Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:33
Lorsque le président Vladimir Poutine a ordonné une intervention armée en Syrie, il n'a pas manqué de penser également à ce qui se passait à l'intérieur et le long de ses frontières. Le tout récent crash aérien au Sinaï – après une longue enquête, le 17 novembre Moscou a admis qu’un bombe est à l’origine du désastre - augmente les préoccupations d'une implication active de groupes extrémistes en Syrie et en Irak mais également dans d'autres pays. Les événements tragiques de Paris, les attentats du 13 novembre, ont renforcé cette conviction aussi bien que l’opération militaire russe en Syrie, qui avance dès quelques jours en même temps que les bombardements français contre les positions de Daech. Aldo Ferrari, professeur d'histoire russe, arménienne et caucasienne à l'université Ca’ Foscari de Venise a expliqué à Oasis que cet attentat « laissait prévoir en guise de conséquence une intensification des raids aériens du Kremlin en Syrie mais sans grands changements dans les objectifs ». L'intérêt premier de Moscou restera de maintenir debout le gouvernement syrien. L’entrée russe dans le conflit de Syrie représente un tournant historique. C'est la première fois depuis l'effondrement de l’Union Soviétique que Moscou agit militairement hors de ses frontières. L’expérience syrienne, dit Ferrari, peut toutefois faire exception dans la mesure où elle est dictée par un besoin particulier. « La position officielle de Moscou a été ouvertement déclarée ». La Russie possède avec le président syrien Bachar al-Assad qui se trouve actuellement dans une situation critique, un rapport long de plus d'une décennie. L'action intervient donc au bénéfice du seul allié qui lui permette d'avoir une base donnant sur la Méditerranée.
L’alliance avec les chiites
Par son intervention militaire en Syrie, la Russie s'est mise dans un conflit qui va bien au-delà de la simple confrontation entre Assad et les oppositions. Elle s'encadre dans l'éternel affrontement entre
sunnites et chiites. Se rangeant du côté du président syrien, Poutine a officiellement pris parti pour la défense des alaouites - la minorité à laquelle appartient l’élite syrienne au gouvernement - s'alliant indirectement aux autres groupes - chiites - qui combattent à ses côtés. Ce faisant, il a par ailleurs déclenché le mécontentement à l'intérieur de ses propres frontières suscitant le désaccord des sunnites que sont, pour la plupart, les musulmans russes. Moscou agit donc en Syrie pour se défendre par la même occasion à l'intérieur du pays et le long de ses frontières. Depuis de très longues années, l'armée russe mène la guerre contre le terrorisme à l'intérieur et à l'extérieur du pays, en particulier à « l'étranger - dit – proche » à savoir les pays postsoviétiques sur lesquels elle exerce encore une certaine influence. Depuis le début de la guerre en Syrie, de nombreux militaires ont quitté la Russie et d'autres pays de la Communauté des États indépendants (CEI), pour combattre dans les rangs de l’opposition syrienne. Face à quoi, la préoccupation majeure du président Poutine est qu'une chute éventuelle d'Assad ne puisse provoquer un retour dans la patrie de combattants victorieux et satisfaits qui pourraient étendre le conflit à l'intérieur du pays et notamment dans le district du Caucase du Nord où se concentre la communauté islamique la plus nourrie avec la présence de groupes radicaux. Dans ces régions, l'armée russe pratique de véritables campagnes militaires et de répression des groupes islamistes extrémistes, plus intensément en Tchétchénie et dans les régions limitrophes. « Ces motivations peuvent être discutables », affirme Ferrari, « mais elles ne sont certes pas absurdes ».
Stratèges formés à la guérilla
En Russie, 15 % de la population est de religion musulmane et réside essentiellement dans les régions du Caucase du Nord et du Tatarstan. « La zone traditionnellement la plus problématique du point de vue du radicalisme islamique », explique Ferrari, « est le Caucase et en particulier la région tchétchène. Ici, le phénomène a pris des proportions depuis les années Quatre-vingt-dix, conséquence entre autres choses des deux guerres entre la Tchétchénie et la Fédération russe. Il est de nombreux analystes pour penser que les tchétchènes qui grossissent aujourd'hui les rangs des groupes jihadistes au Moyen-Orient seraient parmi les combattants les mieux préparés, des stratèges formés par des années de guérilla au Caucase contre l'armée russe. Ces quinze dernières années, les mouvements islamistes se sont structurés de plus en plus, grâce aux financements provenant probablement de l'Arabie Saoudite leur objectif étant de fonder un émirat musulman dans le Caucase du Nord. La proximité idéologique avec les pays du Golfe est évidente à telle enseigne que les islamistes russes sont couramment appelés
wahhabites et leurs leaders, tous tués par l'armée russe, portent le titre d'émirs du Caucase du Nord ».
Aujourd'hui, les régions de la Tchétchénie, de la Circassie et du Daghestan sont les foyers les meilleurs de recrutement de combattants pour la Syrie et l’Irak mais pour le Caucase, le phénomène n'est pas nouveau. Dans le passé, les
wahhabites russes ont déjà participé à des activités islamistes sur différents fronts. Le nombre de combattants russes en Syrie tourne - selon des estimations plus ou moins officielles - autour de 2.000 à 6.000. « Lorsque nous avons affaire à des chiffres du genre », souligne Ferrari, « il ne faut pas oublier qu'ils sont exploités non seulement par les médias, mais carrément par le Kremlin qui a tout intérêt à justifier son intervention armée au Moyen-Orient. Les formations provenant du Caucase sont en général des groupes compacts qui s'unissent aux différentes formations de fondamentalistes en opposition avec le régime syrien. À ce jour, il n'est, semble-t-il, aucune présence jihadiste caucasienne dans l’opposition laïque ».
Contrairement à l'Europe qui compte déjà plusieurs cas de retour, en Russie, le phénomène reste encore marginal voire passe inaperçu. L’intervention de Moscou en Syrie semble vouloir limiter cette possibilité de manière à écarter le danger d'infiltrations.
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