Madrid, 11 mars 2004 : le débat après l'attentat terroriste en Espagne

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:51:36

On a beaucoup écrit en espagnol, selon des perspectives et des genres très différents, au sujet de ce qui se passa à Madrid le 11 mars 2004, quand un attentat terroriste tua cent quatre-vingt-onze personnes de quatorze nationalités et en blessa plus de mille cinq cents. Ce volume est probablement un des exemples d'une prétendue analyse de l'interprétation gnoséologique des événements et de leurs répercussions, de la théorie politique à la sociologie, à la psychologie, à l'histoire, à partir de la catégorie du « mal ». Né d'une déconstruction orchestrale et d'un mélange avec d'autres sources de la modernité, ce livre veut faire une incursion dans les processus de genèse, de définition et de répercussion des événements qui altèrent l'ordre selon lequel on prévoit et on domine la réalité personnelle et sociale.

Au moment où on analyse le mal, sa force irréfrénable et sa présence, on perçoit dans ce livre une tendance rousseauiste qui privilégie les causes sociales comme origine. Ce n'est pas un hasard si Zygmunt Bauman est le théoricien de référence des auteurs des contributions, quand il affirme que :

« La cruauté doit être mise en relation avec certaines normes d'interaction sociale, bien plus qu'avec des traits de la personnalité ou avec d'autres caractéristiques individuelles des auteurs de l'attentat. La cruauté est sociale à son origine, beaucoup plus que dépendante du caractère de l'individu ». (p. 172)

Le prétention systématique de la modernité nous pourrions parler en Espagne de la transition qui commença en 1975 avec la mort de Franco qui a voulu établir l'existence d'un cadre de coexistence où la sécurité est sous-entendue, comme le rappelle le politologue Fernando Vallespin de l'Universitad Autónoma di Madrid a été démentie de façon impressionnante par l'explosion de quelques bombes qui marquent désormais une nouvelle phase dans le jeu de la vie politique, sociale et culturelle espagnole, un défi de première grandeur non seulement pour la raison, mais aussi pour la sensibilité morale. La modernité qui s'était attribué à elle-même le devoir d'imposer l'ordre, de construire une société sans conflits, avec un état qui recherche, qu'il le veuille ou non, le bien-être de tous, la transparence et la prévisibilité du système, se heurte à une inconnue qu'elle doit résoudre, tout en ne sachant pas bien comment.

Il nous faut dire tout d'abord que, même si le livre contient les contributions de plus d'une vingtaine d'auteurs d'évidente provenance académique Rafael del Águila, Rogelio Alonso, Mónica Alzate, Pedro J. Amor, Mateo Ballester, Amalio Blanco, Eva Borreguero, Paz del Corral, Luis de la Corte, Enrique Echeburúa ; Antonio Elorza, Pilar Hernández, Javier Jordán, Ana Lillo, Fernando A. Muñoz, Enrique Parada, Antonio Puerta, José Maria Ruiz-Vargas et José Manuel Sabucedo, ces auteurs ont écrit sous forme de thèses leurs contributions, à partir de la lecture de quelques chapitres fondamentaux qui influencent sur la perspective d'examen des aspects complémentaires de la question présentée. Les quatre premières contributions occupent une place centrale, sous le titre « Le naturel sociopolitique du mal et le désenchantement du monde », et ont pour thèmes les politiques parfaites : idéaux, moralité et jugement ; terrorisme et religion, le terrorisme islamique en Espagne ; le nouveau terrorisme : facteurs de transformation et de continuité. Les paragraphes consacrés à l'institutionnalisation des ressentiments et à la manifestation de la douleur s'organisent principalement en une réflexion sur les questions de la liberté et de la paix, le plus souvent du point de vue de la psychologie sociale et de la psychologie appliquée aux conséquences des attentats terroristes sur les niveaux d'intervention et de traitement successif.

Les possibilités et les niveaux d'analyse critique du livre sont nombreux. Nous nous concentrerons en particulier sur deux d'entre eux : celui qui se réfère aux fondements de la présence articulée du mal dans notre histoire et celui qui fait la radiographie de la présence du terrorisme islamique en Espagne. C'est Rafael del Águila qui donne le ton à l'analyse philosophique avec sa théorie de la « pensée implacable ». Il estime que le danger de notre époque est constitué par les idéaux et non pas par l'absence d'idéaux, c'est-à-dire par les doctrines politiques, sociales, religieuses, les formes de vie articulées et qui articulent, qui créent la réalité comme le but le plus haut de l'action politique. L'exemple le plus clair est la création de la réalité au moyen de la terreur qui promet la libération totale. L'auteur n'est pas très éloigné de Nietzsche qui disait que « tous les idéaux sont dangereux parce qu'ils abaissent et stigmatisent le réel ». Toutefois l'auteur est bien loin d'une observation rigoureuse et d'une claire différentiation de ce que sont les matrices de ces idéaux, surtout si nous parlons du fait religieux et du fait chrétien. Pour lui :

« Dieu, la loi islamique et la démocratie parfaite du peuple élu ou la providence divine, la nation, le futur radieux de l'harmonie universelle, la sécurité parfaite ou la lutte contre le mal absolu que nos ennemis représentent sont les grands idéaux que nous découvrons continuellement à la base de l'assassinat ». Selon l'auteur, la pensée implacable élimine la complexité. Il n'existe pas de réponse a priori au mal; c'est seulement la parole, le dialogue, l'exemple, le devoir civique, la responsabilité qui garantissent la possibilité de sortir de l'imprévisible. Le problème affirme-t-il n'est pas que les hommes libres opèrent le mal, mais « qu'il n'existe pas encore un monde où ceux-ci ne devraient pas en avoir besoin » (Adorno) (p. 34)

Si nous nous approchons un peu plus de la relation entre religion et terrorisme, nous trouvons un chapitre qui présente une vision générale du Bouddhisme, du Judaïsme, du Christianisme et une autre plus ample de l'Islam. En ce qui concerne le Christianisme les auteurs reconnaissent certains principes de base dans la relation entre la foi chrétienne et la violence, même si la thèse qui est à la base est bien plus que discutable : l'opposition de l'Evangile à la violence a été de plus en plus oubliée au cours de l'histoire à cause de la naissance de la réalité institutionnelle avec ses implications de pouvoir et de domination. C'est ce que les auteurs appellent la densité chrétienne. Comme le lecteur le comprendra, ce jugement ne provient pas d'une compréhension historique correcte du fait chrétien et de l'Eglise. La bibliographie qu'on pourrait fournir sur ce point est très abondante. Un autre chapitre traite de la présence de l'Islam en Espagne, thème affronté sous une forme descriptive, à cheval entre la sociologie et la divulgation journalistique, sans entrer dans les questions de fond et les problèmes d'intégration que pose cette présence.

Enfin on perçoit dans le livre un intérêt autour de la question des conséquences politiques de l'attentat du 11 mars, question qui ne peut pas trouver de réponse tant qu'on ne connaîtra pas davantage de choses qu'actuellement personne ne sait ou ne permet que l'on sache. La tendance générale du livre est de chercher à rompre avec la dynamique qui identifie l'attentat avec le changement électoral ; conséquences de l'attentat, mesures du nouveau gouvernement et rupture traumatique avec le gouvernement précédent et avec le passé. Qu'est-ce qui manque à ce livre ? Nous pourrions répondre : ce qui manque aux intellectuels espagnols progressistes ou de gauche. Autour de la question du mal, de ses causes et de ses origines, un dialogue avec saint Augustin et une lecture plus organique de l'œuvre de Hanna Arendt; pour comprendre le fait religieux, un dialogue avec Joseph Ratzinger, aujourd'hui Benoît XVI. Et pour savoir ce qui se passa le 11 mars et pourquoi, peut-être faut-il un peu plus de temps.

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