Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:05:09
Nous vous proposons les notes de voyage qu’un représentant de l’association Pro Terra Sancta
a écrit pour Oasis depuis Alep. Il a visité la partie Ouest de la ville syrienne en octobre, durant le conflit sanglant entre les forces du régime de Bachar al-Assad et les groupes armés rebelles, qui contrôlaient la zone orientale du centre urbain. La ville a été totalement reconquise par l’armée gouvernementale en décembre, avec le soutien d’hommes armés liés à l’Iran, aux milices chiites libanaises de Hezbollah et aux militaires russes.
Alep. Au troisième check-point à l’entrée d’Alep-Ouest des militaires gouvernementaux nous accueillent en uniforme. Certains portent des bandeaux rouges. Ils distribuent des brioches et du jus de mangue à tous les « frères â qui entrent dans la partie de la ville qu’ils défendent. Tandis qu’ils nous parlent par la fenêtre, notre guide, Bassam, frère franciscain syrien, nous murmure : « Ce sont les soldats du Hezbollah, présents dans la zone depuis plusieurs mois. Ils nous souhaitent la bienvenue... buvez ! »
En octobre 2016,
je me suis rendu en Syrie, dans la partie occidentale d’Alep, celle qui est contrôlée par les forces du régime de
Bachar al-Assad, et à laquelle on peut accéder uniquement avec la coordination des forces gouvernementales. Je voyageais avec plusieurs collègues de l’association
Pro Terra Santa, une ONG qui est à l’œuvre depuis 2002 dans le secteur de la coopération internationale pour soutenir la
Custodie de Terre Sainte, province franciscaine qui s’occupe de la gestion des lieux sacrés depuis plus de sept siècles.
L’objectif de notre mission était la visite des communautés chrétiennes et des projets d’urgence et d’assistance en cours en Syrie. Depuis le début de la guerre civile sanglante en 2011,
les frères de la Custodie, présents depuis des siècles en Syrie, n’ont jamais quitté le pays et sont encore fortement présents dans différentes régions, comme
Lattaquié, Damas, Alep, sous le gouvernement syrien. Mais ils se trouvent aussi dans plusieurs villages de la
vallée de l’Oronte (
Knayeh, Yacoubieh, Jisser et Gidaideh), contrôlés en revanche par plusieurs factions rebelles. Dans ces lieux, les frères franciscains, soutenus par des équipes locales, aident la population sans distinction d’ethnie, d’appartenance religieuse ou de nationalités, avec une attention particulière aux enfants et aux femmes.
Après l’escale à Beyrouth, le passage de la frontière et deux brèves haltes à Lattaquié et à Damas, nous sommes partis vers Alep-Ouest, accompagnés de frère Bassam.
Les check-points que l’on rencontre sur la route sont nombreux. Leur nombre augmente lorsque l’on approche de la partie Ouest d’Alep, où ils sont positionnés tous les 200-300 mètres. L’armée gouvernementale contrôle les passeports, les visas et le coffre de chaque voiture. Les soldats gouvernementaux que nous rencontrons sont souvent dans des conditions critiques : épuisés, certains sont très jeunes, d’autres plus âgés. Il y a des matelas jetés par terre à côté d’abris et de taudis remplis de débris, où à tour de rôle les militaires se reposent durant le jour et la nuit. Notre chauffeur en connaît beaucoup, et, là où c’est possible, nous donnons une bouteille d’eau, quelque chose à manger, des bonbons.
En entrant dans la ville, on est frappé d’une part par la quantité de
puits d’eau présents dans les rues, un tous les 50-60 mètres. Ils ont été rouverts depuis peu et mis à disposition aussi bien pour le remplissage de bidons de petite taille que pour les camions qui pompent de l’eau dans de gros réservoirs pour ensuite la redistribuer dans les différentes zones de la ville. D’autre part, la quantité infinie de
générateurs électriques extérieurs, environ un pour chaque bâtiment ou immeubles d’appartements. Ils fonctionnent sans arrêt depuis huit heures du matin jusqu’à huit heures et demi le soir.
C’est un des effets les plus tragiques et directs de la guerre en cours depuis six ans : la carence d’énergie électrique et d’eau, due principalement à la division du territoire entre les forces gouvernementales, les rebelles et l’
État Islamique.
À Alep, les habitants essayent de repartir de ce qu’ils ont. En effet, bien que l’embargo international empêche l’exportation et que le prix des produits vendus sur le marché noir augmente énormément, malgré la fermeture de nombreuses usine qui a laissé des milliers de travailleurs sans emploi, et la disparition du tourisme, source économique indispensable du pays avant la guerre, il semble que la vie ait repris dans certaines zones d’Alep-Ouest. Les rues et les marchés sont de nouveau fréquentés, beaucoup de magasins ont repris leur activité, de nombreuses écoles ont rouvert, en accueillant les enfants qui étaient à la maison depuis des mois.
« La population veut vivre, pas survivre » nous dit frère Bassam.
Au couvent de Saint François, le père Ibrahim al-Sabagh, de la Custodie de Terre Sainte, nous attend, heureux de notre arrivée. C’est précisément ici, qu’avec ses frères de la Custodie, même au milieu d’énormes difficultés, il a été possible de réaliser un centre d’urgences pour répondre aux besoins les plus immédiats de la population : achats de nourriture, vêtements, couvertures, médicaments et assistance médicale de base.
Nous passons les deux premières journées à visiter le centre d’Alep, défiguré et détruit, en suivant la ligne de démarcation militaire qui divise la zone occupée par les rebelles de la zone gouvernementale, escortés par plusieurs militaires de l’armée régulière.
Les anciens et magnifiques immeubles du centre historique ont laissé la place à des tas de gravats sans fin. Dans certaines zones, la ligne de tranchée est délimitée seulement par de simples toiles de l’Unhcr, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies. « Ils servent à éviter que les tireurs d’élite ne voient ceux qui traversent la rue », nous dit notre accompagnateur.
Le soir, dans toute la ville, les générateurs électriques sont désactivés et une obscurité très profonde tombe sur Alep, tout cela laisse la place à une série de bruits et de grondements que l’on n’oublie pas facilement. Si, durant la journée, les combats entre les forces gouvernementales et anti-Damas continuent, avec le lancement des missiles ou barrel bombs, on dirait qu’ils semblent plus lointains,
durant la nuit, les bombardements du régime sont constants, tout comme les réponses de la partie orientale de la ville, jusqu’à entendre des explosions toutes les trois ou quatre minutes. Le bruit assourdissant des bombes et des mortiers ainsi que le bourdonnement continuel des avions russes dans le ciel dominent. On entend tomber les missiles et le crépitement des armes à feu. Souvent, le matin, on retrouve des missiles non explosés près des couvents ou des immeubles.
« C’est un bruit que nous commençons à ne plus supporter parce qu’il te creuse à l’intérieur ... et il te dévaste », nous dit le père Ibrahim. Comme nous le constatons ensuite les jours suivants,
les cas de personnes et d’enfants avec des traumatismes pas seulement physiques mais aussi psychologiques sont en augmentation continuelle : ce climat constant de tension engendre toujours plus d’instabilité. « Nous sommes en contact avec plusieurs hôpitaux et des psychologues pour réaliser un grand projet pour la réhabilitation physique et psychologique de ces personnes ; nous avons mis à disposition un grand espace ici à Alep », nous raconte le père Firas, frère franciscain d’Alep.
Le séjour dans la ville se poursuit avec des journées intenses, faites de rencontres et de visites. Des familles et des personnes âgées se rendent une fois par semaine au centre pour profiter des aides proposées, en particulier le colis de provisions et l’eau puisée au puits mis en place à côté de la structure des franciscains.
Les denrées alimentaires qui manquent le plus sont celles de base : les œufs, le pain, l’huile, le sucre, le sel et la viande. Sans parler du manque d’eau, qui « remonte à avant la guerre », nous dit un des jeunes qui fait la queue près du centre, en se référant à la période de grande sécheresse qu’a connue la Syrie les années avant le conflit : ils sont nombreux à avoir « soif depuis longtemps ». Au centre, nous rencontrons aussi des militaires gouvernementaux dans la file pour recevoir quelque chose à manger. L’expression de nombreuses personnes est frappante : elles sont effrayées et fatiguées, mais leurs visages montrent aussi la joie de revoir les frères et la communauté, d’essayer de recommencer à vivre, et de rencontrer de nouvelles personnes. Comme certains nous l’ont expliqué « nous préférons risquer un peu et sortir pour venir ici, plutôt que de rester toute la journée à la maison, peut-être en sécurité mais envahis par la peur et la solitude ».
Une femme raconte : « Je me suis rendu compte que je retournais à la paroisse même quand ce n’était pas le jour de distribution. Ce n’est pas seulement l’aide concrète que je recherche ici, mais aussi les personnes qui y sont et la manière dont les frères nous traitent..., nous venons ici pour retrouver cela ».
Le climat qu’on respire dans ce lieu est beaucoup plus que de la gratitude pour l’aide reçue. Ici, les personnes se sentent en quelque sorte appelées à participer, comme en témoigne la présence de très nombreux jeunes volontaires qui donnent un coup de main dans la distribution des aides. Beaucoup pourraient être rapidement rappelés par l’armée gouvernementale, en tant que conscrits. De nombreux jeunes de leur âge se sont enfuis pour échapper à l’armée, et donc aujourd’hui à Alep, il y a en moyenne un garçon pour dix filles. Ceux qui sont restés « participent à ces moments pour construire quelque chose ensemble, dans la joie », nous dit le jeune Georges.
Toutes les activités d’urgence sont coordonnées en grande partie aussi avec les communautés chrétiennes gréco-orthodoxe et maronite, dans un esprit de collaboration et de fraternité inconnu auparavant. C’est ce que l’évêque Abou Khazen, rencontré durant le voyage, définit
« l’œcuménisme du sang », mais qui devient chaque jour une unité plus profonde, « à la racine. La guerre nous fait redécouvrir ce qui nous unit ».
Les derniers jours à Alep-Ouest, nous les avons passés à visiter
des écoles et des hôpitaux. Dans les classe primaires et secondaires, les enseignants nous ont révélé que « les enfants attendent impatiemment l’heure de venir à l’école le matin, certains nous ont dit qu’ils désiraient depuis longtemps retourner à apprendre ». Avec le père Ibrahim, nous visitons plusieurs structures hospitalières d’Alep-Ouest, qui essayent de poursuivre, malgré la situation tragique : ces dernières années, le nombre de médecins et d’infirmiers s’est réduit de 60 %.
Les médecins que nous rencontrons sont inquiets du manque de personnel spécialisé en ville, pas seulement du personnel médical ou infirmier : des électriciens, des techniciens pour les grands équipements... « Ils sont presque tous partis, et quand tu appelles quelqu’un pour réparer un appareil médical, ou le générateur d’électricité ou d’oxygène, plusieurs mois passent. Nous sommes souvent bloqués, mais nous continuons ». À l’hôpital, des patients ont été blessés par des missiles. Certains ont perdu une main ou les deux jambes, et ils ne pourront plus jamais marcher, mais contre toute attente, ils sont très joyeux de recevoir une visite et de savoir que « quelqu’un se souvient de nous ».
Les structures soutenues par la Custodie sont nombreuses : du Collège de Terre Sainte, qui accueille des groupes de jeunes et de déplacés, et qui a construit récemment une piscine pour les nombreux enfants qui n’ont plus la possibilité de partir en vacances depuis plusieurs années, jusqu’aux écoles pour les enfants sourds-muets, en majorité musulmans, où
la rencontre avec les familles et les femmes musulmanes est devenu « un fruit inattendu » du conflit. C’est précisément ce qui se produit comme on plante une graine.
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Comment pouvez-vous aider l’œuvre des franciscains en Syrie ?
Malgré les nombreuses aides parvenues jusqu’à présent, un grand besoin de nourriture, de lait pour les bébés, de vêtements, lunettes, médicaments, équipements médicaux, se fait encore sentir. Il faut aussi aider ceux qui doivent reconstruire leur maison détruite par les missiles, et qui n’ont plus les moyens de payer les frais de scolarité de leurs enfants. À travers l’association pro Terra Sancta vous aussi vous pouvez être aux côtés des frères en Syrie.
Pour effectuer un don, qui sera rapidement transféré aux frères en Syrie :
ONLINE – carte de crédit et PayPal (
www.proterrasancta.org)
Virement bancaire – IBAN: IT67 W050 18121010 0000 0122691; BIC/Code Swift: CCRTIT2T84A