Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:34:10
Dans son nouvel ouvrage,
Georges Anawati, un chrétien égyptien devant le mystère de l'islam, Jean-Jacques Pérennès nous dépeint le portrait d'un personnage hors du commun, haut en couleurs et riche en paradoxes: égyptien de naissance et francophone de culture, né grec orthodoxe et converti au catholicisme, arabe de tradition et européen d'éducation, Georges Anawati, ou Abouna Anawati, en tant que père dominicain, a consacré sa vie à la construction du dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans. Influencé par des maîtres tels que Massignon, il plaida pour une recherche du dialogue fondée sur des bases solides dont les principes essentiels étaient la connaissance profonde de l'autre et l'amitié gratuite et sincère.
Pourtant, il aurait pu en être autrement: après de brillantes études de pharmacie, il était voué à une vie bourgeoise toute tracée mais le Destin et une personnalité hors pair ont ouvert une autre voie: la vocation religieuse et la passion pour l'islam.
Très tôt, l'ambition première du jeune dominicain se traduit en ces termes: « je veux être un saint» ou plus modestement «je veux être un grand savant chrétien».
Après son ordination sacerdotale en 1939, il ne craint pas d'opter pour « l'islam comme vocation » et il décide de partir à la conquête de l'Autre.
Ainsi donc, lui, l'oriental nourri et pétri de culture occidentale, part à la redécouverte de son patrimoine d'origine et cumule les titres universitaires: brillantes études à l'université d'Alger en langue et civilisation arabe, études de théologie à Paris.
Il s'attelle à la dure tache de se construire une culture arabo-musulmane ce qui constitue le premier pas sur le chemin de la redécouverte de l'autre.
En 1948, après la publication, en collaboration avec Louis Gardet, de son œuvre principale Introduction à la théologie musulmane, il s'impose comme une référence absolue dans ce domaine. Cet ouvrage vient à point nommé pour « comprendre et comparer » sans compromissions ni faux-fuyants. Son objectif déclaré est d': « ouvrir des champs d'études nouveaux », créer des espaces de dialogue riche et sincère entre chrétiens et musulmans.
Et quel meilleur espace de dialogue que L'IDEO, fondé au Caire en 1954 avec d'autres confrères dominicains et dont l'ambition n'est rien de moins que «l'étude scientifique des civilisations orientales de l'antiquité à nos jours notamment sous leur aspect philosophique et religieux ».
Autrement dit établir avec le monde arabo-musulman une relation de reconnaissance, de respect et donc de confiance.
En 1963 durant le concile Vatican II, Abouna Anawati fut un acteur essentiel et dynamique dans la défense de la cause du dialogue islamo chrétien ainsi qu'un intermédiaire précieux travaillant sans relâche à la concrétisation de la volonté de l'Eglise catholique à adopter et promouvoir une nouvelle approche vers ce grand méconnu qu'est l'Islam.
Son dur labeur fut couronné de succès et se traduisit concrètement dans la déclaration finale Nostra Aetate qui valorise les religions non chrétiennes et constitua un pas considérable vers l'ouverture à l'islam en déclarant notamment que: « ces religions rendent à Dieu un culte par des actes de piété sincères qui, ainsi que leurs convictions, sont à la base de leur vie morale et sociale ».
Cette victoire lui valut l'admiration et la sympathie de nombreuses personnalités d'envergure, aussi bien chrétiennes que musulmanes.
A travers des nombreux ouvrages, sa traduction en langue arabe de De anima d'Aristote, de l'arabe d'Avicenne, d'Averroès et de Ghazali, il contribua et n'aura de cesse de revaloriser le patrimoine littéraire et scientifique arabe, et mettre en lumière l'apport de la civilisation arabo- musulmane à la civilisation occidentale. Ce qui contribua à faire de lui une figure emblématique reconnue, admirée et respectée de ses innombrables amis chrétiens et surtout musulmans.
Il prône ouvertement son intention d'aller à « la conquête de l'islam » grâce à « une étude de l'islam pour lui-même » afin de « dévoiler le sens et la signification de l'islam », et ce à travers un jugement objectif sans compromis. En effet dans l'islam à la croisée des chemins, il ne craint pas de plaider pour la nécessité d'un renouveau de la religion musulmane pour s'adapter aux exigences du monde moderne.
Abouna Anawati vante aussi une carrière universitaire internationale prestigieuse:
Professeur d'histoire des Sciences arabes à la faculté de pharmacie d'Alexandrie, il assure un cours de philosophie arabe médiévale à l'Université de Montréal et pendant dix ans il dispense un cours sur le même thème à la prestigieuse université californienne UCLA, pour ne citer que quelques unes.
Sa vie durant, il est de toutes les conférences internationales ayant trait à la culture, l'histoire de la civilisation arabo-musulmane, le dialogue interreligieux; il est aussi membre de prestigieuses sociétés savantes à vocation orientaliste. Il profite de ses nombreux voyages pour élargir sa trame de relations professionnelles et amicales et faire en sorte de tisser, fructifier et enrichir ses rapports humains.
Il laisse en héritages des ouvrages de référence sur la philosophie arabe médiévale et l'histoire des sciences arabes fruit d'un travail acharné et de recherches passionnées.
Cependant, la tâche d'Abouna Anawati n'a pas toujours été de tout repos, à assombrir ce cadre idyllique, s'ajoute une déception nourrie aussi bien par un refus entêté de certains interlocuteurs musulmans réticents et résistants à une quelconque ouverture et la peur instinctive de certains milieux chrétiens qui ne cessèrent d'objecter que le dialogue islamo chrétien n'était rien d'autre qu'une chimère prônée par des naïfs trop optimistes et irréalistes.
Mais fidèle à lui-même et à sa devise « être un homme, c'est ne jamais se décourager, jamais », Abouna Anawati a vécu sa passion comme un sacerdoce: continuellement, fidèlement et sincèrement car « pour connaître l'Autre il faut être son hôte » et sa vie, son œuvre ont contribué, et peuvent contribuer encore, à ouvrir des voies nouvelles vers le rapprochement et le dialogue entre les deux rives, afin de jeter des ponts pour éviter de construire des murs.
A travers la biographie d'Abouna Anawati, l'auteur trace aussi l'histoire des Instituts catholiques à travers le monde arabe et dépeint une page importante de l'histoire intellectuelle et politique de l'Egypte, paradoxalement plus ouvert en ces temps là qu'aujourd'hui.
A la conclusion du livre, il apparaît clairement qu'il ne s'agit pas d'une ré exhumation archéologique d'un lointain passé, mais au contraire d'une exhortation à vivre ce même esprit qui anima le père Anawati dans notre temps présent.