Après les attentats de Barcelone, le débat se durcit autour de la formation des imams et de la requête d’une éducation islamique dans un État laïc

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:02:22

Les institutions musulmanes estiment qu’il y a actuellement en Espagne 1 200 imams. Après des semaines passées à en parler à la suite des attentats tragiques de Barcelone, le message final transmis à la société est que personne ne les contrôle réellement. Et personne – ni au sein de la communauté musulmane ni en dehors – ne semble avoir la responsabilité de leur choix ni de leurs activités dans les centres de culte : chose doublement préoccupante si l’on considère que l’Espagne possède une législation d’avant-garde, modifiée pour augmenter la sécurité après l’expérience des attentats de Madrid en 2004. 



Aux termes de la loi 26/1992 les imams ont un caractère de stabilité et des fonctions spécifiques. Ils doivent posséder un certificat du ministère de la Justice, et un autre certificat de la communauté à laquelle ils se réfèrent, toujours avec l’autorisation de la Commission islamique d’Espagne (art. 3.1.). Sur le plan économique, les imams sont assimilés à des salariés et inclus dans le régime général de la Sécurité sociale. En 2004, le gouvernement socialiste de Zapatero avait proposé une réforme de la loi sur la liberté religieuse ainsi que la création d’un registre des imams. Mais les responsables de la communauté islamique avaient manifesté leur désaccord, affirmant qu’il s’agissait d’une atteinte à leurs droits . À force de calculer les retombées électorales que cette mesure pouvait provoquer, les responsables politiques ont retardé jusqu’à ce jour la création de ce registre.


Après les attentats de Barcelone et de Cambrils, le président de la Commission islamique d’Espagne Riay Tatary a déclaré à la presse qu’il « n’existe aucun contrôle » sur les imams, et que l’on travaillait à la réalisation de ce registre depuis 2016. Puis, reprenant la position de 2004, il a précisé qu’il n’était pas d’accord sur le contrôle des sermons des imams, qualifiant cette proposition de « digne de gouvernements dictatoriaux » et se plaignant de ne pas recevoir de rapports gouvernementaux sur les imams .


Et pourtant, nous l’avons dit, la figure juridique de l’imam est bien définie. Son élection relève de la responsabilité de la communauté, et est supervisée par la Commission islamique. Ce nonobstant, les représentants reconnaissent que cette réalité échappe à leur contrôle. Le président de la Communauté islamique d’Andalousie et membre de la Commission permanente islamique d’Espagne Lahsen Himmer l’a déclaré explicitement : « Il n’existe pas de véritable contrôle des imams » .



La véritable question est alors de savoir ce que l’on entend par contrôle des imams. L’expérience nous dit que, pour les autorités de l’État, « contrôler » signifie empêcher que ces personnages fassent partie de réseaux terroristes et qu’ils soient des véhicules de radicalisation, sans mettre en aucune manière l’Islam « officiel » sous pression. Mais les événements de Barcelone ont bien montré ce qu’il en est réellement. Beaucoup d’imams ne sont pas liés aux communautés dans lesquelles ils exercent leurs fonctions ; ils vivent en marge ; ils supervisent les paiements pour les lieux de culte ; ils tiennent le sermon le vendredi ; dans leur grande majorité ils ne connaissent pas l’espagnol ; dans d’autres cas, ils s’inscrivent à des associations culturelles (non religieuses), échappant ainsi au contrôle du Registre des organismes religieux du ministère de la Justice. 

À la lumière de ces données, la création d’un registre des imams apparaît comme une nécessité. Et si, comme la loi le prévoit, les imams sont des travailleurs inscrits au régime de la Sécurité sociale, la communication entre les ministères devrait se faire de manière plus efficace. L’Espagne n’est pas un territoire ingouvernable : il existe des mécanismes de contrôle prévus par la législation. Il faut une vérification et une mise à jour des informations touchant les imams, mais aussi une dépolitisation de la question, qui la tienne à l’écart des débats à fins électorales. Il s’agit là d’une question d’État, non de gouvernement. Dans le cas contraire, nous continuerons à vivre de mesures provisoires, sur un thème aussi crucial. 



En dépit de l’urgence de mettre en place un contrôle sur les imams, les représentants islamiques ont mis en rapport les événements de Barcelone et une revendication antique de l’Islam en Espagne : la nécessité d’instaurer son propre système éducatif. « Il n’y a pas de centre de formation des imams, et cela est un problème [...]. Il n’y a pas un centre qui contrôle ou canalise le contrôle des conditions nécessaires pour qu’un imam puisse exercer dans une mosquée ». Lahsen Himmer décrit en ces termes ce qui, à son avis, est à la racine même du problème : « Pour être imam, il y a des critères à respecter : il faut avoir une profonde connaissance de l’Islam et un certificat d’habilitation délivré par un groupe de sages qui donnent l’autorisation à exercer. Tout cela n’existe pas en Espagne parce qu’il n’existe pas une institution à cet effet » . Et c’est exactement ce que l’on demande : un système éducatif « comme celui de l’Église catholique ». 



Il est intéressant d’observer que, une fois passé l’impact des attentats, Barcelone a fini par ranimer le débat politique sur la nécessité de débloquer l’Entente de 1992. Loin d’assumer leur part de responsabilité dans l’exercice d’un contrôle interne, certains leaders musulmans indiquent comme cause principale le refus de l’État de reconnaître des institutions éducatives islamiques annexées à ses propres structures. Paradoxalement, une organisation propre aux pays à majorité musulmane, mais située à l’intérieur d’un État occidental, laïque et multiculturel, et comme tel toujours réclamé par les musulmans eux-mêmes.


L’institutionnalisation et le contrôle de l’éducation islamique en Espagne a été, dès ses origines, un terrain d’affrontements internes. Il faut relever toutefois qu’il y a déjà eu en Espagne des projets de formation des imams. Après les attentats de Madrid, des cours de formation des imams ont été amorcés, organisés par le ministère de la Justice, l’Université nationale de l’Education à distance (UNED), l’Université islamique de Rotterdam et la Commission islamique d’Espagne. Les cours, numerus clausus, visaient à familiariser les inscrits avec la législation espagnole et internationale, « les principes de pluralisme et de coexistence, les us et coutumes de notre société, les valeurs démocratiques du pays d’accueil et une vision authentique de l’Islam, qui répudie la violence et l’extrémisme » . Cette initiative de formation s’est interrompue il y a deux ans.



Comme d’autres problèmes de poids, le système éducatif en Espagne a toujours été un thème d’un fort impact électoral. Ce n’est donc pas étonnant que la formation des imams ait été conçue sous le signe du provisoire, sans prévoir la portée énorme qu’elle aurait assumée pour la sécurité. Erreur de jugement ? Négligence ? Non-opportunité politique ? Aujourd’hui, nous nous heurtons à une autre priorité non résolue depuis ses origines, à la fin des années 1980 : exercer le contrôle sur les « éducateurs » est d’une importance stratégique pour affirmer une vision de l’Islam ou une autre. En ce sens, la réaction du Maroc ne s’est pas faite attendre. Peu de jours à peine après les attentats, il a manifesté son intention d’arriver à un accord pour le contrôle des imams et des mosquées qui accueillent les émigrants marocains de la deuxième et troisième génération. Selon le ministre de l’Intérieur marocain Abdelouafi Laftit, « ces jeunes, nés dans les pays européens, ont besoin d’une attention spéciale si l’on veut éviter qu’ils ne tombent entre les griffes du terrorisme » .



Au lieu de privilégier des sujets qui créent des divisions, il serait plutôt nécessaire de soutenir un effort des institutions pour un contrôle exhaustif des discours des imams, et de leur sélection opérée par les responsables de l’Islam en Espagne.

 

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