Ciblée aujourd’hui par les milices de l’EIIL, la présence chrétienne en Irak remonte à l’âge apostolique
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:28:37
Ciblée aujourd’hui par les milices de l’EIIL, la présence chrétienne en Irak remonte à l’âge apostolique. Elle a donné au cours des siècles la preuve d’une persévérance extraordinaire dans la foi, et a annoncé l’Évangile jusqu’aux extrémités de l’Asie. À partir du XVe siècle, ses différentes branches ont établi tour à tour des liens avec Rome, jusqu’à parvenir à la tripartition actuelle en Église chaldéenne, Église assyrienne de l’Orient, et Ancienne Église de l’Orient. Une division qui risque, si on n’y remédie pas, de se transformer en une mort lente.
On pourrait appliquer à l’Église d’Orient d’aujourd’hui, sans exagération, les paroles du prophète Isaïe : « sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans aimable apparence » (Is 53,2). Et pourtant, si seulement on écarte le voile des événements, quelle beauté apparaît sur son visage défiguré ! Pourchassée aujourd’hui dans le Nord de l’Irak et en Syrie par les milices de l’État Islamique, cette Église prolonge et continue dans le Pays des Deux Fleuves une présence chrétienne qui remonte à l’âge apostolique. Elle a grandi dès le début au milieu des persécutions, dans un isolement et une autonomie relatifs, pour connaître ensuite au Moyen-Âge un élan missionnaire sans égal, qui l’a conduite jusqu’à la Chine lointaine. Tout au long de son histoire, elle n’a jamais été une Église nationale en un sens exclusiviste, rassemblant en elle des peuples et des nations allant de la Haute-Mésopotamie au Golfe Persique, de l’Inde à la Chine. Vouloir la transformer aujourd’hui, de Sacrement pour le monde qu’elle est, en instrument d’un nationalisme replié sur lui-même, comme d’aucuns le demandent, signifierait en faire une momie : l’Église en effet dépasse les confins des ethnies, des langues, des nationalités, parce que le Christianisme est une annonce de vie qui s’incarne dans toutes les civilisations.
Épanouissement et persécution
Cette Église a assumé au fil de l’histoire trois caractéristiques fondamentales : le martyre sous l’Empire perse ; la vie monastique qui s’est épanouie après la persécution ; la persévérance dans la foi et dans la mission pendant la période islamique.
Sans remonter jusqu’à la prédication de l’apôtre Thomas et de ses disciples Addaï et Mari, l’Église d’Orient a connu un épanouissement rapide au cours des premiers siècles, comme en témoigne le Synode de Séleucie-Ctésiphon en 410. Au Ve siècle, elle devait adopter la christologie d’Antioche, mais les circonstances politiques l’isolèrent progressivement du reste de l’Église universelle. Elle se trouvait en effet sur le territoire de l’Empire sassanide, qui considérait avec soupçon tout contact avec l’Empire romain. Ce ne fut toutefois qu’au VIIe siècle que firent leur apparition les enseignements théologiques de Nestorius. La définition de « nestorienne » attribuée à cette Église constitue donc un anachronisme : son nom véritable est Église d’Orient. À la suite d’événements historiques que nous allons développer, elle comprend aujourd’hui l’Église chaldéenne, l’Église assyrienne de l’Orient et l’Ancienne Église de l’Orient. Nous nourrissons toutefois l’espérance indestructible que ces trois branches puissent retrouver l’unité, parce que la séparation est un péché, et signifie une mort lente.
Quand, au VIIe siècle, les arabes musulmans arrivèrent dans ce qui est aujourd’hui l’Irak, après avoir défait les troupes sassanides, plus de la moitié des habitants étaient des chrétiens de langue et de culture syriaque. L’arabe se diffusa rapidement, notamment parce que le Calife omeyyade ‘Abd al-Malik (685-705) en fit la langue officielle de l’administration. Le changement d’environnement social, économique et politique incita les chrétiens à adopter la langue des conquérants, tandis que le syriaque restait la langue de la liturgie et de la littérature.
Avec le passage du Califat aux Abbasides, le centre du pouvoir se transféra en Mésopotamie. Dans ce nouveau contexte, les chrétiens jouèrent un rôle particulier en facilitant l’interaction culturelle et en contribuant grandement à la production culturelle, en particulier dans le domaine de la traduction. Il suffit de rappeler ici le célèbre lettré Hunayn Ibn Ishâq al-‘Ibâdî, originaire de Hira (près de Kufa) et de langue maternelle syriaque, qui traduisit 39 livres du grec en arabe et 95 en syriaque[1]. Les chrétiens ne furent pas en réalité de simples transmetteurs, mais apportèrent une contribution créative, ajoutant aux textes qu’ils traduisaient leur expérience et leurs connaissances. Ils constituèrent ainsi un pont culturel et de civilisation entre l’Orient et l’Occident. Parmi ces grands penseurs, on peut citer Bakhtishû‘ et sa famille, de l’école médicale de Jundishapur, qui fut au service de nombreux califes, Hunayn Ibn Ishâq (m. 873) que nous avons déjà mentionné, et le Catholicos[2] Timothée le Grand (780-832) qui fut un lettré prolifique et un excellent traducteur, et dont on se rappelle plusieurs dialogues avec le Calife al-Mahdi sur des questions de foi chrétienne et musulmane. Timothée transféra le siège patriarcal à Bagdad et ses lettres sur différents sujets religieux et culturels témoignent de l’ampleur de ses intérêts intellectuels. Il faut relever que ce patrimoine littéraire ne fut pas le fait exclusif du clergé : de nombreux laïcs écrivaient eux aussi à propos de théologie et de droit. Quand en 837 le Calife al-Mu‘tasim fit construire la nouvelle capitale, Samarra, à 100 km environ au nord de Bagdad, le Patriarche s’y transféra lui aussi, et lorsque en 889, le Calife al-Mu‘tamid abandonna Samarra pour revenir à Bagdad, le Patriarche le suivit : ce qui illustre bien le niveau d’intégration de l’Église d’Orient dans le nouveau contexte islamique. Bien que la politique abbaside ait provoqué la conversion de nombreux chrétiens à l’Islam, l’Église d’Orient connut une vaste diffusion dans d’autres pays et fonda des diocèses à Damas, à Jérusalem, à Alexandrie, à Chypre et dans le Golfe. Des moines missionnaires suivirent la route de la soie et, avec l’Évangile, portèrent leur langue syriaque et leurs rites jusqu’en Chine.
En 1258, le Califat abbaside s’effondrait sous les coups de l’invasion mongole. La situation des chrétiens sous ces nouveaux maîtres fut ambivalente. Certains khans en effet furent attirés par le Christianisme et manifestèrent une certaine sympathie pour l’Église : le Calife al-Musta‘sim avait déjà demandé au Patriarche Makkikha II de négocier une trêve avec le chef mongol Hulagu, et quand la ville tomba entre les mains des Mongols, le Patriarche fut autorisé à résider dans l’un des palais abbasides. En effet, à l’époque où les Mongols occupèrent Bagdad, le Christianisme s’était déjà diffusé parmi les tribus mongoles en Asie centrale et ‘Abdisho‘ Bar Brikha al-Sûbâwî (m. 1318) dressa une liste de 27 sièges métropolitains et 200 diocèses soumis au Catholicos d’Orient, avec près de 8 millions de fidèles ! Mais cette situation de tolérance ne dura pas longtemps. En effet, le second Khan, Ghazan, après avoir officiellement embrassé l’Islam, commença à imposer de nombreuses restrictions aux chrétiens. Il détruisit des églises, les transformant en mosquées, et pilla le siège patriarcal. C’est ainsi que commençait le crépuscule de ce qui fut l’Église missionnaire la plus importante du Moyen-Âge.
Sous Tamerlan (1336-1405), la plupart des Mongols adopta l’Islam : ce fut le début de la persécution des chrétiens et de la destruction systématique des églises. Ceci incita les chrétiens à se réfugier vers les régions montueuses du Kurdistan. Les diocèses plus éloignés furent coupés de l’Église-mère et peu à peu disparurent.
Mais cette époque fut marquée par un élément nouveau : la reprise des contacts avec l’Église latine. Car lorsque les croisés s’emparèrent de la Terre Sainte, certains missionnaires occidentaux allèrent plus avant vers l’Est. La première rencontre avec l’Église d’Orient eut lieu avec l’arrivée des Franciscains et des Dominicains à Basra, Bagdad, Mossoul et Amid (l’actuel Diyarbakir). Parmi ces missionnaires, on peut citer Guillaume de Rubruck (m. 1280), Ricoldo da Monte Croce (m. 1320) et Jean de Montecorvino (m. 1328). Parallèlement, il y eut des chrétiens orientaux qui jouèrent un rôle de diplomates entre les Mongols et l’Occident. Le plus célèbre d’entre eux fut le moine Bar Sawma, qui fut l’aide du Catholicos Mar Yahballah III (1281-1317). En 1287 le Khan mongol Urghun l’envoya en mission auprès des rois d’Occident pour leur proposer une alliance militaire. Bar Sawma rencontra l’empereur byzantin Andronikos II, le roi de France Philippe IV, Édouard Ier roi d’Angleterre et le pape Nicolas IV. Mais ses tentatives échouèrent. Il faut relever toutefois que, durant son séjour à Rome, Bar Sawma célébra la messe à Saint-Jean-de-Latran selon le rite oriental, en présence du pape, et reçut la communion de ses mains. À travers Bar Sawma, la curie romaine prit conscience de l’existence de l’Église d’Orient, dont elle n’avait jusque là que de vagues nouvelles. Après la mort de Bar Sawma, en 1294, le Saint-Siège poursuivit la correspondance avec le Catholicos d’Orient, mais sans aucun résultat notable.
Il y eut un autre contact direct avec l’Église d’Occident lorsqu’un groupe de chrétiens orientaux en 1340 à Chypre s’unit à l’Église catholique. On les appela Chaldéens. Cette union avec Rome fut renouvelée en 1440, lorsque, sous le pontificat d’Eugène IV, Timothée, évêque de Tarse, déclara son union à la suite du Concile de Florence-Ferrare. Il prit le titre d’archevêque des Chaldéens résidant à Chypre. Toutefois, cette union ne dura pas longtemps elle non plus et, après la mort de Timothée en 1479, ces chrétiens orientaux revinrent aux communautés locales.
Jean Soulaqa, martyr de l’unité
Au XVe siècle, les éparchies de l’Église d’Orient se réduisirent à la région septentrionale de la Mésopotamie et aux montagnes du Hakkari, dans l’actuelle Turquie méridionale. En 1450, le patriarche Siméon IV al-Bâsîdî (m. 1497) réunit en sa personne l’autorité spirituelle et temporelle et rendit le patriarcat héréditaire au sein de sa famille, avec la transmission de la dignité patriarcale d’oncle à neveu. Le fait qu’une seule famille contrôlât le siège patriarcal affaiblit l’Église d’Orient sur le plan intellectuel, spirituel, pastoral et administratif, à cause des oppositions et des divisions qui se produisirent parmi les fidèles, surtout quand la charge de patriarche se trouvait entre les mains d’un adolescent. En 1539, le patriarche Siméon VII (1538-1558) fut contraint à ordonner métropolite son neveu qui n’avait pas encore 18 ans, parce qu’il ne trouvait personne d’autre dans la famille. Pour cette même raison, de nombreux diocèses restèrent vacants. Quelques années plus tard, on ordonna un autre garçon qui avait à peine 15 ans.
Le mécontentement montait parmi les fidèle en particulier dans les régions d’Amid et de Seert. Tous ceux qui s’opposaient au caractère héréditaire du Catholicosat se réunirent en Mésopotamie du Nord, puis à Mossoul en février 1552. À cette rencontre élargie participèrent les notables de Mossoul, de nombreux prêtres et moines et les évêques d’Erbil, de Salmas et d’Azerbaidjan, qui choisirent à l’unanimité comme patriarche Jean Soulaqa, abbé du monastère de Rabban Hormizd. Comme il ne se trouvait aucun archevêque qui pût l’ordonner, les évêques réunis l’envoyèrent avec une délégation à Rome pour obtenir la reconnaissance du Saint-Siège. Soulaqa, accompagné des notables du peuple, se dirigea d’abord vers la Terre Sainte pour vénérer les lieux saints, puis continua son voyage jusqu’à Rome. Il proclama devant le pape Jules III sa foi apostolique le 20 février 1553, et fut consacré évêque en avril de la même année. Quand se répandit à Rome la nouvelle de la mort du patriarche Siméon, le Saint-Siège le nomma patriarche de Mossoul par la bulle Divina Disponente Clementia du 28 avril 1553, avec le nom de Siméon VIII Soulaqa.
Soulaqa retourna à Amid en novembre 1553, accompagné de quelques frères dominicains chargés de l’aider à diffuser le Catholicisme. Il établit son siège dans la ville et consolida sa position en ordonnant 2 métropolites et 3 évêques et en obtenant en 1553 la reconnaissance de la Sublime Porte ottomane. Mais le catholicos adverse gagna à sa cause le gouverneur de ‘Amidiyya, qui invita Soulaqa chez lui, le fit emprisonner et torturer pendant quatre mois jusqu’à le faire mourir en janvier 1555. L’Église chaldéenne considère de ce fait Soulaqa comme le « martyr de l’union »[3].
Les cinq évêques consacrés par Soulaqa élirent à sa succession le moine ‘Abdisho‘ Marun IV ‘Abdisho‘ (1553-1570). Celui-ci, après s’être rendu à Rome et y avoir reçu la reconnaissance du pape Pie IV, établit son siège dans un monastère près de Seert, où il resta jusqu’à sa mort. Les patriarches suivants, pour des raisons de sécurité et des motifs pastoraux, résidèrent à Seert, Salmas, Khosrowa et Urmia. Ils restèrent en communion avec le Saint-Siège jusqu’au XVIIe siècle, mais aucun d’eux ne se rendit à Rome pour recevoir la confirmation pontificale. À la fin du XVIIe siècle, cette lignée patriarcale déplaça son siège à Qutshanès dans les lointaines montagnes du Hakkari et revint progressivement à la doctrine traditionnelle, d’expression nestorienne, tandis que se perdaient les contacts avec Rome. C’est de cette lignée que descend l’actuelle Église assyrienne de l’Orient, tandis que le patriarcat chaldéen dérive de la ligne de Siméon VII. Par un paradoxe de l’histoire, donc, la tradition d’expression nestorienne s’est prolongée dans la descendance religieuse de Soulaqa, tandis que le Catholicisme s’est perpétué dans celle de son adversaire « nestorien ».
Dans l’Église assyrienne d’Orient, le patriarcat devint de nouveau héréditaire, pratique qui ne prit fin qu’en 1976 avec Dinkha IV (1976-2015). En 1915, du fait des persécutions déchaînées par les Jeunes Turcs, le patriarcat assyrien abandonna le siège de Qutshanès et alla s’établir, après différentes péripéties, à Chicago. C’est de cette Église que devait se détacher, en 1964, l’Ancienne Église de l’Orient, avec son siège à Bagdad.
Trois familles rivales
À Siméon VII, adversaire de Soulaqa, succédèrent Elias VI (1559-1591), qui transfèra le siège patriarcal dans le monastère de Rabbân Hormizd, près de Mossoul, puis Elias VII (1591-1617). Ce dernier, peut-être influencé par le nombre de pèlerins passés au Catholicisme à Jérusalem, envoya des émissaires à Rome en 1606-1607 puis en 1611 pour des consultations en vue de l’union. Sous l’influence du franciscain Thomas Obicini de Novare, Elias VII convoqua un Synode en 1616, dans lequel il réaffirmait la foi catholique, en particulier en ce qui concerne la christologie, sans toutefois arriver à l’union. Dans le même temps, Siméon XX, de la lignée Soulaqa, envoyait lui aussi sa profession de foi à Rome. Les frères franciscains cherchèrent alors à faire dialoguer les deux parties pour restaurer la communion, mais sans résultat.
Les liens formels entre Rome et le patriarcat de Mossoul s’interrompirent pendant le règne d’Elias VIII (1617-1660), parallèlement à ce qui se passait dans la lignée de Soulaqa. En conséquence, dans la seconde moitié du XVIIe siècle les deux patriarcats – de Qutshanès et de Mossoul – n’étaient plus ni l’un ni l’autre en communion avec Rome. Pour cette raison, en 1672, le missionnaire capucin Jean-Baptiste de Saint-Aignan, qui avait commencé à travailler à Amid, convainquit le métropolite local Joseph à passer au Catholicisme. En 1677, Joseph obtint la reconnaissance des autorités civiles comme archevêque indépendant avec juridiction sur Amid et Mardin. Rome le confirma en 1681 sous le nom de Joseph Ier, « Patriarche de la nation chaldéenne, nation sans patriarche ». Ainsi vint s’instaurer une troisième lignée patriarcale à Amid, dont les membres portaient tous le nom de Joseph.
Les successeurs dans la lignée patriarcale d’Amid connurent un succès notable dans la diffusion de la foi catholique à Amid, Seert, Mardin, en Haute-Mésopotamie et dans la plaine de Ninive. Cette lignée patriarcale dura jusqu’à Augustin Hindi, devenu en 1804 évêque d’Amid et administrateur patriarcal, qui reçut le pallium en 1818, mais sans être nommé officiellement patriarche. À sa mort en 1828, le patriarcat d’Amid cessait d’exister, après 146 ans de communion avec Rome. À partir de là, les Chaldéens eurent un seul patriarcat, à Mossoul, tenu par Jean Hormizd.
Jean Hormizd et la réunification chaldéenne
À la fin du XVIIIe siècle en effet, sous l’influence du patriarcat d’Amid et avec l’aide des frères capucins et des dominicains, la plupart des fidèles de l’Église d’Orient dans la région de Mossoul et la plaine de Ninive avaient embrassé le Catholicisme. Le catholicos de Mossoul Elias XII Dinkha (1722-1778), se rendant compte de la force croissante du mouvement catholique, écrivit plusieurs lettres à Rome pour exprimer son désir de l’union, qui toutefois ne put se réaliser. Son neveu lui succéda, Elias XIII Ishoyahb (1778-1804), qui rencontra une forte opposition de la part de son cousin Jean Hormizd. La mort d’Elias XIII ouvrit la voie pour l’élection de Jean, qui se considérait déjà catholique depuis 1778. Mais celui-ci ne fut confirmé que comme métropolite de Mossoul et administrateur patriarcal sans le titre de patriarche, à cause de l’opposition des missionnaires latins et d’une partie de son Église, qui lui préférait Augustin Hindi d’Amid. Avec la mort d’Augustin Hindi, Jean Hormizd fut enfin confirmé par Pie VIII comme unique patriarche des Chaldéens le 5 juillet 1830, avec siège à Mossoul. Ainsi se trouvaient finalement réunis les patriarcats d’Amid et de Mossoul : depuis lors, l’antique lignée patriarcale de l’Église d’Orient est restée en communion avec Rome.
Pour empêcher Jean Hormizd de rendre la charge patriarcale de nouveau héréditaire, Rome nomma le métropolite de Salmas, Nicolas Zayia (1838-1847), coadjuteur avec droit de succession. En 1844 Nicolas obtint le firman ottoman impérial qui le reconnaissait patriarche des Chaldéens et chef d’un millet [communauté religieuse] indépendant. Joseph VI Audo succéda à Nicolas : ce fut le patriarche chaldéen le plus remarquable et énergique du XIXe siècle, défenseur infatigable des droits des patriarches orientaux au Concile Vatican I (1870). Audo posa les bases de la croissance notable de l’Église chaldéenne dans les décennies qui précédèrent la première guerre mondiale. Convaincu que l’Église chaldéenne avait besoin de prêtres et évêques d’une grande culture et d’une forte spiritualité, il fonda une typographie et ouvrit le séminaire patriarcal chaldéen Simon-Céphas à Mossoul en 1866, tandis qu’il soutenait la construction du monastère de Notre-Dame des moissons près de al-Qosh (1859). En 1878, les dominicains ouvraient à leur tour à Mossoul le séminaire de Saint-Jean, pour la formation des prêtres chaldéens et syriaques, pour favoriser l’unité et la collaboration entre les deux églises.
Seyfo
Pendant la première guerre mondiale, beaucoup de régions chrétiennes traditionnellement habitées par des chaldéens et des syriaques furent dévastées. Le patriarcat de Qutshanès fut effacé et tous les assyriens durent abandonner la région du Hakkari. Des milliers de chaldéens furent massacrés par des formations à la solde des ottomans à Seert, Diyarbakir, en Haute-Mésopotamie, près du lac de Van et à Mardin, certains évêques étant assassinés. Toutefois, la région de Mossoul et d’autres régions chaldéennes ne furent pas touchées, grâce aux efforts du patriarche Joseph Emmanuel II (1900-1947), qui guida l’Église chaldéenne lorsque le vilayet (province) de Mossoul passa de l’Empire ottoman au mandat britannique, puis au Royaume hachémite d’Irak.
Pendant son long patriarcat, beaucoup de fidèles de l’Église assyrienne de l’Orient – quasi effacée par le génocide – adhérèrent à l’Église catholique, grâce à l’effort pastoral de prêtres et de moines, tandis qu’une action analogue était menée par les missionnaires anglicans et russes-orthodoxes. En 1947, Joseph VII Ghanima (1947-1958) transféra le patriarcat à Bagdad, pour être plus près des bureaux gouvernementaux et des fidèles qui avaient commencé à migrer vers la capitale pour y trouver de meilleures opportunités de travail et la possibilité de poursuivre des études supérieures et universitaires. Son successeur, Paul Cheikho (1958-1989), archevêque d’Alep, dut conduire l’Église à travers trois révolutions (1958, 1963, 1968), coexistant avec trois régimes, la révolte kurde, et la longue guerre Iran-Irak (1980-88). Pendant le conflit entre les Kurdes et l’armée irakienne, qui dura jusqu’en 1975, beaucoup de villages chrétiens furent incendiés et de nombreuses églises détruites.
Avec la guerre contre l’Iran, c’est l’exode vers l’étranger qui commença. L’Église ne parvint pas à libérer les réfugiés venus du Nord de leur sentiment de déracinement, ni à freiner l’hémorragie démographique. Le patriarche Cheikho construisit de nombreuses églises à Bagdad pour héberger les réfugiés chrétiens, mais il n’y eut pas un travail pastoral méthodique pour les accueillir et leur donner les compétences nécessaires pour s’intégrer dans ce nouveau contexte social, d’autant qu’ils provenaient pour la plupart de zones rurales. À la mort de Cheikho en 1989, le synode chaldéen élut patriarche l’évêque de Beyrouth, Raphaël Bidawid (1989-2003). À la même époque la guerre exténuante Iran-Irak prenait fin. Mais le régime n’avait pas appris la leçon : il déchaîna la deuxième guerre du Golfe, que suivirent 12 années d’embargo. Cette période fut marquée par un exode croissant de chrétiens, qui entraîna la formation de diocèses aux États-Unis, en Europe, en Australie, en Nouvelle Zélande et au Canada.
L’un des résultats les plus importants de cette période fut la Déclaration christologique commune entre les catholiques et l’Église assyrienne d’Orient signée par Jean-Paul II et Mar Dinkha IV le 11 novembre 1994. Cette initiative encouragea la hiérarchie des deux Églises jumelles, chaldéenne et assyrienne, à former une commission conjointe pour poursuivre le dialogue. En 1996, les deux patriarches souscrivirent une déclaration commune et en 2001, le Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens publia les Orientations pour l’admission à l’eucharistie entre l’Église chaldéenne et l’Église assyrienne d’Orient. En décembre 2004, le synode des chaldéens élut Emmanuel III Delly, qui démissionna en 2012.
Au début du patriarcat de son successeur, la plupart des chaldéens qui vivaient en Irak résidaient dans les grandes villes, ou dans les villages de la plaine de Ninive. Ils travaillaient surtout dans le domaine de l’éducation, la médecine, le commerce, l’agriculture. Tout en étant numériquement une minorité, ils pouvaient vanter une présence importante au sein de la société, et se faisaient apprécier pour leur culture et leur ouverture. Toutefois, dès la chute du régime de Saddam Hussein, ils avaient été l’objet d’une série d’attaques qui les avaient incités à émigrer. Entre juin et août 2014, du fait de l’avancée de l’EIIL, plus de 120 000 chrétiens de Mossoul et de la plaine de Ninive ont été contraints à s’enfuir de cette terre qui, nous l’avons vu, avait été pendant des siècles le cœur de la présence chaldéenne : cet exode forcé est une catastrophe qui menace l’existence historique du Christianisme dans la région.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis
[1] Georges Anawati, Al-masîhiyya wa-l-hadâra al-‘arabiyya, Baghdâd 19842, p. 103.
[2] Catholicos est un terme utilisé surtout dans les Églises orientales pour désigner un évêque ayant autorité primatiale (NdlR).
[3] Mgr Rafâ’îl Rabbân, Shahîd al-ittihâd aw Shim‘ûn Yûhannâ Sûlâqâ al-Kaldânî, al-Mawsil 1955.
Pour citer cet article
Référence papier:
S.B. Louis Raphaël Sako, « Église de l’Orient : deux millénaires de martyre et de mission », Oasis, année XI, n. 22, décembre 2015, pp. 35-43.
Référence électronique:
S.B. Louis Raphaël Sako, « Église de l’Orient : deux millénaires de martyre et de mission », Oasis [En ligne], mis en ligne le 27 janvier 2016, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/eglise-de-lorient-deux-millenaires-de-martyre-et-de-mission.