Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:15
Je tiens à remercier, avant de commencer, les organisateurs de ces journées d’études et de réflexion philosophique de l’honneur qu’ils me font en m’invitant. Je tâcherai de mériter cette estime, et me présenterai en universitaire, en diplomate du Saint-Siège, en homme religieux, sous le seul patronage de la vérité plus haute, plus grande, qui non seulement garantit la coïncidence de l’intellectuel et du spirituel, mais qui procure aux hommes de bonne volonté la paix intérieure nécessaire à la recherche des conditions concrètes de la paix, dans un monde trop souvent chaotique et violent. La vérité n’est pas une possession, mais ce qui doit être servi. Elle n’est pas ce qui nous donnerait raison en donnant tort à l’autre, mais ce qui nous juge ensemble. Enfin, si elle est à la fois un horizon et le chemin qui y conduit, c’est parce que de toutes les manières elle se donne en partage.
La multiplicité des cultures est un fait qui semble justifier l’agnosticisme éthique et anthropologique; mais, l’aspiration des hommes à une unité qui puisse dépasser la dispersion, est aussi bien un fait, témoigné par la Déclaration des droits de l’homme – et par la présence ici de nous tous. En ce sens, je suis heureux d’affirmer que le Saint-Siège se trouve d’accord avec l’affirmation de l’égale dignité de toutes les société et groupes sociaux (ART. 2.4), et il veut souligner aussi, comme d’autres Etats, qu'il faut considérer d’égale dignité uniquement les cultures qui acceptent et se font promotrices des valeurs de paix, de tolérance, de justice, et surtout d’ouverture et de respect de l’autre parce qu’on ne peut pas être reconnu si on ne reconnaît pas ou pire, si on refuse les autres.
Comme d’autres Etats, le Saint-Siège souhaite non seulement la protection et la promotion de la diversité culturelle, mais, concrètement, l’échange et le dialogue entre les cultures, comme d’ailleurs plusieurs articles opérationnels de la Convention 2005 le soulignent.
L’échange et le dialogue – la pratique de la bonne relation avec l’autre - est le seul lieu de naissance et développement de la paix. On ne peut pas l’imposer de l'extérieur si elle ne part pas du cœur de la relation. De plus, il faut refuser la notion dangereuse de « choc de civilisations » et, le cas échéant, parler de « choc des ignorances », ou pour utiliser une notion positive : il faut continuer le « dialogue des cultures » pour avoir une « civilisation de l’amour ».
Le problème en effet, à mon avis, n’est pas la diversité culturelle en tant que telle – la diversité c’est un fait, un donné – mais
l’inter-culturalité qui est à construire jour après jour. La diversité culturelle est une effective richesse si elle devient « diversité féconde et créatrice ». En ce sens, et je peux dire que le Saint-Siège apprécie tous les articles qui parlent de solidarité et de coopération (surtout des pays développés vers les pays en voie de développement). Toutes les cultures et toutes les religions doivent reconnaître le respect interculturel et aussi le principe de mutualité, ce qui a été rappelé plusieurs fois par les orateurs.
Un proverbe kabyle dit : "Dieu a diversifié les têtes des hommes pour permettre la paix".
Et dans l'Evangile, il est écrit : « Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous ». Il s’agit de la célèbre Règle d’or, qu’on trouve dans l’Evangile, mais aussi dans toutes les autres religions… c’est une formule transversale.
Toutes les religions, justement. Elles sont une ressource et non un problème.
J’en donne en exemple avec une citation d’un discours du Saint Père Benoit XVI. Durant son voyage apostolique au Royaume Uni (16-19 septembre 2010), à l’occasion de sa rencontre avec le Parlement et la British Society à la Westminster Hall, le 17 septembre 2010, le Pape Benoit XVI a affirmé :
«
La question centrale qui se pose est celle-ci : où peut-on trouver le fondement éthique des choix politiques ? La tradition catholique soutient que les normes objectives qui dirigent une action droite sont accessibles à la raison, même sans le contenu de la Révélation. Selon cette approche, le rôle de la religion dans le débat politique n’est pas tant celui de fournir ces normes, comme si elles ne pouvaient pas être connues par des non-croyants – encore moins de proposer des solutions politiques concrètes, ce qui de toute façon serait hors de la compétence de la religion – mais plutôt d’aider à purifier la raison et de donner un éclairage pour la mise en œuvre de celle-ci dans la découverte de principes moraux objectifs. Ce rôle « correctif » de la religion à l’égard de la raison n’est toutefois pas toujours bien accueilli, en partie parce que des formes déviantes de religion, telles que le sectarisme et le fondamentalisme, peuvent être perçues comme susceptibles de créer elles-mêmes de graves problèmes sociaux. A leur tour, ces déformations de la religion surgissent quand n’est pas accordée une attention suffisante au rôle purifiant et structurant de la raison à l’intérieur de la religion. Il s’agit d’un processus à deux sens. Sans le correctif apporté par la religion, d’ailleurs, la raison aussi peut tomber dans des distorsions, comme lorsqu’elle est manipulée par l’idéologie, ou lorsqu’elle est utilisée de manière partiale si bien qu’elle n’arrive plus à prendre totalement en compte la dignité de la personne humaine. C’est ce mauvais usage de la raison qui, en fin de compte, fut à l’origine du trafic des esclaves et de bien d’autres maux sociaux dont les idéologies totalitaires du 20ème siècle ne furent pas les moindres. C’est pourquoi, je voudrais suggérer que le monde de la raison et de la foi, le monde de la rationalité séculière et le monde de la croyance religieuse reconnaissent qu’ils ont besoin l’un de l’autre, qu’ils ne doivent pas craindre d’entrer dans un profond dialogue permanent, et cela pour le bien de notre civilisation.
La religion, en d’autres termes, n’est pas un problème que les législateurs doivent résoudre, mais elle est une contribution vitale au dialogue national. Dans cette optique, je ne puis que manifester ma préoccupation devant la croissante marginalisation de la religion, particulièrement du christianisme, qui s’installe dans certains domaines, même dans des nations qui mettent si fortement l’accent sur la tolérance. Certains militent pour que la voix de la religion soit étouffée, ou tout au moins reléguée à la seule sphère privée. D’autres soutiennent que la célébration publique de certaines fêtes, comme Noël, devrait être découragée, en arguant de manière peu défendable que cela pourrait offenser de quelque manière ceux qui professent une autre religion ou qui n’en ont pas. Et d’autres encore soutiennent – paradoxalement en vue d’éliminer les discriminations – que les chrétiens qui ont des fonctions publiques devraient être obligés en certains cas d’agir contre leur conscience. Ce sont là des signes inquiétants de l’incapacité d’apprécier non seulement les droits des croyants à la liberté de conscience et de religion, mais aussi le rôle légitime de la religion dans la vie publique. Je voudrais donc vous inviter tous, dans vos domaines d’influence respectifs, à chercher les moyens de promouvoir et d’encourager le dialogue entre foi et raison à tous les niveaux de la vie nationale »
Néanmoins, même d’un point de vue simplement anthropologique, il ne peut pas être nié que le rapport au sacré et/ou à différentes formes de Transcendance fait partie de l’humain en tant que tel. Donc, la religion est un aspect important des cultures. Sa Sainteté le pape Jean-Paul II affirme que si la foi ne devient pas également culture – si elle ne s’exprime pas dans le langage de l’homme à un moment historique spécifique – elle n’est pas une foi mûre. Toutes les cultures ont une origine religieuse, mêmes les cultures qui ne croient plus dans un Etre suprême. Et il y a toujours quelque chose de sacré dans les liens qui unissent les appartenants d’une culture, et la vision du monde qu’elle propose aux siens et aux autres même dans les cultures les plus laïcistes.
Les expressions culturelles et artistiques connotées religieusement – nous pensons à: fêtes populaires, musique sacrée, etc, sont d’ailleurs des contenus culturels qui se soustraient généralement à une approche de type économique, elles sont difficilement classifiables comme « biens et services » – mais néanmoins elles devraient être sauvegardées. Dans ce sens, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire autrefois, le Saint-Siège partage la préoccupation de certains Etats à propos du risque actuel d’une mercantilisation de la culture.
Le marché se suffit peut-être d’individus, tandis que la culture a besoin de personnes, et de liens entre les personnes ; et donc de liens qui forment des communautés vivantes : je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’il faut prendre en compte les collectivités qui créent la culture et en jouissent, lorsqu’on parle de sujets créateurs et d’identités culturelles. Le but de chaque culture est le bien-être (dans le sens le plus ample possible) de l’être humain, à éduquer comme une personne qui a des devoirs envers les autres, et non pas seulement des droits.
En effet, l’enjeu principal concerne l'éducation. Donc je me permets d’ajouter ma voix à celle de tous ceux – nombreux – qui en soulignent l’importance dans la promotion et protection de la diversité culturelle. A ce propos, j’aimerais préciser que la question de l’éducation devrait être considérée – et valorisée – en deux sens, distincts et complémentaires :
1) Tout d’’abord, il y a l’éducation comme introduction à la réalité totale, comme ouverture à l’Infini, comme communication de sens (dans son triple sens : direction, signification, gout de la vie). Par conséquent, l’éducation doit être avant tout transmission du sens de la vie et, après, véhicule de connaissance du savoir et des savoirs, de la diversité culturelle: on ne respecte véritablement que ce qu’on connaît, et ce qu’on connaît cesse d’être considéré comme « barbare ». Cette éducation, qui rend la personne apte à valoriser la diversité culturelle, est donc une éducation à la paix, à la reconnaissance, au respect jusqu’à l’accueil de l’autre comme don, richesse, complémentarité.
2) Mais il y a aussi l’éducation dans le sens du droit de l’individu et de la communauté à recevoir – ou à s’impartir – une éducation selon sa propre appartenance culturelle, linguistique et religieuse, sa propre tradition. On ne peut pas aller vers l’autre si l’on ne part pas d’un « chez soi », si l’on n’a pas la possibilité de former sa propre identité culturelle, selon ses propres convictions et valeurs. Il faut éduquer constamment à rencontrer la liberté de l’autre, qui nous enrichit par ce qu’il est et les valeurs qu’il porte en lui, qu’il exprime.
Permettez-moi une observation sur le facteur de la langue, facteur d’identité par excellence en ce qu’il est le symbole concret, le plus immédiat et le plus tangible de la diversité culturelle, même ici, dans cette assemblée qui a tenu beaucoup de propos sages à ce sujet :
Je voudrais souligner l’importance du concept de traduction, non seulement comme pratique contingente, mais aussi comme style de gestion de la diversité culturelle, comme approche « philosophique » de la diversité : au lieu de s’opposer les unes aux autres, de s’enfermer dans ses propres positions ou maisons culturelles et linguistiques, le Saint-Siège suggère de rechercher une « stratégie créative de coexistence », comme le dit la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle de 2001. Se mettre les uns à la place des autres, dans la mesure du possible, en acceptant le risque du malentendu, mais en ayant confiance à la fois en ce qui nous approche et dans la vérité que nous partageons.
Au sein de leurs propres sphères de compétence, les sciences humaines et naturelles nous fournissent une compréhension inestimable de divers aspects de notre existence et elles nous aident à mieux appréhender les mécanismes de l’univers physique qui peuvent alors être maîtrisés et procurer ainsi un grand avantage à la famille humaine. Néanmoins ces disciplines ne répondent pas et ne peuvent répondre à la question fondamentale, car elles opèrent à un tout autre niveau. Elles ne peuvent satisfaire les aspirations les plus profondes du cœur humain, elles ne peuvent nous expliquer pleinement nos origines et notre destinée, pourquoi et dans quel but nous existons, de même qu’elles ne peuvent pas non plus nous fournir une réponse exhaustive à la question : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ».
La quête du sacré ne dévalorise pas les autres domaines de la recherche humaine. Au contraire, elle les situe dans un contexte qui rehausse leur importance, comme autant de possibilités d’exercer une gestion responsable de la création. Dans la Bible, nous lisons que, lorsque l’œuvre de la création fut achevée, Dieu bénit nos premiers parents et leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28). Il nous confia la tâche d’explorer et de dominer les mystères de la nature pour contribuer à un plus grand bien. Quel est ce plus grand bien ? Dans la foi chrétienne, celui-ci s’exprime dans l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Et donc, nous nous engageons dans le monde, sans réserve et avec enthousiasme, mais toujours dans le but de contribuer à ce plus grand bien, sinon nous risquons de défigurer la beauté de la création en l’exploitant pour des buts égoïstes.
C’est ainsi que toute croyance religieuse authentique nous oriente, au-delà de l’aspect immédiat et utilitaire, vers le transcendant. Elle nous rappelle la possibilité et l’impératif d’une conversion morale, le devoir de vivre en paix avec notre prochain, l’importance de mener une vie intègre. Comprise correctement, elle nous apporte des lumières, elle purifie nos cœurs et elle nous inspire un agir noble et généreux, au profit de la famille humaine tout entière. Elle nous incite à cultiver la pratique des vertus et à rejoindre les autres avec amour, dans le plus grand respect pour les traditions religieuses différentes de la nôtre.
Depuis le Concile Vatican II (1962 - 196), l’Église catholique a souligné de façon particulière l’importance du dialogue et de la coopération avec les membres des autres religions. Afin d’être fécond, ce dialogue, dont le fondement est la dignité de chaque personne humaine, exige une réciprocité de la part de tous les partenaires du dialogue et des membres des autres religions. Je pense en particulier à des situations existant dans certaines parties du monde où la coopération et le dialogue entre les religions exigent le respect mutuel, la liberté de pratiquer sa propre religion et de prendre part à des actes de culte publics, ainsi que la liberté de suivre sa propre conscience sans subir l’ostracisme ou la persécution, même si l’on s’est converti d’une religion à une autre. Une fois ce respect et cette ouverture établis, les personnes de toutes les religions travailleront efficacement ensemble pour la paix et la compréhension mutuelle, et porteront ainsi un témoignage convainquant face au monde.
Ce type de dialogue a besoin d’être instauré à différents niveaux, et ne doit pas se limiter à des discussions formelles. Le dialogue de la vie nécessite que l’on vive simplement les uns à côté des autres et que l’on apprenne ainsi les uns des autres à grandir dans la connaissance et le respect mutuels. Le dialogue de l’action nous rapproche dans des formes concrètes de collaboration, lorsque nos intuitions religieuses inspirent nos efforts en faveur du développement humain intégral, de la paix, de la justice et d’une gestion responsable de la création. Un tel dialogue peut impliquer d’explorer ensemble les moyens de défendre la vie humaine à toutes ses étapes et d’assurer la non-exclusion de la dimension religieuse des individus et communautés dans la vie de la société. Puis, au niveau des conversations officielles, il est nécessaire non seulement d’échanger sur le plan théologique, mais aussi de partager nos richesses spirituelles, de parler de notre expérience de la prière et de la contemplation, et de nous témoigner les uns aux autres la joie de notre rencontre avec l’amour de Dieu. Je plaide surtout pour le dialogue culturel. Les cultures authentiques ne sont pas enfermées en elles-mêmes, ni pétrifiées dans un point déterminé de l’histoire, mais elles se fécondent réciproquement. Même si nos origines sont loin, étrangères du point de vue géographique, historique et culturel, aucune distance, aucune diversité peut créer entre nous une extranéité totale : nous tous sommes des être humains : nous sommes sœurs et frères en humanité. Dans ce contexte, je suis heureux de constater les nombreuses initiatives positives entreprises dans beaucoup de Pays pour promouvoir un tel dialogue à différents niveaux. Il faut donc favoriser l’acceptation croissant du besoin de dialogue et de respect à tous le niveaux de la société entre le monde de la raison et le monde de la foi.
Croyants ou non-croyants, toutes et tous sont (sommes) impliqués pour collaborer au développement humain intégral des peuples (à partir de la situation locale que l’on vit), qui est trop important pour être voué à l’échec.
Je ne voudrais pas être trop long, et suggérerait pour terminer cinq lieux décisifs, où des stratégies seraient utiles afin de rapprocher les cultures pour construire la paix :
1) le lieu décisif du politique, avec sa légitime autonomie, de telle sorte qu’aucune religion n’en devienne le substitut
2) l’importance de l’alliance entre foi et raison
3) l’importance de la recherche de la vérité
4) l’importance de l’autre qui est une richesse, une ressource et non un problème
5) le caractère sacré du devoir d’éducation et de la liberté de conscience, qui sont deux facteurs essentiels de la démocratie.
Premier point : je plaide pour une réflexion, une fois encore, puisque le problème est complexe et récurrent, sur
l’articulation du religieux, du
social ou de
la société civile et du politique. Les responsables religieux ici seront d’un grand apport quand ils accepteront de n’être ni instrumentalisés, ni indifférents par rapport au politique, et sans doute leur rôle est-il tout simplement de rappeler l’éthique en politique, en demeurant eux-mêmes exemplaires et garants de cette éthique. Je pense qu’il est nécessaire avoir un espace public où toutes les cultures et religions puissent se rencontrer. Pour avoir ça, il faudrait une redéfinition du rôle de l’Etat. Dans le monde occidental au moins, depuis le début du 19ème siècle, l’éducatif, le social, l’institutionnel, le religieux, l’économique sont fortement imbriqués dans l’Etat-nation. Or, depuis l’émergence du phénomène de la globalisation, surtout économique, nous assistons à un restructuration du rôle de l’Etat comme régulateur et garant de la cohésion sociale. En effet, la globalisation tend à précariser et flouer son rôle. J. Louglin, dans
Regional Autonomy and State Paradigm Shift in Western Europe,
Regional and Federal Studies) 10 (2), 2000, pp 10-34, distingue à ce propos trois étapes.
La première est celle de l’Etat-providence.
La deuxième étape est celle de l’Etat néolibéral. L’emprise de l’Etat-nation sur l’économie, mais pas seulement sur elle, est remise en question. Les apports de l’Etat centrale diminuent et les Régions doivent donc repenser leur développement économique de façon endogène en mobilisant leurs ressources intérieures.
C’est la période de la revalorisation des cultures et langues locales, régionales. Enfin, la troisième étape est celle de l’Etat contemporain, qui combine néo-libéralisme et valeurs sociales. L’Etat joue un rôle de stimulateur et de régulateur. On parle désormais de « subsidiarité » et de « gouvernance à niveaux multiples ». Les Régions deviennent des acteurs incontournables, y compris en matière de politique culturelle, éducative, d’intégrations des migrants et de cohésion sociale.
Second point :
l’importance extrême de l’inséparabilité de la foi et de la raison dans la lutte non seulement contre la violence, mais surtout pour l’édification d’une culture de la paix. Prôner un absolu qui suspendrait l’esprit critique n’est pas prôner l’absolu, mais élever, consciemment ou inconsciemment, en tout cas indûment ses propres conceptions à l’absolu. Une mystique qui ne serait pas critique ne mériterait pas son nom : le mot couvrirait alors toutes sortes d’irrationnels. Vous l’aurez compris, je plaide ici pour la théologie, en tant que réflexion de la foi dans la raison, par toutes les médiations savantes et culturelles disponibles. La foi comme foi n’a rien à craindre de la raison (je n’ai pas dit les dérives rationalistes et positivistes). Aucune question n’est à craindre si le premier qui pose les questions fondamentales aux humains est Dieu lui-même, en général sous deux formes : qui dis-tu que je suis ?, contre toute idolâtrie, et : qu’as-tu fait de ton frère ?, contre toute violence. Le défi ici est de trouver la juste position dans l’espace public de la théologie. Cela n’est pas facile, mais négliger cet apport serait un manque certain dans la recherche de la paix.
Donc je me permets de proposer une suggestion du Pape Benoit XVI, qui propose : «
d'élargir les horizons de la rationalité. Mais cela ne doit pas simplement être envisagé comme nouvelle orientation de la pensée théologique et philosophique, mais doit être entendu comme la requête d'une nouvelle ouverture à l'égard de la réalité à laquelle la personne humaine dans son uni-totalité est appelée, en dépassant les anciens préjugés et les simplifications, pour s'ouvrir ainsi également la route vers une véritable compréhension de la modernité. Le désir d'une plénitude d'humanité ne peut pas être déçu: il attend des réponses adaptées. La foi chrétienne est appelée à prendre en charge cette urgence historique, en impliquant tous les hommes de bonne volonté dans une semblable entreprise. Le nouveau dialogue entre foi et raison, requis aujourd'hui, ne peut pas avoir lieu dans les termes et de la manière dont il a eu lieu par le passé. S'il ne veut pas se réduire à un exercice intellectuel stérile, il doit partir de la situation concrète de l'homme, et il doit développer sur celle-ci une réflexion qui en recueille la vérité ontologique et métaphysique. » (Benoit XVI, discours aux professeurs universitaires, 7 juin 2010) .Ce point de vue nous aide à comprendre que la philosophie est le terrain possible d’entente et de dialogue avec qui ne partage pas la foi, parce que la foi ne se pose pas comme destructrice de la philosophie, mais comme la plus haute intégration possible pour celle-ci.
Raison et foi sont deux sources de connaissance, ni identiques ni concurrentes : l’une est exercice de notre intelligence, l’autre est l’ouverture au mystère de la vie, l’accueil de la transcendance. Mais il faut également être attentif à l’autonomie de la raison et de la foi. L’ancien professeur (Benoit XVI) le sait très bien (cfr
son discours qu’il aurait du prononcer à l’université la Sapienza de Rome en janvier 2008), et je suis sûr que vous tous et toutes en êtes d’accord, qu’il ne s’agit de confondre les niveaux. Il ne s’agit pas, par exemple, de mettre un peu de piété dans la science pour sauver la raison ou pour faire de la bonne théologie et philosophie. Concordisme et fondamentalisme nuisent à la foi et à la raison. Le Pape rappelle que la véritable grandeur de la raison est de chercher la vérité, y compris la vérité concernant la religion. La vérité ne se cherche que par le dialogue, le travail, dans un climat de respect et de liberté (Conc. Vatican II, Déclaration « Dignitatis humaine » sur la liberté religieuse). C’est là que la raison humaine apparait dans toute son ampleur et qu’elle révèle ses potentialités. Il y a un enjeu non seulement pour les croyants, mais aussi pour tous dans une société sécularisée qui risque de ne plus se poser les questions métaphysiques essentielles. Il faut maintenir vive la sensibilité pour la vérité » et « inviter la raison à se mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu » Sans quoi elle perd sa grandeur et se dénature.
Troisième point : L’importance de chercher la vérité, qui unit toujours. Ce n'est pas en renonçant à la vérité que la rencontre des religions et des cultures sera possible, mais en s'engageant plus profondément en elle. Le scepticisme ne rassemble pas, pas plus que le simple pragmatisme. Les deux choses ne servent que de porte d'entrée aux idéologies qui se présentent ensuite avec d'autant plus d'assurance. Renoncer à la vérité et à ses convictions n'élève pas l'homme, mais le livre au calcul du profit, le prive de sa grandeur. Ce qu'il faut exiger, c'est le respect de la foi de l'autre et la disponibilité à rechercher, dans les éléments étrangers que je rencontre, une vérité qui me concerne et qui peut me corriger, me mener plus loin. Ce qu'il faut exiger, c'est d'être prêt à rechercher dans les manifestations peut-être déconcertantes la réalité plus profonde qui se cache derrière elles. Ce qu’il faut exiger, c'est en outre d'être prêt à faire éclater les étroitesses de ma compréhension de la vérité, à mieux me mettre à l'écoute de ce qui est mon bien propre, en comprenant l'autre et en me laissant mettre sur la voie du Dieu plus grand dans la certitude que je n'ai jamais totalement en main la vérité sur Dieu et que, devant elle, je suis toujours un apprenti, qu’en marchant vers elle, je suis toujours un pèlerin dont le chemin ne prendra jamais fin.
S'il en est ainsi, on a le quatrième point, parce qu’il faut toujours rechercher également en l'autre le positif et que, dans cette mesure, l'autre est nécessairement aussi pour moi une aide dans la poursuite de la vérité, cela ne signifie pourtant pas que l'élément critique puisse et doive manquer. La religion offre pour ainsi dire un abri à la perle précieuse de la vérité, mais elle la dissimule aussi sans cesse, et elle court toujours à nouveau le risque de rater ce qui fait sa nature propre. La religion peut tomber malade et peut se transformer en phénomène destructif. Elle sait et elle doit conduire à la vérité, mais elle est aussi capable de couper l'homme de celle-ci. La critique des religions dans l'Ancien Testament n'a de loin pas perdu son objet. Il peut nous être relativement facile de critiquer la religion des autres, mais il nous faut tout autant être prêts à l'accepter également pour nous-mêmes, pour notre propre religion. Karl Barth a distingué dans le christianisme la religion et la foi. Il avait tort pour autant qu'il voulait séparer totalement les deux, voyant uniquement dans la foi un facteur positif, tandis qu'il considérait la religion comme un facteur négatif. La foi sans la religion est irréelle, la religion en fait partie et il est de la nature de la foi chrétienne qu'elle soit une religion. Mais il avait raison dans le sens que même chez le chrétien la religion peut tomber malade et devenir de la superstition, que la religion concrète dans laquelle la foi est vécue doit donc être continuellement purifiée à partir de la vérité qui se manifeste dans la foi et qui, d'autre part, permet, dans le dialogue, de reconnaître de façon neuve son mystère et son infinitude.
Enfin, cinquième et dernier point ou lieu décisif, lié finalement au « besoin de l’autre » sans lequel aucune société ne peut se construire dans la paix :
la reconnaissance du caractère sacré du devoir d’éducation (je pense en particulier à l’éducation des filles, devoir prioritaire entre tous) et de
la liberté de conscience (à placer lui aussi parmi les fondements premiers d’une société pacifique, car là où cette liberté n’est pas assurée, l’un ou l’autre des droits humains finira par vaciller). Tocqueville écrivait un jour qu’il n’est pas de démocratie sans deux conditions pour le vote, à savoir l’éducation et la liberté de la presse. Il plaidait au fond pour la capacité de prononcer une parole informée et responsable. J’irai encore plus loin : la culture du débat est au fondement des deux activités majeures qui passionnent les peuples : les sciences et la politique, le savoir et le pouvoir. Les religions auront à vérifier qu’elles revendiquent, au-delà du savoir, la sagesse, et, sans rabaisser ou confisquer le pouvoir, qui est une des clés du possible, qu’elles favorisent la transformation du pouvoir en service. Mais comme il faut commencer par le commencement, ce qui est en la capacité des religions est la haute idée, sacrée, qu’elles ont de l’éducation, comme promotion de l’être humain à sa dignité d’être informé et responsable, et non pas seulement formaté pour entrer dans la chaine de la production-consommation, et d’encourager de toute leur inspiration le respect absolu de la liberté de conscience, afin que nous puissions tous passer de la tolérance au respect, et du respect à la reconnaissance. En effet, éducation n’est pas seulement faire assimiler quelque chose mais elle est surtout faire rencontrer quelqu’un dans la liberté. L’éducation authentique vise à faire grandir l’homme tout entier, à élargir son regard et son cœur, afin qu’il ne s’appauvrisse pas dans le repli sur soi, et qu’il se tourne vers Dieu et vers ses frères, vers l’humanité.