Dans un temps où les sociétés de consommation imposent leurs choix, le public a montré qu’il demeurait sensible à des questionnements d’une autre importance
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:26
On sait que Des Hommes et des Dieux, le film sur les sept moines de Tibhirine, victime des groupes armés en 1996, lors de la crise algérienne des années 1990-2000, a obtenu le prix du Jury, au Festival du cinéma à Cannes. Il a reçu aussi les prix de l’Education nationale et du Jury Oecuménique.
Il vient surtout de se gagner la faveur du public qui lui a accordé le succès de sa plus grande audience pendant plusieurs semaines. Beaucoup s’interrogent sur les raisons de ce succès dans un moment où la société française n’accorde pas une large place aux questions religieuses. C’est à cette question que je propose quelques éléments de réponse. Notons d’abord que ce film, produit par des professionnels du cinéma, Xavier Beauvois, comme réalisateur, et Etienne Comar, pour le scénario, est une réalisation de qualité au plan de la technique cinématographique : images, conduite du récit, qualité des acteurs, beauté des paysages etc…
Prix du Jury au Festival du cinéma à Cannes
Ce film n’a pas été commandé par une institution ecclésiale. C’est une décision prise par des professionnels qui ont considéré que le drame de la vie et de la mort des moines pouvait être présenté au grand public et ils ont gagné leur pari. C’est une oeuvre cinématographique. Ce n’est pas un objet de propagande ou de prosélytisme. Mais, au-delà de la réalisation technique, pourquoi cette faveur du public ? Rappelons d’abord que l’enlèvement, puis la mort de sept moines, avaient été suivis avec une grande émotion par l’opinion publique en France, en 1996. Cet intérêt s’est transformé en admiration quand fut publié le testament spirituel du Fr. Christian, le prieur du Monastère.
Ce message est incontestablement l‘un des textes majeurs de tout le XXeme siècle. Il a touché Jean-Paul II au point qu’il a fait placer le visage de Christian de Chergé dans la fresque des nouveaux martyrs, peinte dans sa nouvelle chapelle au Vatican. Mais ce message a pris une force particulière à travers le film, en présentant toute la communauté des moines affrontée à une décision redoutable. Pouvaient-ils rester dans leur lieu alors que des groupes armées sévissaient à proximité, multipliant les attaques meurtrières comme celle dont furent victimes les douze travailleurs Croates, le 14 décembre 1993, sur leur chantier, à trois kilomètres à vol d’oiseau du Monastère ?
Peut-on être fidèle à sa vocation jusqu’à en mourir ? Peut-on risquer sa vie pour des voisins d’une autre confession ?
La réponse à cette question est au centre du drame évoqué par le film. Les moines finissent par prendre, en communauté, la décision d’affronter le danger pour ne pas rompre leurs solidarités avec les voisins musulmans au milieu desquels la communauté vit sa vie monastique depuis soixante ans. La décision prise devient ainsi un signe très fort des liens qu’une communauté chrétienne peut établir avec des paysans musulmans habitant le village voisin.
A l’intensité dramatique de la décision à prendre, ensemble, s’ajoute, aussi, le problème très actuel de la possibilité de vraies relations entre chrétiens et musulmans. A ce moment là, au-delà de la représentation fidèle de la vie d’un monastère cistercien dans le cadre grandiose de l’Atlas marocain, se pose un problème de conscience qui a sens pour tout homme quel qu’il soit. Peut-on être fidèle à sa vocation jusqu’à en mourir ? Peut-on risquer sa vie pour des voisins d’une autre confession ? Peut-on faire ce choix, chacun, personnellement, mais, aussi, en communauté, sans peser sur les libertés individuelles ? Dans un temps où les sociétés de consommation imposent leurs choix et leurs rythmes, le public a montré qu’il demeurait sensible à des questionnements d’une autre importance. C’est tout à son honneur. C’est aussi un message pour notre temps.