Unicité et universalité du mystère du Christ Présentation de la déclaration Dominus Iesus Cité du Vatican, le 5 septembre 2000

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:45:06

S. E. le Cardinal Joseph Ratzinger Aujourd'hui Sa Sainteté le pape Benoît XVI Dans le vif débat contemporain sur le rapport entre le christianisme et les autres religions l'idée que toutes les religions sont pour leurs adeptes des voies de salut également valables fait toujours plus son chemin. Il s'agit d'une conviction désormais répandue, non seulement dans des milieux théologiques, mais aussi dans des secteurs toujours plus vastes de l'opinion publique catholique ou pas, en particulier celle qui est le plus influencée par l'orientation culturelle qui domine aujourd'hui en Occident que l'on peut définir, sans crainte d'être démentis, par le mot : relativisme.   La soi-disant théologie du pluralisme religieux s'était en vérité déjà affirmée graduellement à partir des années cinquante du XXe siècle, mais ce n'est qu'aujourd'hui qu'elle a assumé une importance fondamentale pour la conscience chrétienne. Ses configurations sont naturellement très différentes et il ne serait pas juste de vouloir homologuer toutes les positions théologiques qui remontent à la théologie du pluralisme religieux à l'intérieur d'un même système. C'est pourquoi la Déclaration ne se propose même pas de décrire les traits essentiels de ces tendances théologiques, et ne prétend pas non plus de les enfermer dans une formule unique. Notre Document signale plutôt quelques fondements de nature aussi bien philosophique que théologique qu'on retrouve aussi à la base de différentes théologies actuellement répandues du pluralisme religieux: la conviction que la vérité divine est complètement insaisissable et inexprimable; l'attitude relativiste par rapport à la vérité qui fait que ce qui est vrai pour certains ne le serait pas pour d'autres, la contraposition radicale entre mentalité logique occidentale et mentalité symbolique orientale, le subjectivisme exaspéré de ceux qui considèrent la raison comme unique source de connaissance ; la privation métaphysique du mystère de l'incarnation ; l'éclectisme de ceux qui assument dans la réflexion théologique des catégories dérivées d'autres systèmes philosophiques et religieux, sans s'occuper ni de leur cohérence interne, ni de leur incompatibilité avec la foi chrétienne ; enfin la tendance à interpréter des textes de l'Ecriture sainte en dehors de la Tradition et du Magistère de l'Eglise [cf. Décl. Dominus Iesus, n°4].   Quelle est la conséquence fondamentale de cette façon de penser et de sentir en relation avec le centre et le noyau de la foi chrétienne ? C'est le rejet substantiel de l'identification de la figure historique unique, Jésus de Nazareth, avec la réalité même de Dieu, du Dieu vivant. Ce qui est Absolu, ou bien Celui qui est l'Absolu, ne peut jamais se donner à l'histoire à travers une révélation pleine et définitive. Dans l'histoire on a seulement des modèles, des figures idéales qui nous renvoient au Totalement Autre, qui ne peut toutefois pas être saisi comme tel dans l'histoire. Certains théologiens plus modérés admettent que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, mais estiment qu'à cause de l'étroitesse de la nature humaine de Jésus, la Révélation de Dieu en Lui ne peut pas être complète et définitive, et qu'elle doit toujours être considérée en relation avec d'autres possibles révélations de Dieu exprimées dans les gènes religieux de l'humanité et dans les fondateurs des religions du monde. De cette façon, objectivement parlant, on introduit l'idée erronée que les religions du monde sont complémentaires à la révélation chrétienne. Il est pourtant clair que l'Eglise, le dogme, les sacrements ne peuvent pas non plus avoir la valeur de nécessité absolue. Attribuer à ces moyens finis un caractère absolu et en arriver à les considérer comme un instrument pour une rencontre réelle avec la vérité de Dieu, universellement valable, signifierait placer sur un plan absolu ce qui est particulier et altérer la réalité infinie du Dieu Totalement Autre.   Sur la base de ces conceptions, retenir qu'il y a une vérité universelle, contraignante et valable dans l'histoire même, qui s'accomplit dans la figure de Jésus-Christ et qui est transmise par la foi de l'Eglise, est considéré comme une espèce de fondamentalisme qui constituerait un attentat contre l'esprit moderne et représenterait une menace contre la tolérance et la liberté. Le concept même de dialogue assume une signification radicalement différente de celle qui est interprétée dans le Deuxième Concile du Vatican. Le dialogue, ou plutôt « l'idéologie du dialogue », remplace la « mission» et « l'urgence de l'appel à la conversion » : le dialogue n'est plus la voie pour découvrir la vérité, le processus à travers lequel la profondeur cachée de ce qu'il a expérimenté dans son expérience religieuse s'ouvre à l'autre, mais qui attend de s'accomplir et de se purifier dans la rencontre avec la révélation définitive et complète de Dieu en Jésus-Christ ; le dialogue dans les nouvelles conceptions idéologiques qui ont pénétré malheureusement aussi à l'intérieur du monde catholique et de certains milieux théologiques et culturels, est au contraire l'essence du « dogme » relativiste et l'opposé de la « conversion » et de la « mission ». Dans une pensée relativiste « dialogue » signifie mettre sur le même plan sa propre position ou sa propre foi et les convictions des autres, si bien que tout se réduit à un échange entre positions fondamentalement paritaires et par conséquent relatives entre elles, dans le but supérieur d'obtenir le maximum de collaboration et d'intégration entre les différentes conceptions religieuses.   La dissolution de la christologie et donc de l'ecclésiologie qui lui est subordonnée tout en lui étant inséparablement unie, devient par conséquent la conclusion logique de cette philosophie relativiste, qui se retrouve paradoxalement soit à la base de la pensée post-métaphysique de l'Occident, soit de la théologie négative de l'Asie. Il en résulte que la figure de Jésus-Christ perd son caractère d'unicité et d'universalité salvatrice. Ensuite le fait que le relativisme se présente, à l'enseigne de la rencontre avec les cultures, comme la vraie philosophie de l'humanité, en mesure de garantir la tolérance et la démocratie, amène à marginaliser ultérieurement ceux qui s'obstinent dans la défense de l'identité chrétienne et dans sa prétention de diffuser la vérité universelle et salvatrice de Jésus-Christ. En réalité la critique qui est faite à la prétention d'absolutisme et de caractère définitif de la révélation de Jésus-Christ revendiquée par la foi chrétienne, se joint à une idée fausse de la tolérance. Le principe de la tolérance comme expression du respect de la liberté de conscience, de pensée et de religion, défendu et promu par le Deuxième Concile du Vatican, et proposé une nouvelle fois dans la Déclaration même, est une position éthique fondamentale, présente dans l'essence du Credo chrétien puisqu'il prend au sérieux la liberté de la décision de foi. Mais ce principe de tolérance et de respect de la liberté est aujourd'hui manipulé et indûment dépassé lorsqu'il s'étend à l'appréciation des contenus, presque comme si tous les contenus des différentes religions et même des conceptions areligieuses de la vie pouvaient être placées sur le même plan et qu'il n'existait plus une vérité objective et universelle, puisque Dieu ou l'Absolu se révèlerait sous d'innombrables noms, mais que tous les noms seraient vrais. Cette fausse idée de tolérance est liée à la perte et la renonciation à la question de la vérité qui est aujourd'hui en effet perçue par beaucoup comme une question insignifiante et de deuxième ordre. C'est ainsi que la faiblesse intellectuelle de la culture actuelle apparaît : la demande de vérité venant à manquer, l'essence de la religion ne se différencie plus de sa « non essence », la foi ne se distingue pas de la superstition, l'expérience de l'illusion. Enfin, sans une sérieuse prétention de vérité, l'appréciation des autres religions devient aussi absurde et contradictoire puisqu'on ne possède pas le critère qui permet de constater ce qui est positif dans une religion, en le distinguant de ce qui est négatif ou de ce qui est le fruit de superstition et de tromperie.   A ce propos la Déclaration reprend l'enseignement de Jean-Paul II dans l'Encyclique Redemptoris missio : « Quand l'Esprit opère dans le cœur des hommes et dans l'histoire des peuples, dans les cultures et dans les religions, il assume un rôle de préparation évangélique » [Redemptoris Missio, 29]. Ce texte se réfère de façon explicite à l'action de l'Esprit non seulement « dans le cœur des hommes », mais aussi « dans les religions ». Le contexte place toutefois cette action de l'Esprit à l'intérieur du mystère du Christ, dont elle ne peut jamais être séparée ; en outre les religions sont associées à l'histoire et aux cultures des peuples où le mélange du bien et du mal ne peut jamais être mis en doute. Il faut donc considérer comme praeparatio evangelica non pas tout ce qui se trouve dans les religions, mais seulement « ce que le Saint-Esprit opère en elles». Il résulte de cela une conséquence très importante : le bien présent dans les religions est la voie du salut, comme opération de l'Esprit du Christ, et non pas comme religions en tant que telles. Cela est du reste confirmé par la doctrine même du Deuxième Concile du Vatican à propos des semences de vérité et de bonté présents dans les autres religions et les autres cultures, exposée dans la Déclaration conciliaire Nostra Aetate : « L'Eglise ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère les façons d'agir et de vivre, les préceptes et les doctrines qui, bien qu'ils diffèrent sur beaucoup de points en ce qui concerne ce qu'elle croit et qu'elle propose, et qu'ils ne reflètent toutefois pas rarement un rayon de cette vérité qui illumine tous les hommes » [Nostra Aetate, 2]. Tout ce qui existe de vrai et de bon dans les religions ne doit pas être perdu, mais doit être au contraire reconnu et valorisé. Le bien et le vrai, où qu'ils se trouvent, proviennent du Père et sont l'œuvre de l'Esprit ; les semences du Logos sont répandues partout. Mais on ne peut pas fermer les yeux sur les erreurs et sur les pièges qui sont toutefois présents dans les religions. Même la Constitution Dogmatique du Deuxième Concile du Vatican, Lumen Gentium affirme : « Les hommes, très souvent trompés par le Malin divaguent dans leurs méditations, et ils ont échangé la vérité divine avec le mensonge, en servant la créature plutôt que le Créateur » [Lumen Gentium, 16].   On peut comprendre que dans un monde qui s'accroît toujours plus globalement, les religions et les cultures aussi se rencontrent. Cela ne conduit pas seulement à une approche extérieure d'hommes de religions différentes, mais plutôt aussi à une croissance d'intérêt envers des mondes religieux inconnus. Dans ce sens, en ce qui concerne la connaissance réciproque, il est légitime de parler d'enrichissement réciproque. Cela n'a toutefois rien à voir avec l'abandon de la prétention de la part de la foi chrétienne d'avoir reçu en don de Dieu dans le Christ la révélation définitive et complète du mystère du salut, et il faut au contraire exclure cette mentalité d'indifférentisme empreinte d'un relativisme religieux qui amène à retenir que « une religion en vaut une autre » [Redemptoris Missio, 36]. L'estime et le respect envers les religions du monde, de même que les cultures qui ont apporté objectivement un enrichissement à la promotion de la dignité de l'homme et au développement de la civilisation, ne diminue pas l'originalité et l'unicité de la révélation de Jésus-Christ et ne limite en aucune façon le devoir missionnaire de l'Eglise : « l'Eglise annonce et elle est tenue à annoncer sans cesse le Christ qui est la voie, la vérité et la vie [Jn 14, 16] en qui les hommes trouvent la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu a réconcilié à soi toutes les choses » [Nostra Aetate, 2]. Ces simples paroles indiquent en même temps la raison de la conviction qui retient que la plénitude, l'universalité et l'accomplissement de la révélation de Dieu sont présents seulement dans la foi chrétienne. Cette raison ne réside pas dans une préférence présumée accordée aux membres de l'Eglise, et encore moins dans les résultats historiques obtenus par l'Eglise dans son pèlerinage terrestre, mais dans le mystère de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, présent dans l'Eglise. La prétention d'unicité et d'universalité salvatrice du christianisme provient essentiellement du mystère de Jésus-Christ qui continue sa présence dans l'Eglise, son Corps et son Epouse. C'est pourquoi l'Eglise se sent engagée, de par sa constitution, à l'évangélisation des peuples. Même dans le contexte actuel marqué par la pluralité des religions et par l'exigence de liberté de décision et de pensée, l'Eglise est consciente d'être appelée « à sauver et à renouveler chaque créature, afin que toutes les choses soient récapitulées dans le Christ et que les hommes constituent avec lui une seule famille et un seul peuple » [Décret. Ad Gentes, 1].   En réaffirmant les vérités dans lesquelles la foi de l'Eglise a toujours cru et qu'elle a gardées en ce qui concerne ces arguments, et en sauvegardant les fidèles d'erreurs et d'interprétations ambiguës actuellement répandues, la Déclaration Dominus Iesus de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, approuvée et confirmée certa scientia e apostolica sua auctoritate par le Saint-Père lui-même, assume un double rôle : d'une part elle se présente comme un témoignage ultérieur et renouvelé, qui fait autorité, pour que le monde voie « resplendir l'Evangile de la gloire du Christ » [2 Co 4, 4] ; d'autre part elle indique que la base doctrinale à laquelle on ne peut pas renoncer comporte une obligation pour tous les fidèles et qu'elle doit guider, inspirer et orienter soit la réflexion théologique, soit l'action pastorale et missionnaire de toutes les communautés catholiques répandues dans le monde. ©Libreria Editrice Vaticana, 00120 Città del Vaticano Tous les documents