie Saoudite. Une opinion purement spirituelle et théologique comme celle du cheikh Nâsir al-Dîn al-Albânî est rare. Le chiisme a développé une conception du martyre rédempteur, à travers notamment la célébration de la mort violente d'al-Husayn, qui n'est pas sans rappeler ce que la spiritualité et la théologie chrétiennes attribuent à la mort du Christ.

En définitive, dans l'opinion commune, toute personne morte de mort violente pourra être appelée « martyr », y compris des personnalités notoirement peu musulmanes comme Saddam Hussein ; ceux qui s'opposent à ce titre sont tous chiites, ce qui montre assez bien la partialité de ces critères, chacun défendant sa propre politique.

Dans le christianisme, le premier martyr est le Christ. Sa mort ne comporte aucune forme de violence contre quiconque, bien au contraire : il accepte la violence d'autrui, la prend sur lui, pour détruire la violence et la haine, comme l'a bien dit saint Paul dans ce magnifique passage de l'épître aux Ephésiens [2, 13-19] :

« Or voici qu'à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un, détruisant la barrière qui les séparait, supprimant en sa chair la haine, cette Loi des préceptes avec ses ordonnances, pour créer en sa personne les deux en un seul Homme Nouveau, faire la paix, et les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul Corps, par la Croix : en sa personne il a tué la Haine. Alors il est venu proclamer la paix, paix pour vous qui étiez loin et paix pour ceux qui étaient proches : par lui nous avons en effet, tous deux en un seul Esprit, libre accès auprès du Père. Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu »

A sa suite, Etienne le « protomartyr » imitera le geste de Jésus jusque dans les moindres détails [cf. Ac 7]. Quiconque utilise le glaive, fût-ce pour défendre le groupe ou la communauté, périra par le glaive, comme le dit le Christ, et ne peut être considéré comme martyr. Le martyr chrétien est un non-violent par nature, qui témoigne (yashhad) de l'Amour de Dieu qui pardonne toujours dans un monde où règne la violence. Seul le non-violent dont tous les actes sont animés par l'amour, peut prétendre au titre de martyr. En définitive, nous avons affaire à deux visions assez différentes de l'amour pour Dieu : une vision où je témoigne de l'amour pour Dieu en combattant jusqu'au sacrifice de moi pour Son Nom ; et une autre où je témoigne de cet amour en renonçant à toute violence pour chasser haine et violence de ce monde. Il appartient à chacun de faire son choix.

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