Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:26:35
La loi du Pakistan sur le blasphème permet à « la persécution contre les chrétiens et les autres minorités d’être indiscriminée », dit à Oasis Juan Carlos Pallardel, jésuite péruvien responsable depuis de longues années du dialogue avec l’Islam et les autres religions à Lahore, au Pendjab où vivent plus de 90 % de chrétiens du pays. « Ceci influence notre vie quotidienne, nous devons bien penser à ce que nous faisons et à ce que nous disons sachant parfaitement que nous sommes à tout moment susceptibles d’être accusées », poursuit-il.
Au Pakistan, la loi sur le blasphème fournit la justification juridique dans le cadre de laquelle est exprimé « un problème plus vaste, essentiellement social ». Il est très fréquent de voir effectivement utiliser les accusations et s’en servir pour résoudre des disputes personnelles ou pour s’accaparer de terrains, précise le jésuite. Et d’ajouter : c’est un problème social d’autant plus que dans la plupart des cas,
« les victimes appartiennent aux couches les plus pauvres de la population, contraintes à subir les abus des plus riches. Au Pakistan, les catholiques étant par exemple parmi les plus pauvres sont par la même occasion parmi les plus vulnérables ».
L’augmentation des cas de blasphème
En 1987, alors que le général Zia ul-Haq faisait de l’islamisation du Pakistan une condition incontournable de sa présidence, la loi sur le blasphème, introduite dans le sous-continent indien à l’époque de la domination britannique se durcit pour en arriver à sa forme actuelle qui prévoit la peine capitale pour quiconque aurait offensé le prophète Mahomet, sans possibilité de pardon ou de renonciation à l’action pénale. Les données recueillies par l’Ong
Engage Pakistan montrent bien à quel point l’année 1987 a représenté un tournant. À partir de cette année,
les cas de blasphème ont augmenté de 17 500 %, passant de sept dans la période 1947-1987 à 1 335 dans la période 1988-2014. Selon l’Ong - qui confirme les propos de Pallardel - les pakistanais ne sont pas devenus blasphèmes du jour au lendemain. Tout simplement, « la loi est mise au service de la persécution et de l’oppression ».
Engage Pakistan montre par ailleurs la dimension sectaire des accusations de blasphème : sur un total de 1 335 cas, 633 accusations ont impliqué des musulmans, 494 des ahmadis, 187 des chrétiens et 21 des hindous. Ce qui signifie que les minorités - qui, globalement, ne constituent que 4 % de la population pakistanaise - seraient responsables de plus de 50% des infractions.
La situation se complique si nous tenons compte du fait que « bon nombre des accusations n’arrivent même pas devant un tribunal, les présumés coupables ayant déjà été exécutés sans aucune forme de procès », conclut Pallardel. C’est le cas de Salman Taseer, ancien gouverneur du Pendjab
abattu par son garde du corps pour avoir critiqué la loi sur le blasphème ou le cas plus récent de
l’activiste Khurram Zaki,
assassiné à Karachi. Selon
Engage Pakistan dans ce cas comme dans d’autres, 1987 est une année charnière : +2 750 % d’exécutions sommaires depuis la modification de la loi.
La décision de la Cour Suprême
Le gouvernement de Nawaz Sharif, premier ministre depuis le mois de juin 2013, semble être conscient de l’envergure du problème et serait, en train - selon Pallardel - d’entreprendre des actions, même militaires pour lutter contre le fondamentalisme religieux qui exacerbe la religiosité et fomente la rage des masses contre ceux qui sont retenus coupables de blasphème. Un signal important nous est parvenu de la Cour Suprême pakistanaise à l’occasion de la condamnation de Mumtaz Qadri, l’assassin de Salman Taseer, pendu fin février. Commentant le cas, la Cour
a établi que
mettre en discussion la loi sur le blasphème n’est pas en soi une insulte à l’Islam et donc un acte blasphème punissable de la peine de mort. Une conclusion tout autre que banale, souligne Pallardel, vu que la plupart des
barelvis - une des organisations sunnites les plus importantes du pays - soutiennent fermement la loi interdisant le blasphème. Il s’agit, dit le jésuite, d’une conclusion importante car « aujourd’hui, le seul fait de pouvoir en discuter laisse espérer qu’un changement est possible ».
Quel changement
Si, dans la situation politico-sociale actuelle, l’abolition de la loi reste un scénario absolument improbable, il ne manque pas de gens qui s’emploient de leur mieux pour introduire des modifications limitant ses abus, ce qu’avait déjà tenté de faire l’ancien ministre Shahbaz Bhatti qui allait le payer de sa vie.
Engage Pakistan est un autre exemple de tentative qui s’efforce de démontrer - partant des sources islamiques - que la loi sur le blasphème n’est pas une loi divine (et peut donc, en tant que telle, être modifiée), qu’elle ne devrait pas prévoir la peine de mort et qu’il devrait être possible de pardonner le crime une fois sûrs du repentir de l’accusé. Une réforme dans cette direction pourrait améliorer la situation des minorités pakistanaises, mais elle serait difficilement capable, à elle seule, de changer le climat qui règne dans le pays, climat qui aboutit aux exécutions sommaires, aux
manifestations de soutien de personnes telles que Mumtaz Qadri ou à
des attentats suicides comme celui de Lahore, le jour de Pâques, où plus de 70 personnes trouvèrent la mort (pour la plupart des musulmans même si l’objectif déclaré était la communauté chrétienne). C’est pourquoi, insiste Pallardel, il faudrait une réforme du système d’instruction du Pakistan. Il est fréquent que l’État ne réussisse pas à fournir les services minimum indispensables à permettre aux citoyens l’accès à l’école publique ce qui, uni à une situation économique difficile, pousse les parents à envoyer leurs enfants là où l’instruction est gratuite, autrement dit dans les établissements religieux islamiques souvent accusés d’être de véritables
incubateurs d’une vision violente et intolérante de l’Islam. Pallardel est confiant. Envers et contre tout. Le gouvernement de Nawaz Sharif
essaie d’avancer dans cette direction et propose, entre autres choses, le contrôle des méthodes d’éducation, des systèmes d’évaluation et des affiliations de
madrasas. La route vers une réforme dont il est question depuis des décennies se présente toutefois encore très longue.
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@fontana_claudio]
Traduction de l'original italien