Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:28:22
Le flux de personnes qui essaye de rejoindre la Grèce depuis la Turquie lors de traversées dangereuses et trop souvent fatales ne semble pas prêt de s’arrêter. Le nombre de migrants qui trouvent la mort dans la Mer Méditerranée augmente et la pression s’accroît sur les institutions européennes. Le système mis en place par
le traité de Schengen est remis en discussion par la décision de plusieurs pays, comme la Suède ou le Danemark, de réintroduire les contrôles aux frontières pour empêcher que les réfugiés ne convergent sur le territoire national.
«
L’Europe est comme un vélo : si tu es assis sans pédaler, tu ne peux pas faire autrement que de tomber », dit à Oasis l’ex-ministre des Affaires étrangères italien et ex-comissaire européen,
Emma Bonino. La manière dont a été abordée la question des migrants et de la crise de Schengen durant ces derniers mois risque sérieusement de nous faire tomber du vélo,
en détruisant le projet ambitieux de l’intégration européenne. Et pourtant, explique Bonino, le phénomène migratoire était absolument prévisible : l’histoire nous apprend que lorsque des millions de personnes fuyant la guerre perdent tout espoir de rentrer chez eux, ils quittent leur pays, comme chacun de nous le ferait. « Il s’agit d’une crise qu’une des régions les plus riches du monde, avec le meilleur système de welfare et plus de 500 millions d’habitants, pourrait certainement gérer si l’on considère les dimensions actuelles du phénomène en soi » :
en 2015 ce sont plus d’un million de migrants qui ont rejoint le territoire européen, dont environ 80 % à travers la Grèce comme le montrent les données du European Council on Foreign Relations. Pour gérer l’urgence, il faut une vision et une stratégie cohérentes. Au contraire, nous nous engageons vers « une situation sans retour » parce que, souligne Bonino, « sans une politique d’immigration commune – rejetée à l’époque par les états membres –
nous avons transformé un problème, très complexe, en une véritable catastrophe. En Europe, c’est le chacun pour soi, on raisonne seulement d’une urgence à l’autre ».
L’erreur n’est pas à attribuer seulement à la bureaucratie complexe des organes communautaires parce que selon Bonino « la Commission européenne a essayé de proposer des solutions courageuses », mais l’évolution des négociations intergouvernementales les a bloquées. Le problème fondamental est que «
l’Europe s’est arrêtée au milieu du gué » sur la voie de l’intégration et là, à l’endroit où le courant est le plus fort, elle a été frappée d’abord par la crise économique et maintenant la crise migratoire. La conjoncture économique difficile qui débuta en 2008 est significative parce qu’elle a montré que déjà à l’époque, les réponses, exceptées celles prises par le gouverneur de la Banque centrale européenne Mario Draghi, furent données à un niveau national et non pas communautaire.
Pour cette raison,
le système qui garantit la libre circulation à l’intérieur des frontières européennes court un risque sérieux. On peut choisir, avertit l’ex-ministre des Affaires étrangères : revoir le traité de Dublin qui règle les politiques liées aux demandes d’asile ou, chose qui actuellement semble la plus probable, abandonner Schengen, « en minant complètement le projet européen ». Une opinion partagée par le président du Conseil italien Matteo Renzi qui, après une rencontre récente avec la Chancelière allemande Angela Merkel, a affirmé: « Si l’Europe perd Schengen, elle se perd elle-même ».
La fin du système Schengen serait une éventualité « dramatique également du point de vue économique », selon Bonino. Le président de la commission européenne, Jean-Claude Junker, a récemment affirmé durant un discours au Parlement européen qu’une heure d’arrêt aux frontières d’une cargaison de marchandises correspondrait à un coût d’environ 55 euro par camion. Si l’on considère que plus de 50 % des exportations des principaux États européens sont destinées à d’autres pays de l’Union, on comprend facilement quel serait l’impact d’une réintroduction complète des frontières entre les états membres. Il ne serait donc même pas nécessaire de dire qu’avec Schengen s’écroulerait « un pilier culturel du processus d’intégration européenne » pour se rendre compte combien il est crucial que l’Union trouve une solution commune pour affronter la crise migratoire.