Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:52:06
La «pluralité des cultures» n'est pas le nom d'une solution, mais le nom d'un problème. Le projet de coexistence de différentes traditions ethniques, religieuses et culturelles, sur la base unique de la reconnaissance de leur droit à l'existence n'est pas la réponse adéquate au problème de la coexistence. Pour en avoir la confirmation on peut observer que les politiques qui tiennent compte de la pluralité des cultures, si intenses soient-elles, conduisent au résultat sociologiquement prouvé non pas de l'intégration, mais de la juxtaposition des communautés, la mise en marge des communautés les plus faibles, la ségrégation des plus unies, l'exaltation du pouvoir autoritaire des chefs de communauté, la constitution de pouvoirs occultes incontrôlables et de formes d'illégalité protégée, etc.
D'autre part, un modèle de cohabitation selon le principe de la plus grande assimilation possible à la tradition culturelle du pays d'immigration, n'est pas une alternative valable au projet qui se base sur la pluralité des cultures. Mais un projet de plus grande neutralisation publique des spécificités culturelles en faveur d'une nationalité «laïque», sur le modèle français actuel, ne l'est pas non plus.
C'est pourquoi il s'agit de raisonner selon une perspective «d'interculture», pour indiquer le processus d'interaction et de synergie où les différences trouvent la forme efficace de leur unité. Il faut donc repenser la politique dans sa dimension institutionnelle, afin que son devoir de créer et de garantir «l'espace public» de la confrontation rende possible une dialectique interculturelle correcte qui tienne compte des identités. La question interculturelle se définit donc comme «fondation et soin de l'espace politique» où évoluent les protagonistes et de la dialectique entre identités culturelles et ethnies différentes.
Le devoir historique est alors d'aménager un double espace à l'intérieur de la tradition libérale, celui de la «présence sociale» des ethnies représentant plusieurs cultures et celui de leur «communication politique».
La première question ne reçoit de réponse adéquate qu'à l'intérieur d'une revalorisation du rôle de la société civilisée. En effet, ce ne sont ni l'intégration au travail de l'étranger dans le cycle du marché libre (l'immigré contemporain n'est pas une simple force de travail étrangère à la recherche d'un emploi, mais il se conçoit le plus souvent comme sujet appartenant à une communauté particulière), ni la seule reconnaissance de la nationalité d'Etat qui ouvrent une perspective acceptable à un processus d'intégration. Il est nécessaire, au contraire, de rendre possible une réelle dialectique civilisée, qui a toutefois comme condition le mûrissement d'une conscience qui n'accepte pas le partage du social entre public d'état et privé mercantile, mais qui revendique la consistance autonome, voire même la primauté sociale et politique du «public et du civil non étatique».
Cela signifie aussi réfléchir sur «le rôle public civil des religions», dans la direction d'un dépassement de l'écart moderne entre religion et politique (obsolète après la crise des idéologies, c'est-à-dire des religions politiques de substitution), mais pas pour autant dans le sens intégriste, et plutôt comme agents culturels de la dialectique civile fondamentale.
Bien Commun et Communication Politique
La deuxième question concerne la «communication sociale» comme fait fondamental et patrimoine commun, actif et significatif avant toute négociation et réglementation réfléchie. J'entends par communication sociale l'événement complexe d'interaction, échange, action commune, etc. qui constitue un «bien déjà toujours partagé». On pourrait objecter que, dans la situation de pluralité des cultures, collaboration et coopération sont des buts à atteindre plutôt que des points de départ. Mais cela n'est sans doute pas vrai, car pour autant qu'il soit occasionnel, fragmentaire, méfiant, mal assuré un minimum d'échange communicatif existe toujours entre personnes diverses; à moins que la situation n'ait déjà dégénéré en marginalisation ou en conflit.
Le problème est plutôt que l'événement social initial devienne un fait politique; la chose est possible dans la mesure où on l'assume consciemment et volontairement comme «bien commun», c'est-à-dire comme événement qui unit de toute façon et qui mérite d'être promu (à la limite aussi comme un moindre mal). En résumé, le corps politique naît au moment où on se fixe comme but commun la poursuite de la communication sociale.
Il y a donc un «sens formel du bien commun» dont prend soin l'homme politique qui s'adapte aussi à la société du pluralisme des cultures post-moderne ethnique et culturel, car il n'exige aucun accord préventif sur des contenus de valeur qui ne soient la «valeur même d'être dans la société». Le politique coïncide à ce niveau avec «l'institution permanente» de l'espace de la communication, c'est-à-dire de la confrontation entre marginaux, de la coopération et même du conflit en tant que reconnu et réglé.
Cela signifie que le bien de la communication trace la «frontière de la participation politique», en distinguant ceux qui en reconnaissent le lien de ceux qui, au contraire, ne le reconnaissant pas, et s'en excluent. Il en résulte tout de suite dans ce sens l'impossibilité politique de la coexistence d'un élément culturel quelconque par le seul fait qu'il existe et d'autant plus des formes qui sont en contradiction avec le bien de la communication sociale (fondamentalisme, anarchisme, terrorisme, séparatisme, sectarisme occulte, etc.).
Cette perspective d'institution pratique du politique ne se conclut pas toutefois avec son profil constitutionnel formel, car elle est prête à accueillir tous les contenus de valeur que les différentes traditions devraient partager de façon concrète. En effet la rencontre-choc des différentes traditions et conceptions délimite un terrain de partages et d'exclusions qui se définit et se redéfinit sur la base de négociation historique en une mise à jour continuelle. A ce niveau le «bien commun» n'est plus seulement formellement la communication sociale, mais il se remplit de «contenus» (dossiers économiques et sociaux, patrimoines de valeurs morales et spirituelles) identifiés de façon différente selon les différents contextes et les négociations politiques spécifiques. De cette façon, sur le canevas stable du projet de communication partagé et réglé, le pluralisme peut trouver une place pour ses innombrables variations, sans subir la coaction d'impossibles homogénéités et sans détruire la coexistence des différents.
Dialectique de la Participation
L'appartenance à une société politique garantit le juste droit à l'organisation, à l'expression, à la défense. Mais elle laisse aussi la liberté du jeu des forces et des suprématies, y compris la suprématie de l'élément culturellement majoritaire d'une société qui est normalement aussi la protagoniste de l'histoire d'une société et de son état national et qui a donc, soit le devoir d'admettre à la communication politique ceux qui le demandent et se trouvent dans les conditions de le faire, soit le droit de protéger et de proposer son propre patrimoine d'histoire, de culture, de traditions, de coutumes, etc., en une confrontation loyale et à travers une franche négociation avec les nouveaux arrivés. Ce sera la dialectique sociale et culturelle dans des conditions d'équité d'interlocution qui devra décider quelles sont les suprématies et/ou les mélanges sur la longue durée. En général il ne s'agit donc pas de préserver ou de promouvoir les différences en tant que telles (problème des soi-disant «droits culturels»), mais de poser les conditions politiques afin que ces dernières puissent se préserver, se promouvoir et se confronter selon leurs réelles capacités.
En résumé, aborder le problème de la pluralité des cultures selon le critère de la «communication politique» entre cultures permet de sauver soit la valeur de la différence, soit le principe d'égale dignité, selon une formule du genre: «garantie des droits et des engagements des différences culturelles dans l'égale dignité de leur participation politique». En fait le phénomène historique de l'«interculture» résulte de la synergie de deux facteurs: la «dialectique civile libre» entre les sujets sociaux réels, culturels et religieux et l'intervention publique de l'Etat» qui doit prendre des décisions en ce qui concerne la coexistence des différences, se référant au patrimoine de valeurs dont il est l'expression.